L’observateur politique et constitutionnaliste Milan Meetarbhan est d’avis que le « feel-good factor » est inexistant. Selon lui, il est probable que le climat politique se tende davantage, avec des manœuvres partisanes et des tentatives pour maintenir le pouvoir en place.
Quels sentiments vous inspire la récente célébration du 56e anniversaire de l’indépendance du pays ?
Notre accession à l’indépendance après une lutte interne qui aura duré des années a été sans doute un tournant décisif dans l’histoire du pays, laquelle n’est hélas pas enseignée aux jeunes. Il est tout aussi grave de constater que durant ces dernières années, il y a eu des révisionnistes aux leviers de commande qui ont voulu réécrire l’histoire de Maurice, allant jusqu’à modifier les livres scolaires.
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Notre pays a pris en main son destin le 12 mars 1968. Il a ainsi rejoint la communauté internationale en tant que pays souverain. À l’avenir, les analystes dépassionnés diront sans doute comment la décennie qui a précédé l’indépendance et celle qui a suivi ont été les plus décisives de notre histoire.
L’augmentation de la pension de vieillesse pour les personnes de plus de 60 ans et la promotion des caporaux au rang de sergent, annoncées le 12 mars, sont perçues comme des décisions stratégiques de la part du gouvernement. Votre avis sur la question ?
Vous dites stratégiques. Je dirais plutôt opportunistes... Nous sommes en période électorale et Pravind Jugnauth avait déjà annoncé la couleur dès décembre dernier : il est le père Noël et il a beaucoup de cadeaux à distribuer. Cependant, ces « cadeaux » sont financés par les fonds publics et l’appareil d’État.
Bien que les bénéficiaires de ces mesures puissent être ravis de les recevoir, on pourrait également se demander s’il ne serait pas plus judicieux de restituer cet argent sous forme de réductions d’impôts, de TVA ou de taxes sur l’essence.
Les taxes directes et indirectes payées par les Mauriciens sous le régime actuel sont les plus élevées depuis les années’ 80. Cela dit, les Mauriciens ne sont pas près d’oublier les abus, la mauvaise gestion et les scandales de ces dernières années, ainsi que l’affaiblissement de nos institutions. Ils sont inquiets de l’avenir.
Estimez-vous que le « feel-good factor » persiste à travers le pays ?
Pour que le « feel-good factor » persiste, il faut tout d’abord qu’il ait existé ! Chose que je n’ai pas constatée. Au contraire, je trouve que depuis quelques années, les Mauriciens sont assez inquiets de l’avenir. Beaucoup de nos jeunes, encouragés par leurs parents, ne rentrent pas au pays après leurs études à l’étranger.
Quant à ceux qui rentrent au pays, ils déchantent très vite. Ils songent même à émigrer avec leur famille car ils sont inquiets de l’avenir de Maurice. Dans certaines régions, notamment dans les nouveaux morcellements où de jeunes couples avaient construit leurs maisons et élevé leurs enfants, on ne trouve plus que des personnes âgées, les jeunes ayant émigré à l’étranger.
L’économie se porte mal, il y a une érosion de confiance dans les institutions. Les Mauriciens ne croient plus dans l’égalité des chances au pays. Il ne suffit pas d’offrir des cadeaux et de répéter à outrance qu’il y a un « feel-good factor » pour que ce sentiment existe. Il se construit et ne s’invente pas, et ce malgré les efforts des propagandistes.
Quelles autres initiatives le « père Noël » pourrait envisager dans les semaines à venir ?
Je n’en sais rien, mais il faut s’attendre à « more of the same thing ». L’appareil d’État, les fonds publics et l’audiovisuel étatique seront pleinement mobilisés. Malgré cela, on osera encore parler de « free and fair elections » et présenter le processus électoral à Maurice comme un modèle à suivre par d’autres pays.
La prochaine présentation budgétaire aura bientôt lieu. Quelles sont vos attentes par rapport à cet exercice ?
Autrefois, les discours budgétaires représentaient une plateforme permettant aux gouvernements de dévoiler et d’expliquer leur politique économique ainsi que leur vision pour l’avenir. Toutefois, depuis quelque temps, ces discours sont réduits à leur plus simple expression : c’est le Budget tout court – on énumère en long et en large les régions où on exécutera des projets qui se font dans le cours normal des choses. Les discours budgétaires sont désormais davantage utilisés à des fins de marketing politique, alors qu’ils étaient historiquement des « policy statements ».
Qu’attendez-vous de cette dernière session parlementaire avant les élections générales, lorsque les parlementaires reprendront leurs travaux le 26 mars prochain ?
Je crains que les travaux ne se déroulent dans un climat encore plus politisé et partisan, avec la majorité cherchant la moindre occasion pour faire les louanges de leur Premier ministre. On peut aussi s’attendre à ce que le gouvernement fasse voter en urgence certains projets de loi cruciaux pour préserver certains intérêts spécifiques avant la dissolution de l’Assemblée nationale.
Pensez-vous qu’il y aura une augmentation des expulsions et des « walk-outs » des membres de l’opposition ?
Cela ne m’étonnerait pas. Le record d’expulsions au sein de l’hémicycle a déjà été atteint et on l’améliorera pour l’Histoire !
Quelle est votre opinion sur les suggestions faites par certains observateurs selon lesquelles les élections générales pourraient avoir lieu en août ou en septembre de cette année ?
Tout d’abord, il est important de noter que la démission d’un député bouleversera sans doute le calendrier électoral. Ensuite, le père Noël risque de tomber aux oubliettes si la tenue des élections est trop éloignée dans le temps après la distribution de cadeaux.
De plus, je trouve inadmissible qu’une seule personne décide de la date des élections et de la durée de la campagne dans une démocratie moderne. D’autant plus que cette personne est elle-même partie prenante de ces élections. Cela lui accorde un avantage certain sur ses concurrents.
Pensez-vous que l’opposition, ayant retrouvé de la vigueur à la suite des divers rassemblements, sera en mesure de rivaliser efficacement avec le gouvernement aux prochaines élections ?
Ce qui est certain, c’est que l’opposition n’aura ni les moyens matériels et financiers du régime au pouvoir, ni l’accès à l’appareil d’État. Les deux protagonistes ne se battront pas à armes égales. Cependant, l’opposition pourra compter sur la force de persuasion. Elle devra convaincre les électeurs de ce qui ne va pas au pays et leur faire comprendre que ce sera pire si le gouvernement obtient un autre mandat. Elle devra également convaincre l’électorat des mérites de son programme et de son équipe, pas seulement de ses candidats aux législatives.
Quels sont vos pronostics sur l’issue des prochaines élections générales et quelle est votre opinion sur l’opposition extraparlementaire ?
J’estime que l’opposition extraparlementaire engage souvent des réflexions sérieuses sur des questions d’intérêt général. Il y a certes chez certains une forte dose d’idéologie, mais dans l’ensemble, j’estime que certaines formations extraparlementaires, qui n’ont pas trop à se soucier de considérations électoralistes, ont la liberté de réfléchir et de faire des propositions sérieuses, et ce même si celles-ci ne sont toujours réalisables.
En ce qui concerne Air Mauritius, pensez-vous que Charles Cartier, qui vient d’être propulsé aux commandes en tant que Chief Executive Officer, aura la capacité de redresser la trajectoire prise par la compagnie, d’autant qu’il est le douzième à occuper ce poste au cours des 24 dernières années ?
La saga Air Mauritius, qui a débuté bien avant la COVID-19, même si on se réfugie souvent derrière la pandémie pour expliquer les déboires de la compagnie nationale, le reflet de ce qu’a fait le régime au pouvoir de nos institutions. Si le nouveau CEO parvient à restaurer une bonne gouvernance, à reconnaître les compétences, et il y en a certainement chez Air Mauritius, et à positionner la compagnie comme un acteur commercial compétitif, tout en évitant qu’elle ne soit instrumentalisée par le pouvoir politique, il bénéficiera du soutien des Mauriciens.
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