
Fraîchement nommée à la tête du Mauritius Institute of Education (MIE), Mila Devi Sewruttun-Dosieah dévoile sa vision pour une éducation mauricienne plus inclusive, plus numérique et mieux alignée sur les réalités du terrain. Entretien avec une femme de terrain au leadership assumé.
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Vous venez d’être nommée comme directrice du Mauritius Institute of Education, quelle est votre vision pour ce secteur ?
Ma vision stratégique s’appuie directement sur les mandats essentiels de notre institution, qui sont de former les enseignants, d’élaborer des programmes pédagogiques adaptés et de soutenir la mise en œuvre des réformes éducatives.
Dans le cadre de ma mission, je veillerai à aligner les initiatives du MIE avec les orientations stratégiques du ministère de l’Éducation pour assurer une continuité et une synergie optimales dans le développement du système éducatif.
Ma priorité est d’assurer que le MIE continue de jouer un rôle central dans la formation des enseignants. Il est impératif que nos programmes de formation soient non seulement en adéquation avec les attentes du système éducatif mauricien, mais qu’ils répondent également aux défis contemporains. À cet égard, l’adaptation aux évolutions technologiques, ainsi que le développement des compétences pédagogiques et numériques des enseignants, seront au cœur de notre stratégie. Le renforcement des formations continues permettra aussi d’assurer que nos enseignants restent compétents et à jour dans leurs pratiques pédagogiques.
Un autre axe fondamental concerne l’élaboration de programmes pédagogiques novateurs et flexibles. Le monde évolue rapidement et les besoins de nos élèves changent. Ainsi, je souhaite que nous continuions à réviser régulièrement nos curricula pour qu’ils soient pertinents, stimulants et adaptés aux exigences du XXIe siècle. Nous devons également intégrer davantage d’approches pédagogiques, qui tiennent compte des besoins variés des apprenants, et favoriser une approche d’apprentissage actif et collaboratif.
Je place également un accent particulier sur notre rôle dans le soutien aux réformes éducatives. Le MIE doit être un acteur clé dans la mise en œuvre des réformes pédagogiques à l’échelle nationale. Cela implique de travailler en étroite collaboration avec le ministère de l’Éducation pour que ces réformes soient bien comprises et appliquées à tous les niveaux, tout en restant sensibles aux réalités du terrain. Nous devons être un catalyseur de changement et un centre de réflexion sur l’avenir de l’éducation à Maurice.
Enfin, il faut continuer à promouvoir une recherche en éducation dynamique au sein du MIE, afin de nourrir la réflexion sur les meilleures pratiques et d’informer nos décisions stratégiques et pédagogiques. Le développement professionnel des enseignants et l’innovation pédagogique doivent être guidés par des données probantes et des recherches qui renforcent notre approche.
La direction du MIE n’est pas seulement une question d’expérience, mais aussi de vision stratégique, de leadership et de capacité à s’adapter aux besoins changeants de notre système éducatif.»
Quels changements envisagez-vous dans les programmes de formation des enseignants pour mieux répondre aux besoins du système éducatif mauricien ?
Il est essentiel de renforcer les compétences numériques des enseignants. Avec la montée en puissance des technologies, il devient primordial que nos éducateurs soient formés à l’utilisation des outils numériques pour enrichir l’apprentissage et mieux gérer des classes hybrides. Cependant, il faut aussi garder en tête les inégalités d’accès à la technologie.
Face à une diversité croissante des élèves, la formation des enseignants devra inclure des méthodes différenciées pour mieux répondre aux besoins des élèves en difficulté, qu’ils soient issus de milieux sociaux variés ou présentent des troubles d’apprentissage. L’intégration d’une telle approche nécessite de surmonter les contraintes matérielles et logistiques, notamment les ressources limitées.
Une attention particulière sera également portée au développement de compétences transversales chez les élèves. Les enseignants seront formés à encourager l’esprit critique et la résolution de problèmes, en veillant à ce que les programmes restent pertinents pour préparer les jeunes aux défis du XXIe siècle. Cependant, cela implique de repenser certains programmes et de former les enseignants à ces nouvelles méthodes, ce qui nécessitera du temps et des ressources.
La gestion du bien-être des enseignants sera également prioritaire. Les enseignants doivent être accompagnés pour développer des compétences en gestion émotionnelle et en résilience face aux défis du métier. En tenant compte du stress et des charges de travail croissantes, il est crucial d’offrir un soutien psychologique et des espaces d’échange professionnels.
Pour que ces changements soient efficaces, nous renforcerons l’ancrage pratique de la formation. Les futurs enseignants devront passer davantage de temps en stage dans les écoles pour être confrontés à la réalité du terrain. Ce, afin d’adapter leur approche pédagogique aux besoins réels des élèves.
Comment le MIE compte-t-il intégrer les outils numériques et l’intelligence artificielle dans la formation pédagogique ?
Le MIE a bien conscience de l’importance des outils numériques et de l’intelligence artificielle (IA) dans la transformation de l’éducation. Afin de préparer les enseignants à ces évolutions, plusieurs initiatives ont déjà été lancées.
En juin 2025, le MIE a eu l’honneur d’organiser la 8e Conférence mondiale des études curriculaires (IAACS), dirigée par le Prof. Hyleen Mariaye avec d’autres partenaires de l’étranger. Cet événement a revêtu une importance particulière, car il s’est tenu dans le contexte des réformes éducatives en cours au niveau national. Cette conférence a abordé un large éventail de questions pertinentes façonnant les programmes éducatifs contemporains. Les thèmes traités comprenaient le rôle de la langue dans le curriculum, les avancées en éducation scientifique, l’intégration de l’intelligence artificielle, ainsi que des discussions sur le curriculum de l’éducation de la petite enfance et celui de l’éducation inclusive.
En juillet 2025, il y a eu une conférence organisée par le MIE, à travers le programme Distance Education and Teachers’ Training in Africa (DETA). Cet événement, avec la Dr Pritee Auckloo en tant que responsable principale, avait pour titre Technologies and Pedagogies for Distance Teacher Education. Cette participation à la DETA 2025 a permis de renouer des partenariats avec d’autres pays et des experts internationaux afin d’explorer les applications de l’IA dans l’éducation.
Le MIE a également développé des programmes de formation centrés sur l’intégration des outils numériques, notamment à travers des plateformes d’apprentissage en ligne et des environnements virtuels. Ces outils aident les enseignants à enrichir leurs pratiques pédagogiques tout en se préparant aux défis futurs, notamment la gestion de classes hybrides.
En août 2025, une déléguée académique, la Dr Brinda Oogarah-Pratap du MIE, a participé à la Global Smart Education Conference 2025, organisée par la Beijing Normal University en Chine, qui portait sur le thème «Human-AI Collaboration, Reshaping the Educational Ecosystem for the Future». Cette conférence, tout en mettant l’accent sur la collaboration entre l’homme et l’IA, souligne l’importance de tenir compte des réalités contextuelles pour utiliser l’IA de manière responsable, au lieu d’adopter une approche uniforme qui ne tiendrait pas compte des spécificités locales. Dans ce cadre, il est crucial non seulement de renforcer l’intégration de ces technologies dans notre système éducatif, mais aussi de promouvoir la visibilité du MIE à l’échelle nationale et internationale. Cela permettra de faire connaître les efforts innovants du MIE en matière d’éducation numérique et de collaboration, tout en positionnant l’institution comme un acteur clé dans le façonnement de l’avenir de l’éducation à Maurice, en Afrique et même dans le monde.
Nous voulons continuer sur cette lancée et nous souhaitons poursuivre et renforcer notre collaboration avec divers partenaires, tant au niveau national qu’international, afin de favoriser l’échange de connaissances, d’expertise et d’innovations dans le domaine de l’éducation.
Il est impératif que nos programmes de formation soient non seulement en adéquation avec les attentes du système éducatif mauricien, mais qu’ils répondent également aux défis contemporains.»
Quelles mesures seront prises pour garantir une éducation inclusive, notamment pour les enfants en situation de handicap ou issus de milieux défavorisés ?
Le MIE s’est toujours pleinement engagé à garantir une éducation inclusive pour tous les élèves, en particulier ceux en situation de handicap et issus de milieux défavorisés. Bien que les ressources pédagogiques adaptées, telles que les outils technologiques et les supports spécifiques, soient déjà en place, il est nécessaire de renforcer la formation des enseignants pour qu’ils puissent tirer pleinement parti de ces ressources.
Le MIE continue donc à mettre l’accent sur l’amélioration de la formation initiale et continue des enseignants afin qu’ils soient mieux préparés à utiliser des méthodes pédagogiques inclusives et à gérer la diversité en classe. Cela inclut également la nécessité de recruter des formateurs compétents et spécialisés, notamment des experts en éducation spécialisée, pour assurer une formation de qualité et soutenir les enseignants dans l’intégration de pratiques pédagogiques adaptées aux besoins de chaque élève. Pour cela, il nous faut aussi des fonds supplémentaires.
Pour les élèves issus de milieux défavorisés, le MIE continue à soutenir leur parcours avec des programmes socio-éducatifs, du tutorat scolaire et un accès renforcé aux technologies éducatives. De plus, la sensibilisation des élèves à la diversité et à l’inclusion sera intégrée dès le plus jeune âge pour encourager un environnement scolaire plus solidaire et respectueux.
Le MIE prévoit-il de renforcer ses partenariats avec d’autres institutions régionales ou internationales en matière de recherche et de formation ?
Oui, le MIE reconnaît l’importance de renforcer ses partenariats avec des institutions régionales et internationales, afin d’améliorer la qualité de la recherche et de la formation dans le secteur éducatif. Ces collaborations sont essentielles pour rester à la pointe de l’innovation pédagogique et pour partager les bonnes pratiques qui permettront de répondre aux défis actuels du système éducatif mauricien.
Nous travaillons déjà avec des partenaires d’Angleterre, de France, de La Réunion et de l’Afrique du Sud, entre autres. Nous envisageons de multiplier les partenariats avec d’autres universités, des centres de recherche et des organisations internationales dans le but de favoriser la mobilité académique, d’accéder à des ressources pédagogiques diversifiées et de participer à des projets de recherche collaboratifs qui auront un impact direct sur l’amélioration de notre système éducatif. Cela inclut des partenariats avec des institutions spécialisées dans l’éducation inclusive, le développement de l’intelligence artificielle dans l’éducation et l’éducation numérique.
Comment comptez-vous encourager la formation continue des enseignants en poste, notamment ceux qui exercent depuis plusieurs années ?
Le MIE prévoit de lancer plusieurs nouvelles formations pour soutenir le développement professionnel des enseignants. Nous introduirons bientôt le Teacher Diploma for Support Teachers, qui vise à offrir des outils et des approches spécifiques aux enseignants travaillant avec des élèves ayant des besoins éducatifs particuliers. Ces programmes permettront de renforcer l’inclusivité dans nos écoles et de garantir que chaque élève, quel que soit son handicap ou ses difficultés d’apprentissage, bénéficie d’un enseignement de qualité.
Nous développerons également de nouveaux programmes de PGCE (Postgraduate Certificate in Education), qui permettront aux enseignants en exercice d’approfondir leurs compétences pédagogiques tout en continuant à travailler. Ces programmes seront spécialement conçus pour répondre aux défis actuels du système éducatif et intégrer les nouvelles technologies éducatives, la gestion de la diversité et les méthodes d’enseignement innovantes.
En outre, nous proposerons des programmes de B.Ed (Hons) Top-Up pour les enseignants du primaire, ainsi que le Top-Up programme du Kreol Repiblik Moris.
En parallèle, le MIE encouragera la formation continue à travers des séminaires, des ateliers et des sessions de développement professionnel régulières. Ces formations permettront aux enseignants en poste, notamment ceux qui exercent depuis plusieurs années, d’être exposés aux dernières recherches pédagogiques et aux innovations dans le domaine de l’éducation. Des communautés de pratique seront également créées pour que les enseignants puissent partager leurs expériences, apprendre les uns des autres et se soutenir mutuellement dans leur développement professionnel.
Le MIE s’engage à offrir des formations flexibles et accessibles, permettant aux enseignants en poste de continuer à se perfectionner tout en conciliant leurs responsabilités professionnelles.
Quelles seront vos priorités en matière d’évaluation de la qualité des programmes offerts par le MIE ?
L’évaluation de la qualité des programmes au MIE est axée sur plusieurs priorités essentielles. Tout d’abord, nous nous assurerons que nos programmes sont alignés sur les standards nationaux et internationaux pour garantir leur rigueur académique et leur pertinence. Un système de feedback régulier est déjà en place auprès des enseignants et des élèves pour recueillir des avis constructifs et adapter nos programmes en fonction des besoins.
Le MIE repose sur un mécanisme d’assurance qualité rigoureux qui veille à ce que nos formations soient constamment adaptées aux besoins des élèves et aux exigences du système éducatif. Des indicateurs de performance sont utilisés pour mesurer l’efficacité des formations, en suivant notamment le parcours des diplômés et leur impact sur la qualité de l’enseignement dans les écoles. L’innovation pédagogique est également une priorité, avec une évaluation continue des outils numériques et des méthodes modernes d’enseignement intégrées dans les programmes.
Certains observateurs ont exprimé des réserves quant à votre nomination. Que répondez-vous à ceux qui estiment que cette expérience ne vous qualifie pas pleinement pour diriger une institution de formation ?
Je comprends que toute nomination suscite des questionnements, et je respecte pleinement la diversité des points de vue qui peuvent émerger à cet égard. On m’a confié une responsabilité et je remercie le gouvernement pour sa confiance. Je vais tout faire pour l’honorer et je m’engage à travailler en étroite collaboration avec le ministère de l’Éducation, afin de garantir une collaboration efficace dans l’évolution du système éducatif.
Toutefois, je tiens à souligner que la direction du MIE n’est pas seulement une question d’expérience préalable dans un poste similaire, mais aussi de vision stratégique, de leadership et de capacité à s’adapter aux besoins changeants de notre système éducatif.
Mon parcours professionnel, notamment plus de 25 ans dans le domaine de l’éducation, m’a permis d’acquérir une compréhension approfondie des défis pédagogiques et des réalités du terrain. J’ai eu l’opportunité de collaborer avec différents acteurs du secteur éducatif, ce qui m’a permis de développer une vision claire et pragmatique de l’évolution nécessaire pour répondre aux besoins de nos enseignants, de nos élèves et de notre société.
Quel message souhaitez-vous adresser aux jeunes pour qui le métier n’attire plus et à ceux qui débutent leur carrière ?
À ceux d’entre vous qui doutez de l’attrait du métier d’enseignant, je tiens à souligner que l’éducation reste une des forces les plus puissantes pour transformer la société et l’avenir de nos jeunes. Oui, l’enseignement comporte des défis, mais c’est aussi une aventure enrichissante où chaque jour offre l’opportunité de faire une différence dans la vie de vos élèves.
Pour ceux qui débutent leur parcours, je vous invite à envisager l’enseignement non seulement comme une carrière, mais comme une vocation où l’impact que vous aurez sur vos élèves, leur développement personnel et académique, aura des répercussions sur toute une vie. Au MIE, nous vous offrons la possibilité de vous former aux méthodes pédagogiques innovantes, d’apprendre à utiliser les technologies éducatives et de vous préparer à enseigner dans un environnement de plus en plus diversifié.
Finalement, l’enseignement est un engagement, mais c’est aussi une carrière où chaque journée est une occasion de contribuer à l’avenir de la nation. Au MIE, nous vous offrons les outils, la formation et le soutien nécessaires pour faire de vous des enseignants exceptionnels. Je vous encourage vivement à rejoindre notre communauté éducative pour écrire ensemble l’histoire de l’éducation à Maurice.

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