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Meurtre de Vanessa Lagesse en 2001: des failles dans les directives au jury mènent à l’acquittement de Bernard Maigrot

Bernard Maigrot avait été condamné à quinze ans de prison le 1er août 2024.

Les juges de la Cour d’appel ont relevé des failles majeures dans les directives données au jury, dans le procès intenté aux assises à l’homme d’affaires Bernard Maigrot. Cela pour le meurtre de la styliste Vanessa Lagesse. Ils ont évoqué un risque manifeste d’erreur judiciaire. L’homme d’affaires a, de ce fait, été acquitté 24 ans après les faits.

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La Cour suprême a annulé, le mardi 27 mai 2025, la condamnation de Bernard Maigrot dans l’affaire du meurtre de Vanessa Lagesse, survenu en mars 2001. Âgé de 63 ans et résidant à Cap Malheureux, il avait été reconnu coupable par un jury à une majorité de sept voix contre deux, puis condamné à 15 ans de prison par le juge Luchmyparsad Aujayeb.

C’est la cheffe juge Bibi Rehana Mungly-Gulbul qui a donné lecture du verdict mardi à 13 heures, en l’absence des deux autres juges ayant présidé le procès en appel, soit les juges David Chan Kan Cheong et Kesnaytee Bissoonauth. Le jugement d’appel, de 44 pages, conclut à un ensemble de manquements ayant porté atteinte au droit à un procès équitable. En conséquence, les juges ont ordonné que Bernard Maigrot soit acquitté.

Preuves circonstancielles

Selon les juges en appel, aucune directive n’avait été donnée au jury quant au cumul des preuves circonstancielles dans cette affaire. Soit les éléments de preuve pouvant les amener à conclure que Bernard Maigrot était présent sur les lieux du crime dans la nuit du 9 au 10 mars 2001.

Pour eux, le juge de la première instance a omis de porter à l’attention du jury qu’il n’y avait aucun autre élément de preuve permettant d’établir que l’ADN de Bernard Maigrot avait été déposé sur les pièces à conviction dans la nuit du 9 au 10 mars 2001 et non le 6 mars 2001.

D’après le Full Bench de la Cour suprême, les directives au jury auraient dû souligner qu’il n’y avait qu’un seul filament constitué de l’ADN et du sang de Bernard Maigrot sur deux pièces à conviction. Il n’y avait aucun autre élément de preuve pouvant permettre au jury de conclure que l’ADN ou le sang avaient été déposés sur quelconque pièce à conviction dans la nuit du meutre.

Preuves des experts

« The Judge’s direction on the expert scientific evidence in fact unnecessarily complicated the jury’s task and was of a nature to potentially confuse the jury (…) The Judge’s direction on the presence of Bernard Maigrot’s blood and DNA at the crime scene is limited and inadequate… », a constaté les juges en appel. Ces derniers ont indiqué que le juge de première instance n’a pas mis l’emphase sur le fait essentiel que les experts des deux parties, soit le Professeur Christian Doutremepuich de la poursuite et Dr Susan Pope et Professeur Christophe Champod de la défense, étaient d’accord sur le fait que même si l’ADN de Bernard Maigrot avait été détecté sur la scène, il est scientifiquement impossible d’en dater le dépôt, ni de déterminer quand et comment il a été laissé sur la scène de crime.

Le «expert evidence» n’était pas déterminante quant à la culpabilité de Bernard Maigrot, selon le Full Bench de la Cour suprême.

Ce dernier ajoute que le juge de première instance n’a pas dirigé le jury sur la présence des ADN masculin et féminin inconnus ou des empreintes digitales et de chaussures inconnues relevés sur les lieux.

Directives mal structurées au jury

Selon la Cour d’appel, le juge d’assises a omis de « guider adéquatement les jurés » sur la manière d’évaluer les preuves scientifiques et circonstancielles. Il n’a pas non plus indiqué comment ces éléments pouvaient ou non démontrer la présence de Bernard Maigrot sur les lieux au moment du crime. La Cour affirme que ces absences de directives ont nui à la compréhension des enjeux du procès par le jury.
Elle relève que « le juge n’a pas dirigé spécifiquement leur attention sur l’absence d’éléments permettant de conclure que l’ADN avait été déposé dans la nuit du 9 au 10 mars 2001 ».

L’alibi Desmarais

Aussi, l’alibi de Bernard Maigrot a également été abordé. L’homme d’affaires avait affirmé avoir passé la soirée du 9 mars 2001 en famille et chez une amie, soit Martine Desmarais. Et que la famille Maigrot avait quitté les lieux vers 00h45. Les juges ont souligné que l’épouse de l’homme d’affaires, Isabelle Maigrot, avait confirmé cette version dans une déclaration faite lors de l’enquête préliminaire dans cette affaire.

La Cour d’appel reproche au juge de la première instance de ne pas avoir correctement rappelé au jury que le fardeau de la preuve de réfuter cet alibi incombait à la poursuite.

Elle a noté que le jury n’a pas été invité à considérer les implications du fait que « depuis 2001, Bernard Maigrot avait déjà fourni une version claire de ses déplacements, bien avant que les preuves ADN ne soient produites ».

Elle relève aussi que le juge de la cour d’assises n’a pas donné ce qu’on appelle une Lucas direction au jury. Cette directive vise à rappeler aux jurés que mentir ne signifie pas automatiquement que la personne est coupable.

Les juges en appel ont soutenu qu’une personne peut mentir pour différentes raisons : par honte, par peur ou pour protéger sa famille. Bernard Maigrot avait initialement nié sa relation avec Vanessa Lagesse avant de l’admettre. Or, la poursuite a utilisé ce changement de version pour soutenir qu’il essayait de cacher son implication dans le meurtre.

Selon la Cour d’appel, il était essentiel que le jury soit informé que ce mensonge, s’il en est un, ne suffisait pas à prouver sa culpabilité. La Cour souligne aussi que l’absence de cette directive a pu fausser l’évaluation de la crédibilité de l’homme d’affaires par le jury, en l’amenant à conclure trop rapidement que Bernard Maigrot avait quelque chose à cacher sur le crime lui-même.

Finalement, la Cour d’appel a estimé que les manquements dans le déroulement du procès rendaient la condamnation injuste, et a ordonné son acquittement. « Dans le cas présent, nous ne sommes pas convaincus qu’un jury correctement dirigé aurait inévitablement condamné l’appelant (Bernard Maigrot). (…) Il s’agit d’un cas où il y aurait clairement un risque important d’erreur judiciaire si la condamnation était maintenue », écrivent les juges.

Bernard Maigrot citant la Bible : « Je vous enverrai l’esprit de la vérité »

À la sortie de la Cour suprême, après l’annonce du verdict annulant sa condamnation, Bernard Maigrot a livré une déclaration brève, mais a choisi de s’exprimer à travers une citation biblique.

« Je vais vous dire une chose. Je suis catholique, et ce matin, en lisant la Bible, j’ai vu ceci : Je vous enverrai l’esprit de la vérité. Je n’ai rien de plus à dire », a-t-il souligné, avant de quitter les lieux.

Quant à Mᵉ Rishi Hardowar, l’un des avocats de Bernard Maigrot, il a lui aussi été très bref dans sa déclaration : « La vérité a triomphé ».

Me Rashid Ahmine, le DPP : « On va examiner le jugement et on prendra une décision »

Quant à Mᵉ Rashid Ahmine, le Directeur des Poursuites Publiques, il a indiqué, à sa sortie de la Cour suprême, qu’il allait examiner attentivement le jugement avant de prendre une décision.

Il a précisé que la Cour suprême a annulé la peine de quinze ans de prison infligée à Bernard Maigrot au motif que le juge de première instance avait donné aux jurés des directives jugées « erronées » et que le verdict de la cour d’assises est « incorrect ».

« On va examiner le jugement et on prendra une décision », a-t-il déclaré.

L’Attorney General Gavin Glover : « Pas de commentaire »

Sollicité pour une déclaration, l’Attorney General, Mᵉ Gavin Glover, Senior Counsel et auparavant un des principaux avocats de Bernard Maigrot, a soutenu que : « Ma position actuelle ne me permet pas de faire un quelconque commentaire sur l’affaire ».

Les dates clés du procès de Bernard Maigrot pour le meurtre de Vanessa Lagesse

  • 10 mars 2001 : Vanessa Lagesse, âgée de 38 ans, est retrouvée morte à son domicile à Grand-Baie.
  • 23 avril 2001 : Bernard Maigrot est arrêté par la police.
  • 6 juillet 2001 : L’homme d’affaires est libéré sous caution.
  • Mai 2003 : L’enquête préliminaire débute devant le tribunal de Mapou.
  • 28 novembre 2007 : Le tribunal de Mapou renvoie Bernard Maigrot devant la cour d’assises.
  • Juillet 2008 : L’enquête policière est rouverte.
  • 23 mai 2011 : L’homme d’affaires est de nouveau arrêté. Il est libéré sous caution le 3 juin 2011.
  • Mai 2012 : Une accusation formelle de « Manslaughter » est déposée contre Bernard Maigrot devant la cour d’assises.
  • Février 2022 : Le bureau du DPP dépose, pour la deuxième fois, un avis de « Discontinuance of proceedings »
  • Février 2022 : Bernard Maigrot est convoqué par la police dans le cadre de l’enquête.
  • 21 février 2022 : Un procès formel est ouvert devant la cour d’assises, où Bernard Maigrot est poursuivi pour « Manslaughter ».
  • 27 juin 2024 : Bernard Maigrot est reconnu coupable du meurtre de la styliste Vanessa Lagesse par un jury à une majorité de sept voix contre deux.
  • 1er août 2024 : L’homme d’affaires est condamné à quinze ans de prison.
  • 6 décembre 2024 : Il retrouve la liberté sous caution en attendant son appel, entendu du 25 au 27 mars 2025.
  • 27 mai 2025 : En appel, la Cour suprême annule sa peine de quinze ans de prison.
  • Nou Lacaz

 

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