
Judex Rampaul, porte-parole du syndicat des pêcheurs, tire la sonnette d’alarme : « Nou pe al ver enn disparision organize ». Il dénonce certaines mesures du Budget 2025-26.
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Le Budget 2025-2026 se veut résolument tourné vers une pêche durable. Mais pour Judex Rampaul, porte-parole du syndicat des pêcheurs, les mesures annoncées marquent, au contraire, le début d’un démantèlement silencieux de la pêche artisanale à Maurice. Il dénonce un plan qui oublie l’essentiel : la réalité de terrain et la précarité d’une profession en voie d’extinction.
Parmi les mesures phares du Budget 2025-26, la construction de Fish Landing Stations à Bain-des-Dames et à Pointe-aux-Sables et une compensation financière allant jusqu’à Rs 300 000 pour ceux qui acceptent de se retirer du métier. Si le gouvernement affirme vouloir restructurer le secteur et protéger les ressources marines, les pêcheurs, eux, y voient une mise à l’écart.
« On nous pousse gentiment vers la sortie, sans s’attaquer aux vrais problèmes : l’absence de soutien, de relève, de formation. ‘Nou pe al ver enn disparision organize’ », estime Judex Rampaul.
Selon lui, la pêche artisanale est à bout de souffle. La majorité des pêcheurs actifs ont 50 à 70 ans. Le métier, peu valorisé et peu rentable, n’attire plus. Pire encore, la récente décision de retirer les cartes de pêche aux plus de 65 ans inquiète. « Beaucoup de ces pêcheurs travaillent encore, non par passion, mais parce qu’ils n’ont pas le choix. Les éliminer sans préparation, c’est effacer un savoir vivant sans transmission », avance Judex Rampaul.
La somme de Rs 200 000 prévue pour ceux qui acceptent de raccrocher les filets ne suffit pas à rassurer. « Qu’est-ce que ça représente aujourd’hui, après une vie passée en mer, sans retraite ni sécurité sociale ? Cette compensation ne couvre même pas les besoins de base d’un ménage. »
Judex Rampaul regrette que les décisions soient prises sans consultation. « On impose, on tranche et on n’écoute pas. »
Les assises de l’océan
Le Premier ministre et ministre des Finances a annoncé la tenue prochaine des assises de l’océan, réunissant les acteurs clés de l’économie bleue. Pour Judex Rampaul, cette rencontre pourrait être décisive à condition que les pêcheurs soient réellement associés aux discussions. « Si ce sont encore de nominés politiques ou des technocrates déconnectés, elles ne serviront à rien. Ce sont les pêcheurs qui connaissent les cycles marins, les périodes critiques, les zones sensibles. On ne peut pas construire une politique durable sans leur expertise. »
Le syndicaliste dénonce une approche centralisée, qui privilégie les restrictions plutôt que l’accompagnement. « On veut nous faire croire qu’on protège la mer en restreignant notre activité. C’est une vision punitive, pas une transition juste. »
Depuis des années, il milite pour une politique de décentralisation, qui donnerait davantage de pouvoir aux communautés côtières. « L’avenir de la mer passe par ceux qui en vivent. Il faut les responsabiliser, pas les exclure », insiste-t-il.
Au-delà des annonces budgétaires, Judex Rampaul appelle à une refonte complète du modèle. « Ce n’est pas avec des mesures ponctuelles qu’on sauvera ce métier. Il faut une vision à long terme, des décideurs engagés, et surtout, du respect pour ceux qui tiennent encore la barre malgré les vents contraires. »
Alors que Maurice étend sa souveraineté maritime avec la rétrocession des Chagos, une chose est sûre : l’économie bleue ne pourra se construire sans les artisans de la mer, affirme-t-il. Faute de quoi, elle restera une promesse échouée sur les récifs de l’oubli.
Les mesures budgétaires
- Fourniture d’un kit de premiers secours gratuit à tous les pêcheurs
- Installation d’aides à la navigation, d’aides à l’amarrage et de lampes communautaires dans toutes les installations portuaires à travers l’île.
- Construction de trois nouveaux Fish Landing Stations.
Augmentation des indemnités de retraite pour les pêcheurs qui rendent leur carte :
- De Rs 125 000 à Rs 200 000 pour les pêcheurs traditionnels âgés de 65 ans.
- De Rs 125 000 à Rs 200 000 pour les pêcheurs de pêche au filet.
- De Rs 250 000 à Rs 300 000 pour les coopératives.
Une profession en péril
Depuis plus de 40 ans, Patrick Momplé prend la mer comme on va au combat. À 59 ans, ce pêcheur de Rivière-Noire ne compte plus les jours passés à traquer le poisson, à braver les éléments, à vivre de peu. Un métier qu’il a choisi jeune, par passion, mais qui s’épuise aujourd’hui autant que les ressources marines.
Le regard durci par l’expérience, il confie qu’il n’attendait plus grand-chose du Budget 2025-26. Mais il espérait tout de même un signe. « Pour moi, la pêche n’a plus d’avenir. J’ai consacré toute ma vie à ce métier, et je ne vois aucune amélioration. On parle de relance de la pêche artisanale, mais personne ne nous écoute », déplore-t-il.
Dans les annonces budgétaires, il reconnaît quelques efforts, mais aucun ne touche, selon lui, le cœur du problème. « Ce budget ne me parle pas. Il ne parle pas aux pêcheurs. On demande des solutions concrètes, on nous donne autre chose. » Un exemple ? « À Rivière-Noire, on a un gros problème pour pêcher le thon. On a demandé des bateaux adaptés, rien n’a été fait. »
La mer, jadis généreuse, semble aujourd’hui vidée. Non pas par la nature, mais par ceux qui l’exploitent sans limites. Patrick Momplé dénonce une surpêche incontrôlée et des pratiques illégales qui mettent en péril l’équilibre déjà fragile du secteur. « On voit de grands bateaux venir tout ramasser. Et nous, les petits pêcheurs, on rentre bredouilles. Ça dure depuis longtemps, mais personne ne prend les choses au sérieux. »
Parmi les mesures qui l’ont le plus choqué : le retrait automatique des cartes de pêche aux pêcheurs qui ont plus de 65 ans, contre une compensation unique de Rs 200 000. Une somme jugée dérisoire au regard d’une vie entière passée en mer. « C’est injuste. Beaucoup de pêcheurs âgés sont encore en bonne santé et veulent continuer. Pourquoi les forcer à tout arrêter ? Rs 200 000, aujourd’hui, ce n’est rien. Ce n’est pas ça qui va faire vivre quelqu’un qui a passé sa vie en mer. »
Ce qui blesse le plus Patrick Momplé, ce n’est pas tant la mesure en elle-même que la manière dont elle a été décidée : sans dialogue, sans nuances. « Ceux qui prennent ce genre de décision ne comprennent pas la réalité de notre pauvreté. Nous, on vit au jour le jour. Cette mesure aurait dû être optionnelle, pas imposée. »
Il le dit avec calme, sans colère apparente, mais avec une lassitude pesante. Celle de voir un métier mourir lentement, faute d’écoute et de vision. Le constat est amer, mais lucide : la relève ne viendra pas. « Les jeunes ne sont plus attirés par la pêche. Et je les comprends. Quand ils voient dans quelles conditions leurs parents ont travaillé, sans sécurité, sans soutien, ils n’ont pas envie de suivre la même voie. »
Patrick Momplé craint que la pêche artisanale ne s’éteigne à petit feu. « Nous sommes déjà affaiblis. Cette mesure ne fera que nous diviser davantage. Le métier de pêcheur risque de disparaître, tout simplement. »
« Voilà comment on nous remercie… »
À Baie-du-Tombeau, difficile de ne pas connaître Mamed. Depuis quarante-cinq ans, il est de toutes les marées, silhouette familière du lagon. Mais aujourd’hui, à 65 ans, ce vétéran de la mer se trouve au cœur d’une tempête qu’il n’a pas choisie : la nouvelle mesure budgétaire l’oblige à restituer sa carte de pêche en échange d’une compensation de Rs 200 000. Une décision qui le laisse amer et inquiet.
« Cette décision n’est pas correcte du tout », dit-il. Tout juste engagé dans un emprunt pour l’achat d’un moteur et de nouveaux casiers, il voit son avenir chavirer. « Comment vais-je rembourser mon prêt ? Comment vais-je subvenir aux besoins de ma famille ? »
Pour Mamed, c’est moins une réforme qu’un couperet. Il s’attendait à une reconnaissance, à des réformes qui partent du terrain, pas à une mise à l’écart sans ménagement. « Après quarante-cinq ans de dur labeur, c’est comme ça qu’on nous remercie ? »
Son regard se tourne vers le lagon, qu’il a vu s’appauvrir au fil du temps. Ce déclin, il ne l’impute pas aux pêcheurs artisanaux, mais à un manque de vision. « Ce n’est pas en reprenant nos cartes qu’on va régler la crise de la pêche. Il aurait fallu lancer des projets pour repeupler certaines zones. Là, il n’y a aucun changement. »
À Baie-du-Tombeau, la grogne monte. « On se sent oubliés, méprisés. S’il n’y a pas de discussions avec le gouvernement, il y aura des manifestations. » Mamed ne mâche pas ses mots. Il est encore en forme, capable d’affronter la mer : « Pourquoi me forcer à arrêter ? » Comme d’autres, il appelle à une approche plus humaine. « Le métier de pêcheur, c’est une vocation. Ce n’est pas juste un emploi. On ne peut pas traiter les hommes de la mer comme de simples chiffres dans un tableau budgétaire. »
« Il faut aller à la racine du problème »
À Poudre-d’Or, Jérôme est une autre voix qui s’élève. À 47 ans, dont vingt-sept passés à naviguer, il ne cache pas son inquiétude : la pêche artisanale, dit-il, est en train de s’éteindre.
« Le système est malade », lâche-t-il. Pour lui, le cœur du problème est ailleurs. Ce sont les abus des plus gros, l’absence de règles claires sur la mer, l’injustice flagrante dans le partage des ressources. « Ce n’est pas en nous sanctionnant qu’on va sauver la mer. »
Le marché du poisson, devenu business lucratif, semble avoir perdu son âme. Et les petits pêcheurs paient le prix fort : « Ceux qui font des profits ne sont jamais inquiétés. Nous, on subit. »
Mais ce qu’il dénonce avant tout, c’est l’absence d’écoute. Aucun responsable n’est venu les voir, ni même leur expliquer les nouvelles mesures. « Comment peut-on prendre des décisions justes si on ne vient pas sur le terrain ? »
Pour lui, la solution passe par le dialogue. Pas un monologue technocratique, mais une refonte du système, pensée avec ceux qui connaissent la mer. « On peut aider à mettre en place une pêche durable, mais encore faut-il qu’on nous fasse confiance. »
Sans action rapide, prévient-il, la pêche artisanale ne survivra pas. « C’est maintenant qu’il faut agir. Il faut des décisions courageuses, prises avec ceux qui vivent la mer, pas contre eux. »

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