L’ancien Chief Executive Officer d’Air Mauritius ouvre des pistes pour une sortie de la crise des retards et annulations de vol à laquelle la compagnie fait face depuis mi-décembre. Il explique aussi les raisons ayant mené à cette situation, tout en soulignant qu’elle aurait pu être évitée. Megh Pillay n’est pas réfractaire à l’entrée de partenaires crédibles pouvant apporter leur expertise dans l’actionnariat de MK.
Les avions d’Air Mauritius font face à une série de problèmes techniques depuis plusieurs semaines. Est-ce une situation qui aurait pu être évitée ?
Cette situation qui devient chronique est insoutenable à terme. Les annulations et reprogrammations successives des vols entraînent des pertes énormes et des inconvénients avec des répercussions qui ternissent l’image de marque qu’Air Mauritius s’est créée comme opérateur historique fiable et très efficace. Bien sûr, qu’on aurait pu l’éviter. Mais au lieu de confronter cette réalité et de s’y adresser résolument, on préfère se cantonner dans le déni et faire croire que c’est simplement de la mauvaise communication exacerbée par les réseaux sociaux et par l’état des relations industrielles prévalant au sein de l’entreprise. Si on continue de « bark up the wrong tree », il est à craindre que le transporteur national pique du nez pour de bon cette fois-ci.
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Quelles leçons doivent être apprises ?
Quand on émerge d’une administration judiciaire qui avait pris la direction d’une simple liquidation avortée au dernier moment, on ne peut jamais être back in business du jour au lendemain comme si de rien n’était, en se fiant sur les moyens de bord. L’administration n’avait pas seulement amputé sa flotte, mais dépouillé MK de ses effectifs d’expérience et de son business model sans les remplacer. Comme on n’a vu aucun business plan après 18 mois de restructuration, il était clair qu’on se dirigeait tout droit vers une liquidation et qu’on n’avait pas prévu de retour aux affaires. Dans ces circonstances, MK aurait dû se donner les moyens de ses ambitions avant de se lancer dans ses objectifs annoncés à grand bruit. Quand on est à court d’avions, on ne projette pas de voler dans toutes les directions et vendre des billets. On se focalise plutôt sur la desserte des destinations lucratives ciblées. On engage ensuite des discussions avec des partenaires capables de pallier notre manque de capacité, mais disposer à partager coûts et revenus.
La direction d'Air Mauritius a évoqué des pannes de moteur de ses nouveaux Airbus A350. Est-ce qu’il prenait toujours aussi longtemps pour dépanner les avions ?
Non. Auparavant, on avait des accords solides avec Airbus, Air France et Lufthansa Technik, et des ingénieurs très capables de faire bouger les choses par téléphone ou email avec les responsables. Le problème des moteurs Rolls-Royce immobilisant les Airbus A350 sur lesquels MK dépend peut prendre du temps à régler. Il faut savoir que Rolls Royce fut contraint de rappeler ses moteurs sur une trentaine d’avions en 2017 après l'apparition de problèmes suivant l’érosion et la fissuration des pales des moteurs. Leur réhabilitation a pris deux ans. Les premiers A350 de MK étaient livrés en cette même période, donc susceptibles de souffrir les mêmes défaillances. Au récent salon aéronautique de Dubaï, le PDG d’Emirates, Tim Clark, a annoncé qu’il n’est pas prêt à faire des compromis en obtenant un prix inférieur pour les A350, « car acheter un avion qui ne fonctionne pas comme souhaité n'a aucun sens. La fiabilité est particulièrement importante pour les transporteurs ». Autre leçon à tirer : il ne faut pas signer les contrats d’avions sans garantie qu’en cas de défaillance, le fournisseur assurera la continuité des services de MK par un remplacement d’appareil ou de moteur dans les plus brefs délais, peu importe où se trouve l’avion concerné. Ceux qui signent les contrats doivent rendre des comptes même s’ils ne sont plus à MK. Les derniers remous menant au départ de certains de la direction de MK démontrent que le Board en a pris conscience en dépit des ‘golden handshakes’. La complaisance frise la complicité. Elle doit être lourdement punissable dans les exercices de Procurement.
Certains spécialistes de l’aviation soutiennent que la vente de deux A319 et deux A340 durant l’administration volontaire en 2021 a été une erreur qui aurait pu éviter la situation actuelle. Qu’en pensez-vous ?
On n’a pas besoin d’être spécialiste de l’aviation pour le savoir. N’importe qui avec un peu de bon sens dira exactement la même chose à travers le pays, car ce qui se passe à Air Mauritius interpelle chaque Mauricien et ils ne sont pas stupides. Ces avions vendus pour presque rien du tout vaudraient leur pesant d’or aujourd’hui. Ils ont été assemblés sur les spécifications répondant parfaitement aux besoins opérationnels de MK qui n’ont pas changé. Ils ont été maintenus en parfait état de voler en toute sécurité, il y avait des stocks importants de pièces de rechange et des accords de ‘pooling’ et partage de pièces détachées, des ingénieurs mauriciens formés pour leur maintenance, des corps de pilotes et du personnel navigant accrédités et certifiés pour les opérer.
Avec ces deux Airbus A319, deux A340-300 et deux A330 dans sa flotte, MK n’aurait probablement pas connu ces déboires même avec un management médiocre. Dans le rapport final de l’Administrateur, il est dit que les deux Airbus A 319 ont été vendus pour la ridicule somme de 6 millions de dollars et les deux gros-porteurs Airbus A 340-300, en consignation, à un ‘démolisseur’ pour 350 000 dollars payables qu’à la vente des pièces dans deux ans. Peu avant, ces deux avions avaient été remis à neuf avec des intérieurs, sièges et systèmes de divertissement (IFE) dernier cri à bord. Aujourd’hui, on opère des vols avec des avions pris en location à un prix très cher et qui sont bien plus vieux, mal entretenus, avec plusieurs sièges inutilisables, sans In-Flight Entertainment et tombant en panne à une fréquence alarmante. Pourtant, bien avant la fin de l’administration, il était prévu que l’aviation commerciale allait très vite retrouver son niveau pré-COVID-19. Ces avions sont partis pour moins de Rs 290 millions. Ils étaient économiquement exploitables sur plusieurs bonnes années, permettant des coûts d’opération très bas. Avec ces appareils, MK aurait pu redécoller en toute confiance. Il ne lui reste, malheureusement, que des avions coûtant très cher à opérer et susceptibles aux problèmes de dentition, puisqu’ils ne sont pas muris. On voit mal le gouvernement lésinant sur Rs 300 millions pour sauvegarder la flotte du moment qu’il avance Rs 12,5 milliards pour renflouer MK. Donc, on peut dire qu’on aurait pu facilement éviter cette situation chaotique si on ne s’était pas pressé pour vendre.
Comment équilibrer les impératifs de sécurité et de satisfaction des passagers face aux problèmes techniques de la flotte ?
Au fait, c’est précisément en se conformant aux impératifs de la sécurité que les problèmes techniques des avions se révèlent au grand jour. Les règles et les procédures de l’aviation civile imposent des conditions rigoureuses et des normes de navigabilité des avions de transport commercial ainsi que de leurs équipages, normes qui doivent être scrupuleusement respectées par ceux autorisés à poser et décoller de leurs aéroports et de voler dans leur espace aérien, le tout sous leur supervision et contrôle. Donc, un avion reste forcément cloué au sol aussi longtemps que toutes ces conditions ne sont pas satisfaites. Pour leur sécurité, des passagers acceptent ces retards de bon gré, si les raisons sont claires et les circonstances sont crédibles. Mais ces règles imposent aux opérateurs la prise en charge et la compensation pour les inconvénients des correspondances ratées, des réservations de transport et d’hébergement perdues etc… mais quand cela devient la règle au lieu de l’exception, c’est inacceptable. Il n’y a pas 36 solutions, il faut utiliser les appareils les mieux adaptés à chaque vol, du personnel compétent au sol et en vol, une communication sans faille car les passagers sont contrariés et doivent savoir de quoi ils sont obligés de se réorganiser, et surtout aspirer à atteindre une ponctualité des opérations. La rigueur est indispensable dans la gestion de MK. Ce qu’il lui faut, ce n’est pas la mer à boire, MK ayant connu ce niveau de performance pendant très longtemps.
Depuis la mi-décembre, la compagnie aérienne fait face à une série d’annulations et reports au niveau des vols provoquant colère et incompréhension parmi les passagers. Est-ce que cela pourrait avoir une répercussion sur la réputation d’Air Mauritius en tant que compagnie aérienne fiable ?
L'exploitation de la flotte réduite a été poussée au-delà des limites pendant la haute saison touristique, révélant dramatiquement des faiblesses structurelles de l’organisation qui impactent négativement sur la qualité de service à tous les niveaux opérationnels et commerciaux. Air Mauritius ayant joui d’une réputation de transporteur international fiable au fil des années de son existence, il est évident que sa réputation a pris un sale coup. Au lieu d’un ressaisissement, il y a eu depuis une répétition fréquente de ces incidents touchant un plus grand nombre de voyageurs. Les scènes de chaos sur les grands aéroports desservis par MK continuent à être projetés sur les médias à une fréquence sans précédent. Cela ne nuit pas seulement à la réputation de MK mais aussi et surtout l’image de Maurice, MK étant son « national carrier », son porte-drapeau. Le plus grand nombre de touristes venant d’Europe préféraient MK, car ils aiment se sentir dépaysés en foulant le seuil de nos avions à Paris, Londres et autres et de ne sentir la fin des vacances qu’à l’atterrissage de MK à leur retour dans leurs pays. Ils adorent le sens de l’hospitalité mauricienne du personnel navigant de MK. Tout cela fait partie du package offert de la destination Maurice. Il est donc à craindre que ce qui se passe à MK ne soit répercuté sur l’ensemble de notre écosystème. En période de pointe, ce sera moins évident, mais il faut se préparer pour l’avenir.
Comment restaurer la confiance des passagers après cette série d’incidents techniques ?
Back to basics ! Il faut réinstaurer le professionnalisme au sein de la gouvernance de MK. Qu’elle soit une compagnie privée, un joint-venture public/privé, ou purement étatique, une ligne aérienne se gère comme une entreprise avec un Board constitué de membres prêts à honorer sans manquement leur obligations fiduciaires envers MK et une équipe de Management capable. Les décisions sont prises par des professionnels en connaissance de cause et non dictées par des éléments externes qui ne voient qu’une partie du broader picture et sans le moindre égard des conséquences des mauvaises décisions. La machinerie de décision fonctionnera à merveille. La gestion d’Air Mauritius n’est pas la rocket science. Il faut éviter la subjectivité, décider en toute conscience et respecter un processus structuré partagé par les parties prenantes. Les incidents techniques, il y en aura toujours, mais ils sont gérables. Les passagers et autres éléments de l’écosystème n’en seront même pas conscients si ces incidents sont gérés efficacement. Rien à inventer, Air Mauritius ayant déjà connu cette situation.
Depuis le 6 mars, Air Mauritius a un nouveau CEO en la personne de Charles Cartier. Quelles devraient être ses priorités ?
Il sera très présomptueux de ma part de répondre à cette question ! À l’exception d’Amédée Maingard, Krešimir Kučko et Charles Cartier, j’ai connu tous les CEO de MK avant et après mes deux passages à la direction et nous maintenons de très bonnes relations. Un CEO est la personne la mieux placée pour décider de ses priorités ponctuelles, à court, moyen et long termes. Il faut le respecter.
Une des premières décisions prises a été la mise en place d’un Operations Advisory Committee composé de cinq hauts responsables de la compagnie en attendant la nomination d’un Chief Operating Officer. Est-ce une bonne idée ?
Àchacun son approche en assumant les fonctions de CEO d’une entreprise en marche et qu’on ne connaît pas encore de l’intérieur. J’étais encore CEO à MT quand j’ai accepté le poste de Managing Director à MK la première fois. On m’avait accordé 15 jours pour faire la transition comme il fallait immédiatement assumer le rôle de Accountable Manager d’Air Mauritius pour les besoins obligatoires des autorités de l’aviation civile des pays survolés ou desservis. Pendant une heure chaque jour, je recevais à la Telecom Tower à tour de rôle chaque chef de département de MK. Certains d’entre eux plus souvent. C’était ma façon de me familiariser avec les rouages de MK avant de présider les management meetings hebdomadaires. Pour respecter le principe de deux paires d’yeux et deux paires d’oreilles à ces réunions, on invitait les adjoints à participer à toutes les réunions. Le nouveau CEO est dans une situation inédite et très difficile. Il faut lui donner du temps pour prendre ses repères.
Sur le plan des finances, Air Mauritius semble être dans une position saine. De juillet à décembre dernier, elle a ramené Rs 16,2 milliards de revenus, soit Rs 3 milliards de plus sur la période équivalente en 2022, et a engrangé Rs 838 millions de profits comparé aux Rs 510 millions à la période équivalente en 2022, comme l’a affirmé Ken Arian, président d’Airport Holdings Ltd, dans une interview publiée dans Le Défi Plus le 9 mars. Les déboires financiers sont du passé ?
C’est déjà très bien. On ne connaît pas les détails de ces résultats et il n’est plus certain que MK les publie comme on l’avait toujours fait pour l’information des actionnaires et du public dans le passé. La santé financière se mesure par le revenu par siège-mile disponible, le RASM (Revenue per Available Seat Mile), qui reflète la capacité à générer des revenus à partir de la capacité en sièges disponibles. Cela dit, on sait qu’après la reprise des opérations, les sièges disponibles se vendaient à deux fois plus cher qu’avant la COVID-19 et que la demande de sièges excédait largement l’offre. Le plus important et ça, on le savait depuis toujours, c’est une confirmation que le potentiel économique de MK est énorme et reste sous-exploité. La mesure est très utile pour MK qui opère dans un marché concurrentiel car elle lui permet d'optimiser ses stratégies tarifaires et maximiser ses revenus. Donc, l’importance pour le pays que MK soit géré professionnellement et indépendamment de la politique partisane.
Avec recul, est-ce que la création d’AHL pour rassembler toutes les activités aéroportuaires et d’aviation sous un seul holding était une bonne idée ?
Même sans recul, on savait que c’était une très mauvaise idée, probablement conçue pour d’autres raisons que la fiabilité de MK.
Est-ce que la venue d’autres partenaires dans l’actionnariat d’Air Mauritius pourrait apporter un plus ? Si oui, quel genre de partenaires ?
Oui, si on respecte leur investissement dans le capital et on accueille leur participation dans le Board pour le bien d’Air Mauritius et non pas que pour se plier aux directives politiques au risque de subir des dommages collatéraux. Les partenaires fondateurs tels qu’Air France, British Airways et Air India ont contribué massivement à projeter Air Mauritius dans le monde de l’aviation commerciale internationale depuis sir Harry Tirvengadum.
À mesure que MK grandissait sous Nash Mallam-Hassam et sous ma garde, ils ont jeté de tous leurs poids pour nous aider à nous procurer des précieux créneaux particulièrement convenables par rapport à notre position géographique à London Heathrow, Paris Charles de Gaulle et à ouvrir les portes ailleurs. Ils partageaient généreusement l’intelligence de marché, qu’Air Mauritius n’avait pas les moyens de se procurer, et ils participaient activement aux délibérations du Board tout en aidant volontiers le Management à toute heure en mettant à sa disposition leurs propres moyens. Leur présence au Board imposait un certain niveau de débat et décourageait les ingérences indésirables contraires aux intérêts de MK, caractéristiques de certains nominés politiques ou fonctionnaires complaisants. Nos accords de partenariats étaient tous des arrangements win-win. Le capital de MK peut aussi s’ouvrir aux partenaires financiers qui pourront apporter un plus. En général, ils sont réfractaires à l’ingérence nuisible dans les affaires courantes, et défendront la bonne gouvernance et les stratégies commerciales favorisant la capacite de générer revenus et profits, et orientées vers des résultats solides. Un retour en Bourse leur permettra de sortir avec du plus-value quand ils le souhaitent. L’ouverture du capital est donc souhaitable mais les conditions doivent être recréées pour restaurer la confiance après tout ce qui s’est passé ces dernières années.
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