Interview

Me Steven Sengayen sur le recours au Privy Council : «Une justice indépendante et impartiale pour les Mauriciens»

Me Steven Sengayen

L’avocat Steven Sengayen de Steven and Associates Law Firm énumère les étapes pour recourir au Privy Council, instance indépendante pour les justiciables mauriciens. Une procédure qui peut s’avérer coûteuse pour le citoyen mauricien qui a aussi l’option de saisir la Cour suprême de Maurice.

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« Le CJCP est un atout pour Maurice car il apporte un double contrôle de la Constitution. »

Quelle est la particularité du Comité judicaire du Conseil privé de la reine d’Angleterre, par rapport à celui du système judiciaire mauricien ?
On dit que le Comité judiciaire du Conseil privé (CJCP) de la reine d’Angleterre est une juridiction de dernier recours à Maurice. On peut se demander ce qu’est le CJCP de la reine d’Angleterre, car sa présence dans l’organigramme judiciaire est parfois mal comprise.

Le recours fut possible dès 1810 lorsque l’ile Maurice devint colonie britannique. Quand le pays accéda à l’Independence en 1968, le législateur mauricien décida de promulguer The Mauritius Appeals to Privy Council Order 1968 qui a permis au CJCP d’être une juridiction de dernier recours.

En outre, le CJCP est maintenu dans la Constitution (article 81) de notre pays grâce à la Mauritius Republic Act 1992.

Le CJCP est une institution indispensable car il protège les droits fondamentaux des citoyens et les droits de l’homme. Il est un tribunal supérieur contrôlant les décisions des cours nationales dites suprêmes. Le CJCP se trouve au sommet de la hiérarchie judiciaire, c’est-à-dire, une instance indépendante et impartiale pour les justiciables mauriciens.

D’ ailleurs, le CJCP est un atout pour Maurice qu’on doit chérir car il apporte un double contrôle constitutionnel après la Cour suprême. Les décisions rendues par les Law Lords britanniques jouissent d’une réputation internationale enviable, ce qui fait la crédibilité du système judiciaire mauricien. On peut le comparer aux systèmes judiciaires de pays développés.

Quand et comment peut-on recourir au Privy Council ?
Il existe à Maurice des cours d’appel civile et pénale, chacune étant une division au sein de la Cour suprême. Les juges sont ceux de la Cour suprême. Cependant, un autre appel peut être interjeté devant le CJCP, en vertu de l’article 81 de la Constitution.

Le pourvoi à Londres est soumis à la condition d’une autorisation émise par la Cour suprême de Maurice.

La Cour suprême est la seule juridiction compétente pour autoriser un appel au CJCP. Il s’agit d’une décision définitive dans toutes les affaires impliquant l’interprétation de la norme constitutionnelle en matière législative et en cas de litiges. L’article 81 de la Constitution mentionne qu’il s’agit d’un pourvoi contre les décisions de la cour d’appel ou de la Cour suprême devant le CJCP. Celui-ci rend des décisions sur des questions de droit et non de faits. Et dans tous les cas, il faut satisfaire des conditions précises, sinon la Cour suprême rejette la demande d’appel. Le CJCP ne fait que renverser ou confirmer la décision de la Cour suprême.

Au préalable, doit-on avoir l’autorisation de la Cour suprême pour recourir au Privy Council ?
Il existe trois façons de recourir au CJCP. Il faut que l'appel interjeté par la personne relève d’une question de droit. Par exemple, une personne peut avoir recours au CJCP à l’encontre des décisions définitives dans toute procédure civile ou pénale sur des questions d’interprétation de la Constitution. Ou à l'encontre d'une décision définitive dans toute procédure civile lorsque l’objet du litige est égal à ou excède Rs 10 000, ou lorsque sont concernées les procédures prévues par l’article 17 de la Constitution. Deuxièmement, une personne peut faire appel d’une décision de la Cour suprême après avoir obtenu l’autorisation de celle-ci, en vertu de l’article 81 (2) de la Constitution, si le litige relève d’une grande importance générale ou publique.

Le Special Leave est aussi une façon de recourir au CJCP. Cette procédure est applicable si la Cour suprême refuse d’accorder une autorisation de recourir au CJCD. Le CJCP accorde généralement une autorisation spéciale si le litige soulève une question d’intérêt général mais à condition que celui-ci relève un point de droit, voire plusieurs.

Ya-t-il un délai à respecter ?
L’appel devant le CJCP s’effectue par voie de pétition ou par voie de motion. Cela se fait dans un délai de 21 jours. Une demande d'autorisation d'appel devant la Cour suprême doit être présentée par motion ou pétition dans les 21 jours suivant la date de la décision faisant l’objet d’un appel. Le demandeur doit aviser les autres parties concernées de son intention de faire appel. Ainsi, la personne doit, dans les 90 jours suivant la date de l'audition de la demande d'autorisation d'appel, fournir une garantie n'excédant pas Rs 10 000.  Elle doit prendre des mesures pour constituer le dossier et l’expédier en Angleterre.

Une personne peut-elle entamer les procédures sans avoir au préalable eu recours à la Cour suprême ?
Oui, le CJCP peut accorder une autorisation spéciale pour écouter un appel.

On parle souvent de « justice accessible et rapide ». Mais avoir recours au Privy Council est-il couteux ? Parlez-nous des frais...
Les appels au CJCP sont souvent de nature constitutionnelle, civile ou commerciale ou pénale. Évidemment, ça coûte cher. Il faut noter que ceux qui ont recours au CJCP retiennent généralement les services d’hommes de loi britanniques. Il faut toujours les services d’un homme de loi londonien, le seul agent reconnu par le Conseil privé.

Cela dit, un appel compliqué peut coûter environ Rs 1,5 à 2 millions et les débours du perdant peuvent grimper jusqu’à Rs 2,5 millions. L’enjeu financier est important. Il faut savoir que le greffe reste à Londres et les services d’un solicitor londonien coûtent cher au Mauricien.

D’où la présence de Steven and Associates Law Firm à Maurice… Ce cabinet d'avocats a pour objectif de faciliter le travail. Par conséquent, le client mauricien n’a pas à faire le déplacement pour Londres pour retenir les services d'un homme de loi.

Donc, n’est-ce pas utopique de dire que la justice est accessible à tout le monde ?
La réponse est non, car on ne peut pas sous-estimer le rôle de la Cour suprême de Maurice. Il faut noter que la Cour suprême est notre juridiction constitutionnelle de premier degré. La Constitution de Maurice permet à la Cour suprême de prendre toute mesure appropriée pour combattre toute violation des droits fondamentaux. La cour exerce ce pouvoir sous le contrôle du Conseil privé qui peut alors statuer en deuxième et dernière instance.

La Cour suprême a la compétence de contrôler toutes les procédures civiles ou pénales devant toute cour inférieure et peut émettre des ordonnances et donner des directives qu’elle considère adéquates pour s’assurer que la justice est dûment rendue.

Il ne faut pas oublier que notre État démocratique est divisé en trois branches : l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Le judiciaire joue un rôle fondamental dans notre État de droit. Je suis fier de cette institution qui a une crédibilité irréprochable en comparaison à d’autres pays.

Pour conclure, c’est la Constitution qui donne tout le pouvoir à la Cour suprême et cette dernière a la responsabilité de veiller à ce que les droits fondamentaux du citoyen soient respectés.

Même si le citoyen mauricien n’a pas d’accès direct au CJCP, il a néanmoins la liberté de saisir la Cour suprême de Maurice pour faire appel. De ce fait, on peut conclure que la justice est accessible à tout  le monde.

Qui est Steven Sengayen
Me Steven Sengayen est un Practising Solicitor pour la Cour suprême de l’Angleterre et du Pays de Galles. Il exerce simultanément les professions d’avoué, de notaire et d’avocat, dans la City de Londres. Il est rentré à Maurice en 2016 dans le but d’offrir ses compétences au public. Ainsi, il s'est engagé à avoir un cabinet d'avocats constitué de compatriotes locaux. Il a ensuite fondé le cabinet d’avocats Steven and Associates Law Firm, basé à la cyber cité d’Ébène, en partenariat avec des juristes locaux. Il est le Managing Partner du cabinet.

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