Il est une des rares personnes à bien connaître le dossier des Chagos, Robin Mardemootoo, avoué, sait au fond de lui que Donald Trump pourrait revoir le deal entre Maurice et la Grande-Bretagne sur Diego Garcia. Selon lui, le Président des États-Unis pourra vouloir que le bail dépasse les 99 ans.
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Navin Ramgoolam paraîtrait constant dans son approche sur le dossier Chagos. A-t-il raison ou a-t-il trop tergiversé ?
Comment aurait-il tergiversé ? Selon la presse, il aurait, dans les tous premiers jours qui ont suivi son installation comme PM, réuni une équipe sur le dossier Chagos. Il ne faut pas exagérer. Je pense, au contraire, qu’il a agi dans les temps.
Mais, ni lui ni Pravind Jugnauth ne sont contre un bail de 99 ans sur Diego Garcia, sauf que les conditions devraient être revues. Vos explications…
Je ne sais pas. Les conditions principales attachées aux baux normalement touchent aux questions de loyer, de renouvellement et des limites dans l’exploitation du bien loué. Je suppose que les discussions ont lieu sur ces sujets-là, mais encore une fois, je n’en sais rien.
Navin Ramgoolam avance aussi que tout renouvellement du bail doit se faire par Maurice, car le locataire ne peut être le propriétaire. Serait-ce un ‘sell out’, comme le disent Navin Ramgoolam et Arvin Boolell ?
Cela veut dire quoi ‘sell out’ ? Il est légitime, en effet, que Maurice ait son mot à dire sur le renouvellement du bail. Maurice devrait se réserver le droit de revoir à la hausse son loyer lors de ce renouvellement et d’ajouter d’autres conditions. On parle pour l’année 3024, Dieu sait ce qui serait important ou pas dans ces années-là !
On parle d’une location de Diego de plusieurs milliards de roupies par an. Ne serait-ce pas un ‘sell out’ déguisé’?
Je ne comprends pas ce terme ‘sell out’. Mais, à mon avis, un loyer de plusieurs milliards de roupies - on parle de GBP 90 millions - est au contraire assez faible pour une base comme Diego Garcia.
Avec l’arrivée de Donald Trump aux affaires, le deal risque-t-il d’être tout bonnement annulé, comme l’a dit Jean Claude de l’Estrac sur les ondes de Radio Plus vendredi ?
Je ne pense pas. Donald Trump est un homme d’affaires. Il comprend l’immobilier et il n’aura aucun mal à suivre les discussions et comprendre les enjeux. Pour lui, il s’agira avant tout de protéger les intérêts américains et, là, je ne pense pas qu’ils s’agisse uniquement d’argent. Cela ne me surprendra pas s’il (Donald Trump) demande un terme plus long que 99 ans.
Dans certains systèmes de droit, la durée d’un bail ne peut excéder 99 ans, d’où le débat si le droit international suivra ces limites. Le bail entre le Royaume-Uni et la Chine sur Hong Kong, signé en 1898, a été aussi de 99 ans.
Dans certains systèmes de droit, la durée d’un bail ne peut excéder 99 ans"
Dans toutes ces négociations entre Maurice et la Grande-Bretagne, pas un seul représentant des Chagossiens dans la délégation alors qu’ils sont les premiers concernés…
C’est un point noir. Les Chagossiens sont concernés à plus d’un titre; ils auraient dû être consultés au moins sur les questions qui les touchent directement. Le droit d’être consulté pour quelqu’un avec un intérêt certain sur la question est un droit important aujourd’hui.
On parle de négociations légales, ne seraient-elles pas plus fructueuses si cela se faisait au niveau politique, de la diplomatie, de gouvernement à gouvernement et pas par des intermédiaires ?
Non, je ne suis pas de cet avis. On a besoin de juristes, de lobbyistes et de conseillers experts pour aider les cadres du gouvernement à négocier.
Vous êtes une des rares personnes à connaître le dossier des Chagos. Êtes-vous toujours optimiste que Maurice puisse obtenir un bon deal ?
Je ne sais pas si je suis une des rares personnes ou pas, mais ce que je sais c’est que ce pays souffre énormément de l’absence d’institutions d’études politiques sur les sujets qui nous concernent ; il n’y a pas de ‘public policy thinking’ à Maurice, ce qui fait que toutes nos décisions sont prises de façon ad hoc, sur le tas, sans réflexion profonde et sans débats institutionnels. C’est Maurice, le royaume du petit bonheur.
Comment expliquer la volte-face de sir Keir Starmer et de son gouvernement ? Pression de l’administration Trump ?
Je n’avais jamais compris l’idée qu’ils allaient faire cela avant l’installation de Trump, car je savais que les Américains, une fois Trump à la présidence, allaient exiger la revue de l’accord (sur Diego).
Ou alors que sir Keir Starmer est en mauvaise posture au sein même de son parti avec des Conservateurs qui l’accablent en l’accusant de vendre les Chagos ?
Je ne sais pas. Je ne le crois pas.
Le peuple chagossien est divisé, une partie de la 4e génération revendique que les Chagos restent sous le joug des Britanniques et se disent plus Britanniques que Chagossiens, alors que les natifs sont fiers d’appartenir à notre République. Comment expliquer cette attitude ?
La question de la représentativité au sein des Chagossiens relève du droit mauricien et, selon le droit mauricien, vous avez des élus chagossiens qui représentent la communauté chagossienne. Or, ces élus sont en faveur de la souveraineté mauricienne. C’est du moins ma compréhension.
En revanche, les natifs et les descendants des Chagossiens vivant aux Seychelles se réclament Chagossiens avant d’être Seychellois. Nuances d’approche entre ces deux factions ?
Je ne suis pas sûr de ce que vous avancez. Je n’ai jamais entendu un Chagossien aux Seychelles reléguer au second plan sa nationalité seychelloise. C’est une question farfelue, car ce sont deux sujets différents. L’un n’empêche pas l’autre. Le Californien ou le Texan n’est pas moins Américain. Mais il se distingue parmi les Américains. De même, le Chagossien est aussi Mauricien que le Rodriguais ou le Curepipien. Mais il se distingue, car il appartient aux Chagos et il a une culture propre à lui.
Le groupe Lalit maintient qu’il ne faut pas louer Diego Garcia et que les Américains doivent vider les lieux avec leurs bombardiers et armes nucléaires et de mettre l’île en état pour une réhabilitation et un retour des Chagossiens et de Mauriciens. Est-ce possible dans l’absolu ?
Non. L’océan Indien zone démilitarisée est une idéologie propre au parti Lalit et de certains autres partisans d’un monde sans militaires. La base (Diego Garcia) sera là, qu’on le veuille ou non, pour au moins encore 100 ans. Donc, autant être réaliste.
Lalit réclame aussi que les Anglais nous remboursent tout l’argent de location qu’ils ont perçu durant 57 ans d’occupation illégale des Américains sur Diego Garcia et qu’ils compensent les natifs et leurs descendants pour déportation illégale. Votre avis ?
Je partage leur avis.
La base (Diego Garcia) sera là, qu’on le veuille ou non, pour au moins encore 100 ans"
Maurice est signataire du Traité de Pindabala qui fait que l’océan Indien et l’Afrique soient décrétés zone non-militarisée et non-nucléarisée. N’est-on pas en train de ‘flout’ ce Traité en louant encore pour 99 ans Diego Garcia pour une utilisation militaire et nucléaire ?
Les avis sur ce sujet sont partagés. Les Américains et les Anglais ont aménagé leurs positions en droit international par le biais de clauses de réserve.
Bio
Robin Mardemootoo est avoué et exerce à Maurice depuis 1997. Il défend les intérêts du Groupe Réfugiés Chagos d’Olivier Bancoult depuis 1998. Aux côtés de son équipe, composée de juristes anglais, français, mauriciens et américains, il a notamment œuvré pour les victimes tamoules de la guerre civile au Sri Lanka et pour le peuple masaï en Tanzanie. Aujourd’hui, il occupe le poste de Managing Partner du cabinet Dentons à Maurice, le plus grand cabinet d’avocats au monde.
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