Interview

Me Rama Valayden: «Il faut avoir cette liberté de dire les choses autrement»

Me Rama Valayden
Me Rama Valayden explique que les articles 206 du Code pénal (outrage against public and religious morality), 283 (sédition) et 284 (inciting to disobedience or resistance to law) sont des lois qui ne vont pas dans le sens des droits fondamentaux et de la démocratie actuelle. Elles doivent être revues. Parlez-nous des articles 284 et 206 du Code pénal ? L’article 284 du Code pénal (inciting to disobedience or resistance to law) est une provision qui a été modifiée une première fois le 22 février 1901, puis en juin 1990. Cet article va dans la logique de l’article 283 concernant la sédition. Sous l’article 284, quiconque incite les gens à désobéir ou à résister aux lois est passible à une amende maximale de Rs 25 000 et à une peine ne dépassant pas deux ans de prison. Par ailleurs, l’article 206 fait provision des mots, des exclamations, des menaces, des cris, la publication d’images sous n’importe quelle forme, « utilisés » sur un lieu public ou lors d’un meeting public, par quiconque. S’il est prouvé devant une Cour de Justice que cette personne a commis ce délit, elle risque d’être condamnée sous cette provision de loi. Il est aussi dit que sous l’article 283 (outrage against public and religious morality) que si la personne démontre qu’elle a dit, qu’elle s’est exprimée non pas pour inciter, mais afin de provoquer le gouvernement, à réfléchir ou pour désapprouver l’action gouvernementale, en utilisant les moyens légaux, cette personne peut utiliser cette défense pour s’exonérer de tout blâme. La personne peut aussi démontrer qu’elle a utilisé certains mots que pour démontrer sa désapprobation des actions ou décisions gouvernementales et qu’il n’avait pas l’intention d’aller plus loin ni d’exciter, ni d’essayer d’exciter l’audience contre le gouvernement.
Qu’encourt une personne reconnue coupable sous ses deux lois ? Les deux provisions sont reliées et la peine d’emprisonnement ne peut dépasser deux ans et d’une amende n’excédant pas Rs 25 000. Quand et comment ces deux lois sont-elles utilisées dans notre système juridique ? Ces deux articles et celui concernant la sédition sont toujours utilisés contre les opposants politiques. Savez-vous que Gandhi avait été poursuivi sous une loi semblable ? Presque tous ceux qui se sont opposés à la colonisation, que ce soit sous l’empire britannique ou sous la République Française, ont été poursuivis sous une loi semblable.
[blockquote]« Geoffrey Robertson avait proposé des amendements mais son rapport n’est pas public ».[/blockquote]
À Maurice, nous avons les cas de Le Vieux et autres en 1910, Rex v/s Edgar Millien en 1949, Mason v/s The Queen en 1956, Dabee v/s The Queen en 1965, le DPP v/s Hervé Masson en 1972. Au fait, il est plus difficile de prouver que quelqu’un a commis un délit sous l’article 283 que sous l’article 284. J’ai été poursuivi sous l’article 284 après les émeutes de 1999 et ce n’est qu’après avoir soulevé un point de droit que le magistrat de l’époque, Nicolas Ohsan-Bellepeau, aujourd’hui juge, avait tenu une enquête préliminaire, dont les conclusions m’ont blanchi. Dans le cas de « Le Vieux », il avait été poursuivi ensemble avec P. Couve sous l’article 283 (sédition) à l’époque pour avoir écrit un article dans un journal qui s’appelait « Le Petit Journal ». Ils ont été condamnés chacun à une peine de trois mois d’emprisonnement et ont écopé d’une amende de Rs 500. Mais, ils ont gagné leur procès en appel. Vous êtes aussi l’avocat de la députée Danielle Selvon et vous avez déclaré lundi (2 mai) à l’issue de son interrogatoire à la Central Investigation Division de Port-Louis Sud que ces deux lois sont des lois ancestrales… Comme je viens de vous dire, ces lois datent de fin XIXe siècle et n’ont pas été écrites en fonction des droits fondamentaux et démocratiques qui régissent l’époque actuelle. Ce qui est important dans une démocratie, c’est avant tout cette liberté de dire les choses autrement, comme l’a si bien dit Rosa Luxemburg : « La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement ». Les articles 206, 283 et 284 sont des provisions pour étouffer toute prise de position qui ne va pas dans la direction de nos gouvernements et je pense qu’elles doivent être revues. Quand j’étais Attorney General, avec le soutien du Premier ministre, nous avions demandé à Geoffrey Robertson de se pencher sur ces provisions. Ce dernier avait proposé des amendements, mais son rapport n’est pas public et, après mon départ en 2010, le combat s’est estompé. Pensez-vous qu’il faut revoir ces deux législations ? Pourquoi ? C’est facile de revoir, car on a déjà le rapport Geoffrey Robertson qu’il suffit de dépoussiérer et je souhaite, de tout cœur, que le prochain gouvernement travailliste l’inclura dans son programme. Ce sera aussi l’occasion de rendre hommage à nos grands-parents et à ceux qui ont lutté pour élargir le processus démocratique. Les internautes et utilisateurs des réseaux sociaux doivent également être avertis que l’article 284 peut être utilisé contre eux, par un gouvernement, avec des tendances dictatoriales.
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