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Me Rama Valayden, ancien Attorney General : «Les enquêteurs mauriciens manquent de moyens»

L’ancien Attorney General aborde les limites des enquêtes criminelles à Maurice, notamment dans les affaires non résolues. Il plaide pour des réformes urgentes, une collaboration internationale, et une vraie modernisation des méthodes d’investigation.

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Expliquez-nous simplement ce qu’est un « cold case » dans le contexte judiciaire mauricien.
Un cold case est une affaire criminelle non résolue depuis longtemps, souvent faute de preuves suffisantes ou de suspects identifiés. Disons qu’après plus d’un an sans élément permettant d’identifier l’auteur du crime, un dossier criminel peut être traité comme un cold case. 

Aux États-Unis ou en Angleterre, des équipes spécialisées sont affectées exclusivement à ce type d’affaires. À Maurice, un dossier classé comme cold case reste ouvert, mais inactif, jusqu’à ce que de nouveaux éléments permettent de relancer l’enquête. Il faut souligner qu’à Maurice, il n’existe pas de prescription pour les crimes, ce qui signifie qu’ils peuvent être poursuivis à tout moment, même plusieurs décennies après les faits.

Avez-vous déjà traité ou suivi une affaire classée comme « cold case » ?
Oui. J’ai été le premier avocat à demander des tests ADN dans l’affaire Marcellin Azie, arrêté en juillet 2003 pour le meurtre de Nadine Dantier, une étudiante retrouvée violée et étranglée à Albion, près de chez elle. Il a été détenu près de 14 mois avant d’être libéré sous caution en septembre 2004. Les tests ADN effectués sur lui se sont révélés négatifs. Il a finalement été disculpé pour insuffisance de preuves et libéré en mars 2009. L’enquête demeure, à ce jour, non résolue.

Quelles sont, selon vous, les principales raisons pour lesquelles certaines enquêtes restent non élucidées à Maurice ?
Il y a plusieurs facteurs. D’abord, les enquêteurs ne sont pas formés aux technologies modernes qui pourraient les aider. Et cela ne concerne pas seulement les meurtres. Prenons l’exemple de la disparition du petit Ackmez Aumeer, âgé de 9 ans, en janvier 2003. Malgré des fouilles, des dénonciations, des SMS et des appels téléphoniques, aucune trace de l’enfant n’a été retrouvée en plus de 20 ans.

Deuxièmement, notre laboratoire scientifique n’est pas aux normes internationales, notamment en ce qui concerne la conservation et le traitement des pièces à conviction.

Il y a aussi des cas où l’enquête a été manipulée. L’affaire Soopramanien Kistnen est un exemple éloquent. Certains avocats n’osent plus faire leur travail par peur d’être mal vus par la police. On doit se détacher de cette idée que, sans moyens ou relations politiques, un citoyen est voué à être écrasé par le système judiciaire.

Dans l’affaire Nadine Dantier, qu’est-ce qui a bloqué la procédure, selon vous ?
L’argent. On aurait dû offrir une récompense pour tout indice menant à l’arrestation du ou des suspects. Prenons aussi l’affaire Michaela Harte, cette Irlandaise étranglée dans la baignoire de sa chambre à l’hôtel Legends en 2011. Il y avait une directive interdisant les sorties de l’établissement, mais plusieurs touristes ont pu le quitter, dont un couple allemand que nous avions contacté à l’époque. Ces défaillances ont coûté cher à l’enquête.

Quelles erreurs auraient pu être évitées dès le départ ?
Les tests ADN auraient dû être élargis à davantage de personnes. Nous n’avons pas, à Maurice, de généalogie médico-légale, qui permettrait de retrouver un suspect par les liens ADN avec des proches enregistrés dans des bases de données.

Certaines enquêtes sont-elles abandonnées trop vite ?
Oui, par manque de moyens. La police fonctionne souvent comme les pompiers : elle doit intervenir à plusieurs endroits dans une même journée. Un dossier en chasse un autre.

Quelles failles du système judiciaire identifiez-vous pour ce type d’affaire ?
Pourquoi ne pas équiper chaque policier d’une tablette ? Cela permettrait d’enregistrer les dépositions de manière plus fiable. L’usage de body cameras se fait toujours attendre. Ces caméras pourraient capturer des images précieuses sur les scènes de crime. Comme le dit l’adage : le meurtrier revient toujours sur la scène du crime. On pourrait aussi mieux exploiter les informations issues du service de renseignements, qui ne devraient pas être réservées aux seules affaires politiques. Il faut aussi rompre cette relation malsaine entre certains policiers et des politiciens.

Le système judiciaire permet-il vraiment de rouvrir une affaire ancienne ?
Oui, si de nouveaux éléments crédibles et authentiques émergent.

Que pensez-vous de l’idée de faire appel à Scotland Yard ?
C’est une très bonne initiative. Mais cela soulève une question : auront-ils accès aux documents sensibles, comme les conclusions de l’enquête judiciaire sur la mort de Soopramanien Kistnen ? Et vont-ils reprendre le dossier depuis le début ?

En quoi leurs méthodes diffèrent-elles des nôtres ?
Les enquêteurs de Scotland Yard utilisent des reconstitutions 3D avec drones, scanners laser et réalité virtuelle pour visualiser les scènes de crime, notamment dans les affaires complexes. À Maurice, les reconstitutions restent physiques et souvent limitées à des croquis et rapports sur papier. Il ne faut pas pour autant dénigrer nos enquêteurs. Ils ne sont pas incompétents. Ce qu’il manque, ce sont les moyens. En Angleterre, Scotland Yard peut aussi s’appuyer sur des informations issues du contre-espionnage.

Une collaboration internationale pourrait-elle faire avancer certains dossiers ?
Oui, surtout ceux nécessitant des analyses ADN complexes et des technologies avancées.

Quels éléments peuvent permettre la réouverture d’un « cold case » à Maurice ?
Un témoignage déterminant ou une vidéo authentique peuvent suffire. Dans l’affaire Kistnen, l’affidavit de Vishal Shibchurn citait des noms et des lieux. Cela aurait dû déclencher de nouvelles pistes.

Que recommandez-vous pour corriger les lacunes du système ?
Je recommande qu’une nouvelle équipe de policiers soit formée par des experts étrangers pour les affaires criminelles majeures. Il faut rehausser le niveau du Forensic Science Laboratory (FSL) pour le rendre conforme aux normes internationales. Il faut introduire les body cameras pour les policiers sur le terrain, et créer un système de juges d’instruction et de coroners formés en médecine légale.

Propos recueillis par Kursley Thanay

 

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