Interview

Me Hervé Lassémillante: «Croit-on diminuer la violence meurtrière en tuant les gens ?»

Le vice-président de la Commission des droits humains est résolument contre la peine capitale. Qui, pour lui, ne résout rien. L’homme de loi en appelle à la raison. Êtes-vous pour ou contre la peine de mort ? En tant que vice-président de la Commission des droits humains, je ne peux être en faveur de la peine capitale. Je suis résolument contre sa réintroduction. C’est absolument impossible ! La peine de mort va à l’encontre des droits de l’homme.
Quelle est la situation légale à ce sujet à Maurice ? Notre Constitution est très claire à ce sujet. La peine capitale existe. Mais en 1995, le gouvernement d’alors a aboli cette peine. Mais constitutionnellement, la peine de mort existe toujours. Ce qui veut dire que si le gouvernement abroge la loi de 1995, la peine capitale sera rétablie. Mais je précise néanmoins que tout débat sur cette question devrait être apolitique et dépassionné.
[blockquote]« Si la peine de mort est réactivée, la vie d’une personne sera suspendue à un système faillible »[/blockquote]
Quid de la situation par rapport aux conventions que Maurice a signées ? On peut se référer à la convention des droits civils et politiques, où il est dit que chaque personne a le droit inhérent à la vie, mais il y a une section concernant les pays qui n’ont pas aboli la peine de mort. Cette section stipule que cette peine ne peut s’appliquer que dans des circonstances de crimes très sérieux. En même temps, le gouvernement a signé le protocole contre la torture de même que le protocole optionnel qui y est attaché. D’ailleurs, c’est pour cela que mon bureau, la National Preventive Mechanism Division, a été créé. Et pour cela, nous ne pouvons être en faveur de cette peine. Est-ce à dire que la peine capitale équivaut à une forme de torture ? Voyons l’esprit de la chose. Une personne qui est condamnée à mort, qu’elle soit innocente ou pas, est sujette à une torture morale dans sa cellule en attendant le jour où sa sentence sera exécutée. C’est la même chose pour sa famille, elle est torturée par cette perspective. C’est une grande violence. L’acte violent demeure. D’abord, c’était un acte violent perpétré par un hors-la-loi ; ensuite, c’est la violence perpétrée par le système de la justice d’un pays qui permet l’exécution du citoyen trouvé coupable. Y a-t-il des alternatives ? À Maurice, notre Constitution nous permet encore d’agir. Mon bureau surtout. Si quelqu’un est jugé coupable et s’il est condamné à mort, les choses ne s’arrêtent pas là. Il peut faire appel de sa condamnation devant la Cour suprême et avoir recours au comité judiciaire du Conseil privé. Imaginons qu’après avoir recouru à ces possibilités, il est toujours trouvé coupable et la sentence demeure la mort. Il y a une porte ouverte. L’article 75 de la Constitution permet un recours à la grâce présidentielle. La commission de pourvoir en grâce étudie le cas et fait les recommandations à la présidence. Celle-ci peut recommander une peine moins sévère que la punition initiale. C’est une porte qui sera toujours ouverte à moins que le gouvernement ne décide de promulguer une loi pour changer ce recours qui existe actuellement. La justice est-elle faillible ? Nous parlons là de la justice humaine. C’est la justice des hommes, des magistrats et des juges. Il y a une chose très importante qu’il ne faut pas occulter : la justice humaine ne commence pas devant la Cour suprême et encore moins dans le bureau de l’avocat. Elle commence au poste de police. Si quelque chose est faussée dès le début, cela peut avoir des répercussions graves sur l’aboutissement des cas. Quel humain peut être considéré infaillible ? Cela n’existe pas. Si la loi de 1995 est abrogée et si la peine de mort est réactivée, la vie d’une personne sera suspendue à ce système faillible, sujet aux erreurs. Vous dites que notre système judiciaire commet des erreurs… Je ne suis pas en train de pointer du doigt la justice mauricienne. C’est ainsi dans beaucoup de pays et pire dans d’autres. Même en France, qu’on appelle la patrie des droits de l’homme, il y a des erreurs judiciaires. Imaginez la situation d’une personne sur le point d’être exécutée et qui voit son avenir suspendu à un système faillible. C’est franchement une imbécilité. On ne peut mettre, d’un côté, la vie humaine et, de l’autre, un système faillible car humain. On ne peut justifier l’acte de tuer. La peine de mort est en vigueur aux États-Unis et, pourtant, c’est une des sociétés les plus violentes. Y a-t-il toujours des circonstances exceptionnelles ? Circonstances exceptionnelles quand quelqu’un a été reconnu coupable d’un crime haineux, violent et dégoûtant. Je comprends que les gens soient révoltés. Mais il faut se servir de sa raison et de son cœur. Maurice est considéré comme un pays où les droits humains sont respectés. On a une image de multiples religions qui ont fait le Mauricien. Que ce soit l’hindouisme, le christianisme ou l’islam. Ils prônent tous l’amour, la paix et la tolérance. Il y a Gandhi, Aurobindo, le père Laval, les écrits coraniques. Nous rayonnons par la paix et la tolérance . C’est pourquoi je dis que c’est une erreur d’envisager de réintroduire la peine de mort. Il faudrait peut-être laisser le choix au peuple… Pourquoi pas un référendum ? J’ai entendu dire qu’il est possible que le gouvernement considère cette option. Ce serait intéressant de laisser le Mauricien décider de lui-même. J’ai été bien déçu de noter que certaines personnes, excédées par des cas de violence, sont d’opinion qu’il faudrait avoir recours à la peine capitale. C’est un esprit et une approche revanchards. Ce n’est pas cette île Maurice de la paix, tolérante qu’on connaît. C’est la loi du talion. Ces personnes devraient aller relire leurs épîtres, leur Bhagavad Gita ou leur Coran pour se laisser guider plutôt que de réagir à chaud. Comment expliquer cela à une mère qui a perdu son enfant dans des circonstances atroces ? Il y a certes un moment de révolte initial. Mais il faut parler et discuter. Certaines ONG peuvent aider en de telles circonstances. Il y a aussi les trafiquants de drogue… La peine de mort ne résout rien. Je suis dans la profession légale depuis des décennies, j’ai toujours lu les jugements sur les messages forts dans des cas de drogue et de violence. Ces messages forts sont trop faibles parce qu’il y manque l’intelligence illuminée par l’esprit du cœur. Pensez-vous qu’en tuant les gens, on va faire diminuer cette violence meurtrière ? Il faut avoir les yeux bouchés pour cela. Est-il juste que le contribuable qui prive ses enfants doive payer des impôts qui serviront en partie à nourrir, loger et blanchir des criminels ? Le Mauricien devrait penser que l’autre Mauricien est son frère. S’il ne peut pas qu’il compte ses sous en banque. Tout comme laisser libres des personnes qui ont commis des horreurs… La société mauricienne doit se repenser. Notre système d’éducation produit des lauréats et des gens qui travaillent pour l’argent. Où sont ceux qui réfléchissent ? Où sont ceux qui lisent de la poésie, de la philosophie, de la littérature ? Quelle est donc la solution ? Une éducation moins axée sur les certificats,  le gain d’argent et beaucoup plus vers la compréhension de l’homme. Il faut instiller dans l’esprit du Mauricien non seulement un savoir-vivre mais aussi un savoir-être.

National Preventive Mechanism Division

Me Hervé Lassémillante est le vice-président de la Commission des droits humains (National Preventive Mechanism Division). Cette branche veille au respect des droits des prisonniers. Elle a été créée en juin 2014 à la suite de la signature de Maurice du protocole facultatif des Nations unies sur la convention contre la torture.

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