Interview

Me Hervé Duval: «La loi Bhadain laisse la porte ouverte aux abus»

Me Hervé Duval Jr
Même si les intentions du gouvernement sont les meilleures, ce n’est pas le moment de venir avec le Good Governance and Integrity Reporting Bill, estime Me Hervé Duval. Pour l’homme de loi, il faut retirer cette loi « malsaine » qui encourage la délation. Que pensez-vous du Good Governance and Integrity Reporting Bill ? Cette loi m’inspire de l’inquiétude. Pourquoi ? Parce que je trouve que nous sommes en train de parler des droits fondamentaux avec une légèreté condamnable. On veut venir aujourd’hui remettre en question la présomption d’innocence et le droit au silence. C’est cela votre inquiétude ? On ne peut pas être puni sans avoir été condamné. Nous sommes tous d’accord que quelqu’un qui s’est enrichi à travers le crime et la corruption ne devrait pouvoir jouir de ce bien mal acquis. Dans la loi il y a déjà la possibilité de confisquer les biens d’un criminel si on peut prouver que ceux-ci sont des « proceeds of crime ». Mais il y a toujours ceux qui doutent du système en place ? C’est vrai que malgré le système juridique en place, il y a toujours des gens qui s’enrichissent de façon inexpliquée. C’est vrai aussi que le Mauricien lambda est choqué d’entendre des chiffres mirobolants qu’on évoque ici et là dans des articles de presse. Et c’est encore vrai qu’il y a une grosse frustration concernant la perception de l’argent mal acquis. Mais il faut aussi savoir ce qu’on veut comme société. Est-ce qu’on veut arrêter ceux qui passent à travers les mailles du filet ? Ou remettons-nous en question toute la base même de notre droit ? Je crois que tout le monde est content de vivre dans un pays où le coupable est puni par une cour de justice indépendante et où il y a aussi une proportionnalité entre le crime commis et la punition imposée. On devrait faire bien attention quand on nous propose de venir changer tout cela. A-t-on oui ou non besoin de cette loi ? Non. Quelle que soit sa forme, on n’a pas besoin d’un autre régime. Je crois qu’il n’y a pas lieu de toucher aux fondamentaux de notre droit. S’il est vrai que les choses ne marchent pas comme on voudrait, qu’on fasse un constat pour établir pourquoi c’est le cas, malgré l’armada de lois qu’on a et qui permet de confisquer les biens acquis de manière frauduleuse. Qu’on nous dise d’abord pourquoi cela ne marche pas et puis nous chercherons la meilleure façon de rectifier le tir sans pour cela remettre en question la présomption d’innocence et le droit au silence. Le ministre Bhadain a parlé d’amendements…. On vient nous présenter un problème et on nous propose un remède qui est pire que le problème. On nous balance une loi entre deux portes et quand elle soulève le tollé, on vient, comme une faveur, nous dire qu’il y aura des amendements ! Normalement, ce sont les coupables et les malhonnêtes qui devraient avoir peur de cette loi... Le criminel a fait un choix de vie. Il a choisi d’aller vers la criminalité. Celui qui a le plus à craindre des mauvaises lois, d’une police arbitraire ou d’autres institutions qui ont le pouvoir de punir arbitrairement, c’est la personne honnête. Personnellement, cette loi me fait peur. Au début de cette interview vous évoquiez votre inquiétude. Maintenant vous dites avoir peur… Oui, j’ai peur. C’est la façon de faire qui m’inquiète. Surtout dans cette atmosphère de revanche. Même si je suis entièrement d’accord sur le principe, cette loi me met mal à l’aise. J’ai peur de voir mon pays se transformer en une nation divisée. Nation divisée ? Oui, avec d’un côté les délateurs frustrés et de l’autre les complexés de la réussite. On veut aujourd’hui faire que les gens ont peur de leur réussite. On nous a présenté cette loi comme une loi superbe. Après quatre semaines de débats publics, on repasse au ‘drain board’ pour des amendements. Ceux qui expriment leurs craintes ne sont pas tous des criminels et des corrompus. Il faut faire très attention. Cette loi va trop loin. C’est malsain. On ne peut pas passer des lois avec d’aussi grandes répercussions. Il faut que les choses soient sereines. Et nous ne sommes pas dans une période sereine. Même si les intentions du gouvernement sont les meilleures, ce n’est pas le moment de venir avec cette loi. Le ministre va revoir sa copie... Pour moi, c’est une mauvaise loi. Les amendements proposés vont la rendre moins mauvaise. Sans plus. Elle s’attaque à nos droits fondamentaux, à notre démocratie et à notre judiciaire. Par exemple ?     La loi ne permet pas de punition sans qu’un accusé ne soit trouvé coupable par une cour de justice indépendante. Est-ce qu’on veut faire des entorses à ce principe ? Même si l’objectif visé est louable, je suis quand même inquiet de la philosophie et de la méthode employées. On veut encourager la délation. Comment? En l’utilisant comme un outil politique ? Je préfère ne pas m’engager dans ce débat. Personnellement, je ne fais pas confiance aux politiciens. En tout cas, je ne les crois pas quand ils disent oeuvrer pour le plus grand bien de la nation. Pourtant, cette loi c’est pour promouvoir l’intégrité et la bonne gouvernance... Je réponds qu’il y a l’ICAC pour cela. Est-ce promouvoir l’intégrité que venir récompenser un « whistle blower » ou protéger un dénonciateur ? Il faut bien commencer quelque part ? Allons dire les choses comme elles sont. Maurice est un pays où il y a de grandes disparités. Il y a beaucoup de frustrations, les gens qui triment n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Et là ils voient une richesse qui s’affiche de façon insolente. On est en train de jouer avec cette frustration pour faire appel aux instincts les plus bas. Vous vous sentez menacé comme avocat ? Est-ce que je vais devoir raser le mur parce que j’ai réussi ? J’ai un patrimoine qui vaut peut-être plus de Rs 10 millions. Si demain j’ouvre ma bouche un peu trop grande, est-ce qu’on va venir m’inquiéter? On veut faire croire aux gens qu’on a trouvé une solution miracle. Alors que ce n’est pas vrai. Je suis d’accord que la corruption est un cancer et qu’il faut tout faire pour le guérir. Mais il faut faire attention à ne pas choisir un traitement de chimio qui va tuer tous les organes de la société. Quel devrait alors être le sort de ce projet de loi ? Il faut retirer cette loi et engager une réflexion sur le non-fonctionnement des lois existantes et proposer des solutions pour les rendre plus efficaces. Ce n’est pas parce que nous sommes frustrés du manque d’efficacité dans le système actuel qu’il faut mettre en place un autre où le citoyen peut être puni sans être passé par une cour de justice indépendante. Pour moi, c’est un projet de loi mal venu. C’est la porte ouverte à des abus de toutes sortes, en encourageant les dénonciations. C’est un cocktail explosif. Ce qui est dommage, c’est qu’on part d’un vrai problème pour trouver une fausse solution.
Publicité
Related Article
 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !