Interview

Me Antoine Domingue : «Le Bar Council devrait s’insurger contre la Prosecution Commission»

Me Antoine Domingue

L’ancien président du Bar Council déplore la décision gouvernementale de la majorité de placer une Prosecution Commission sur la tête du Directeur des poursuites publiques. Selon lui, il s’agit d’une décision purement politique.

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Le Directeur des poursuites publiques (DPP) a diligenté des poursuites contre un Senior Advisor et fait appel contre la relaxe d’un Premier ministre in waiting. Avec la création d’une Prosecution Commission, le gouvernement n’entend-il pas le mettre au pas ?

« Quand un avocat du Parquet a donné une opinion sur un dossier particulier, comment va-t-il pouvoir plaider lorsque la Commission va prendre une décision différente ? »

Je ne le pense pas, étant moi-même le conseil légal de Prakash Maunthrooa. Je ne vais évidemment pas faire davantage de commentaires. Je ne comprends toujours pas d’où cette idée a pu germer. De mon point de vue, si une telle Commission est appelée à voir le jour, elle devra travailler dans les deux sens. Comme celle de revoir toutes les décisions du DPP, ce qui mènera à un chaos généralisé. Tous ceux qui ont été sujets à des poursuites vont immédiatement se tourner vers la Commission, provoquant une paralysie de la Cour. L’état de droit ainsi que le Law & Order vont s’effondrer.

Les victimes vont également monter au créneau quand le DPP va réclamer « no further action ». Le DPP et tout son staff vont passer la majeure partie de leur temps à s’expliquer devant cette Commission. Quand un avocat du Parquet a donné une opinion sur un dossier particulier, comment va-t-il pouvoir plaider lorsque la Commission va prendre une décision différente ? Cet avocat va finir par dire à la Cour qu’il a été « obligé » de venir plaider, mais qu’il pense en son âme et conscience que l’accusé doit être acquitté. La pertinence de cette Commission m’inquiète, car le DPP s’est toujours expliqué sur les raisons ayant motivé ses décisions.

Cet amendement à la Constitution serait-il la conséquence de l’abandon des poursuites contre l’ex-Premier ministre Navin Ramgoolam. L’état de droit décampe-t-il ?
Nous sommes toujours dans un état de droit, exception faite de certains dérapages qui ont eu lieu, comme la tentative d’arrestation du DPP relativement à l’affaire Sun Tan. Ces dérives, je les ai dénoncées lorsque j’étais président du Bar Council. Quand le pouvoir a une majorité de trois quarts, les tentations sont grandes et elle se croit tout permis.

L’idée de venir avec cette Commission est ad hominem. Si le DPP estime qu’une affaire ne peut être poursuivie dans l’intérêt public, est-ce que la Cour peut substituer à lui ? Comment est-ce possible ? Est-ce que la Commission va aller instruire une affaire en Cour ?

Tout cela n’est qu’une plaisanterie. La décision de mettre sur pied une telle Commission est purement politique. On tombe dans le ridicule. En bref, ça ne rime à rien.

Est-ce que le gouvernement en veut à Satyajit Boolell comme le DPP l’a déclaré en Cour ?
Je pense que cette décision est dirigée contre l’institution qu’il représente et le fait qu’il soit devenu un obstacle aux visées du pouvoir en place. Certaines personnes lui en veulent, car Satyajit Boolell n’a pas l’échine suffisamment souple à leur goût. Elles veulent lui faire prendre certaines décisions pour des raisons politiques. Il s’est rebellé et elles essaient de lui adjoindre des mentors. C’est un système qui ne peut pas fonctionner.

Dans l’affaire de Maya Hanoomanjee, le DPP avait expliqué les raisons pourquoi elle ne peut être poursuivie. Est-ce que la Commission va rouvrir le dossier pour déterminer si elle doit être poursuivie ? Et pour Kishore Deerpalsing. Quelle va être la compétence de la Commission ? En arrière ou en avant ?

En tant qu’avocat, pensez-vous que les décisions du DPP dans les affaires Ramgoolam ne relèvent-elles pas davantage de l’incapacité du CCID à fignoler ses dossiers ?  
Ce sont des considérations légales qui ont primé. Thierry Labauve d’Arifat, un ancien DPP, s’est exprimé dessus par le passé. Si le dossier a été mal ficelé, il faut s’en prendre au Law Officer qui a mal conseillé la police. S’il voit des manquements dans un dossier, il doit le renvoyer à la police pour un complément d’enquête. Satyajit Boolell s’est expliqué sur ses décisions dans les affaires contre Ramgoolam.

La Commission peut-elle relancer les dossiers Ramgoolam ?
Peut-elle aller en arrière ? Si c’est le cas, il va falloir rouvrir le dossier Hanoomanjee et de l’Escadron de la mort, entre autres. Va-t-elle se pencher que sur les dossiers où le DPP a conseillé no further action ? Si demain, je suis un opposant politique, que je suis persécuté, que le DPP estime que je ne peux être poursuivi, est-ce que la Commission va faire le contraire ? L’intégrité de tous les officiers du bureau du DPP est en train d’être mise en cause. Le Bar Council devrait s’insurger contre une telle décision.

Le Bar Council est assez silencieux...
C’est leur problème, pas le mien. La compétence et l’intégrité des avocats du bureau du DPP ne peuvent être remises en cause. Ils ont été recrutés par la Legal & Judicial Service Commission, laissons-les travailler. Je ne vois pas quel ancien juge sensé va siéger au sein de cette Commission. Au train où vont les choses, le gouvernement va adjoindre une Commission au Commissaire de police. On s’égare. Cela va ajouter à la mauvaise image que des étrangers ont de Maurice. N’oubliez pas : quand la cour d’appel de Bologne a rejeté la demande d’extradition de Nandanee Soornack du fait que la police mauricienne ne serait pas indépendante, les chancelleries étrangères ont dû le rapporter à leurs capitales respectives. Nos institutions perdent de leur crédibilité.

Que pensez-vous du DPP personnellement?
Je n’en pense absolument rien. Il fait son travail, mais certaines personnes n’apprécient pas qu’il le fasse en toute indépendance. Est-ce que la Commission va se pencher sur sa décision de faire appel contre le jugement de la Cour suprême dans l’affaire Pravind Jugnauth ? Va-t-elle lui dicter ce qu’il doit faire ?

Et de la PoTA modifiée ?
Le texte de loi semble avoir été rédigé à Washington. Comment peut-on arrêter quelqu’un par rapport à son habillement ? Allez plutôt voter une Freedom of Information Act.

 

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