Interview

Me Ajay Daby: «L’Icac devrait fonctionner sur d’autres bases»

L’avocat de Raj Dayal et de Vishnu Lutchmeenaraidoo estime que la classe politique est en pleine crise. Me Ajay Daby fait ainsi une lecture critique de ce qui se passe en ce moment. Il est d’avis qu’il faut préparer la relève. Pourquoi considérez-vous que le comité parlementaire de l’Independent Commission against Corruption (Icac) a abdiqué devant ses responsabilités ? Le comité parlementaire a pour responsabilités de formuler des règles d’opération pour guider l’Icac dans ses investigations. Il y a un manque de directives concernant les procédures à suivre. Le comité parlementaire a abdiqué par manque de connaissances de cette loi. L’Icac est une commission indépendante et devrait fonctionner sur d’autres bases que celles des procédures policières concernant les charges provisoires. Il faut aussi revoir la PoCA. Quand la loi n’est pas claire, tout est discrétionnaire. Celle-ci prête à équivoque.
Quid du débat sur les pouvoirs d’arrestation du Directeur des poursuites publiques (DPP) ? La Prevention of Corruption Act (PoCA) a été votée pour donner le dernier mot au DPP dans une consultation de poursuite. L’arrestation découle de sa décision de poursuivre. Le pouvoir d’arrestation dépend des insinuations qui prêtent à équivoque quant à l’honnêteté de quelqu’un. On entend toutes sortes de choses sur les arrestations des députés et des ministres. Ce n’est pas parce que le MSM est au pouvoir et le Parti travailliste dans l’opposition que cela se passe. C’est parce qu’il y a une confusion dans le sens des lois et des fonctions.
[blockquote]« Freedom of opinion is a very expensive commodity »[/blockquote]
Quelles sont les chances de vos deux clients, l’ancien ministre Raj Dayal et l’actuel ministre Vishnu Lutchmeenaraidoo, de s’en sortir ? Vous comprendrez que je ne peux commenter les enquêtes en cours. Mais je maintiens que ce sont des cas malheureux. Tout comme celui de l’ancien ministre Anil Bachoo. Bachoo et Dayal subissent le même sort. Ni Navin Ramgoolam, ni sir Anerood n’a pu contrôler cette situation. Il faut que le Premier ministre trouve une solution. J’ai le même sentiment dans le cas de Vishnu Lutchmeenaraidoo. À quel point les affaires privées de l’homme public peuvent être imputables au fait qu’il est un homme public ? Et ce n’est pas parce que c’est Vishnu Lutchmeenaraidoo que je dis cela. J’aurais le même stand pour un autre. Il n’a pas usé des prérogatives de sa fonction. Il y a un gros problème de définition. La loi est claire. Elle consiste à empêcher l’enrichissement personnel en se servant des biens publics de l’état. Je crois en la personne tout comme j’ai cru en Pravind Jugnauth quand j’ai pris l’affaire MedPoint. En tout cas, je ne vais pas lâcher ces cas. Nous irons bien loin. N’y aurait-il pas dans vos propos un soupçon de conflit d’intérêts pour votre position sur les cas Dayal et Lutchmeenaraidoo ? Ce sont des very unfortunate cases. Beaucoup se retrouvent au box des accusés par ignorance des lois et de leurs implications et non parce qu’ils sont coupables. Je parle à un moment où je suis convaincu que j’ai raison. Je ne suis ni l’ami ni l’ennemi de tout le monde. Je  plaide pour la sagesse. Ces propos ont aussi fait partie de mes plaidoiries dans plusieurs affaires surtout en ce qui concerne la transparence, la bonne gouvernance et la corruption. Je suis convaincu que les politiciens, incluant ceux de la profession légale, de tous bords, ont presque la même opinion que moi sur l’administration de la justice et l’opportunisme politique et ses influences sur le système. Vous écriviez, hier (jeudi matin ; NdlR), sur votre page Facebook : « Basic constitutional principles should not be sacrificed in the name of basic political principles…» Qu’est-ce qui a motivé cette réflexion ? Je suis en exil politique depuis près de 26 ans. J’ai donc beaucoup de recul. Mon souci principal, c’est d’être moi-même. Je suis entré très jeune au Parlement et je me suis retrouvé très tôt hors du Parlement pour des raisons que tout le monde sait. J’ai été expulsé de l’appareil de décision parce que je ne voulais pas d’un texte de loi sur la République qui serait votée avec un certificat d’urgence. J’ai de tout temps fonctionné bien au-delà de l’appareil du parti qui, à mon avis, ne stimule pas la réflexion. Freedom of opinion is a very expensive commodity. Je suis parmi les rares front liners qui sont retournés au barreau et qui ont travaillé pour élever leurs enfants. Je vois le fonctionnement d’un milieu qui m’est familier . Quand je suis entré en politique, j’ai eu des aînés de la trempe de sir Gaëtan Duval et les derniers des mohicans, dont Kader Bhayat et sir Anerood Jugnauth. Que reste-t-il maintenant ? Je me demande qui viendra après ? Prend-on le temps de se soucier de la relève? On sent que vous souffrez de cet exil… Cela m’a rendu plus fort. C’est devenu ma force. Pourquoi une telle réflexion maintenant ? Parce que les autres ne veulent pas parler. Je n’ai jamais été le conseil légal d’une institution durant ces 27 dernières années. Je pense que je peux faire entendre ma voix et me faire comprendre. Quand je parle, je parle à Jugnauth, à Lutchmeenaraidoo, à Bérenger, à Ramgoolam, à Boolell… Ce dernier a bien dit. Il est temps de réfléchir sur la portée des lois parce qu’après nous, ce sera le déluge. Que comprenez-vous par le terme « nous » ? Cette classe politique actuelle qui ne sera plus là demain. Il est temps de réagir et de préparer le départ et la relève. Cela justifie-t-il que vous disiez : « My nightmare lies in my search for Statesmen » ? Vous estimez que le pays n’a pas de « Statesman » ? S’il y en a, je ne les vois pas. Ils font face à des problèmes. La classe politique est en pleine crise. C’est maintenant le grand déballage pour tous ceux qui ont profité du système, qui ont peut-être aidé à tuer le système et qui au moment de la réflexion ne sont pas capables de se hisser à la hauteur de penser au système. Qui accusez-vous ? Les grands décideurs. La bande à laquelle on a donné plein pouvoir, ceux à qui on a fait confiance pour qu’ils dirigent comme des monarques. Est-ce l’avocat ou le politicien qui parle ? Je suis un produit hybride. Je suis un produit de ce que j’ai vécu. Je bouge même quand je suis immobile. Je ne suis ni un légiste du Mouvement socialiste militant (MSM), ni un acquis du Parti travailliste.  
   

Parcours éloquent

Me Ajay Daby est marié et père de deux enfants, qui sont tous deux avocats. élu pour la première fois en 1982, sous la bannière du Parti socialiste mauricien (PSM), il fut nommé ‘Deputy Speaker’. Après la cassure du gouvernement Mouvement militant mauricien-PSM et les élections générales d’août 1983, il fut réélu sous la bannière du MSM et devint alors, à l’âge de 28 ans, le plus jeune ‘Speaker’ de l’Assemblée nationale. Poste qu’il assuma jusqu’en 1990 quand il fut destitué pour avoir refusé d’utiliser son ‘casting vote’ pour soutenir l’amendement constitutionnel introduisant le système de République. Il a aussi été le ‘Commissioner for Drug Assets Forfeiture’ de 2001 à 2005. Après son retrait de la politique active, il est retourné au barreau.
Publicité
 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !