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Me Ajay Daby : «C’était une lune de miel de courte durée entre le peuple et l’actuel régime»

Mᵉ Ajay Daby porte un regard franc sur l’évolution de l’échiquier politique mauricien. Il approuve la franchise du leader du MMM envers le Premier ministre et observe que, face aux soubresauts de ces derniers mois secouant l’Alliance du Changement, un Printemps mauricien pourrait être en gestation.

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Vous servez le barreau depuis plus de 45 ans, aux côtés de vos confrères, dont Eddy Balancy, Madan Dulloo et les autres éminents membres. Vous figurez depuis des années sur la liste pour devenir Senior Counsel et, pourtant, vous avez de nouveau été recalé cette année. Qu’est-ce qui cloche ?
Effectivement, j’ai prêté serment en 1978. Alors que certains de mes amis choisissaient une carrière à plein temps au service de l’État pour devenir magistrat ou juge, sur les conseils de mes seniors, dont Subhash Lallah, SC, et le regretté Madan Gujadhur, QC, j’ai opté pour le choix le plus risqué certes, mais offrant un cheminement certain vers d’autres opportunités, comme la politique éventuellement, tout en acceptant le poste de Prosecuting Counsel, nouvellement créé, pour assister la police dans le traitement de dossiers de poursuites judiciaires devant deux cours de justice, à Moka et à Souillac.

Je conservais en même temps ma liberté de pratiquer au barreau privé dans des juridictions autres que ces deux cours. Je vois subitement un ‘turn of events’ dans ma carrière d’avocat au privé et je deviens le premier de ma cuvée à paraître en Cour d’assises à l’âge de 23 ans. Sir Maurice Rault, Chef juge de l’époque, reçoit feu Guy d’Arifat qui, me voyant plaider dans l’enquête préliminaire précédant le procès, recommande que le Chef juge me permette de paraître aux Assises dans cette affaire de meurtre malgré mon jeune âge. Cela m’a donné une certaine notoriété subite et certaine, tant et si bien que sir Anerood Jugnauth et Harish Boodhoo m’exhortent à démissionner comme Prosecuting Counsel pour embrasser une carrière politique à plein temps tout en restant actif au barreau. The rest is history !

Et la suite ?
Je suis élu premier député à Flacq/Bon-Accueil en 1982. Ce sont donc là mes débuts ; c’est ainsi que je me suis construit, avec le caractère rigoureux d’un jeune téméraire. Mon ami, (feu) Mᵉ Yousouf Mohamed, m’avait toujours dit s’attendre à me voir sur le Front Bench de la Cour suprême et était d’avis que je subirais le même sort que lui, ayant été le dernier de sa cuvée à y être nommé. Aujourd’hui, je suis là où je suis et je sais qu’on me suit de près, soit pour m’accommoder, soit pour m’incommoder. J’ai toujours eu cette impression que l’establishment politique a peur de moi. Les secrets mal gardés brillent de mille feux. 

Serait-ce une liste bloquée ou alors votre approche et votre franchise n’ont jamais plu aux gouvernements qui se sont succédé ?
Mon sens de l’honneur m’impose une certaine retenue. Je préfère ne pas répondre à cette question.

Sur quels critères juge-t-on qu’un avocat ou un avoué mérite d’être nommé Senior Counsel, alors que ce n’est qu’un titre honorifique et symbolique ?
Je pense qu’il doit faire partie du dynamisme du barreau, mais je souhaite surtout qu’il soit un exemple d’honneur, de dynamisme, de modestie et d’amabilité, et qu’il respire et propage la joie et le bonheur d’être membre du barreau, assistant les Cours de justice à rendre justice. Bref, un homme d’honneur et de principe.

Parlons politique. Le gouvernement n’avait jamais annoncé dans son manifeste électoral qu’il allait réformer la Basic Retirement Pension, la pierre angulaire de notre système d’aide sociale. Cependant, il fallait une réforme, attendue depuis plus de 20 ans, vous en conviendrez…
Parole donnée, parole sacrée ! Oui, ce gouvernement est coupable d’une grave trahison. Il a remis en question le Welfare State, issu d’un contrat social fondamental pour la stabilité politique et sociale. C’est le concept de l’homme au centre du développement dans un État socialiste. Je suis de ceux qui estiment que cette volte-face aurait dû être évitée afin de prévenir une rupture entre le peuple et le gouvernement. Voilà donc la première cassure. Les autres suivront.

Mais encore…
Ce genre de réforme dont vous parlez devrait se faire autour d’une table ronde et à la suite d’un White Paper, après un Select Committee impliquant tous les bords politiques, les syndicats et les forces vives.

Pourquoi le Parlement a-t-il fermé ses portes alors qu’un débat aussi vif aurait respecté le cri du cœur du peuple ? Le Parlement est vide d’initiatives parlementaires, et on ose parler de changement et de réforme…

Le gouvernement propose des subsides sur cinq produits de première nécessité, dont trois concernent les parents de jeunes enfants, les deux autres étant l’huile et le lait. Pourquoi ne pas étendre ces aides aux produits de consommation courante, tels que les légumineuses, le riz basmati ou les conserves, qui reflètent davantage le panier de la ménagère ?
C’est de l’insignifiance cynique qui ne fait qu’agrandir l’angoisse du citoyen, qui est traité ou maltraité à coups de gestes symboliques. Tout gouvernement a la capacité de trouver de l’argent d’ici et d’ailleurs. Nous l’avons fait dans le passé. Nous pouvons le faire.

Joe Lesjongard a demandé de cesser de s’acharner sur le MSM, déjà sanctionné par le peuple. Pensez-vous que le MSM pourrait renaître de ses cendres ?
Joe Lesjongard reconnaît avec humilité que le MSM a été sanctionné par le peuple. Mais admet-il aussi que, pour revenir aux affaires, il devra convaincre ce même peuple que le message a été entendu et que toute nouvelle faute serait sanctionnée à nouveau ? La ligne politique du MSM était solide. Dès 1983, un programme social ambitieux avait été élaboré, dont j’étais le président du comité de rédaction. Pravind Jugnauth a appliqué le volet infrastructures à la lettre. Ce programme avait le soutien du Parti travailliste de (feu) sir Satcam Boolell en 1983, puis du MMM en 1990. Là où le MSM a échoué, c’est dans la gouvernance, avec des « apprentis-sorciers » autour. Avant de mourir, sir Anerood Jugnauth m’avait mis en garde contre les péripéties à venir. Aujourd’hui, je ne sais plus quoi faire pour eux. Mais un parti ne meurt jamais.

Justement, concernant le MSM, où le bât blesse-t-il ? Est-ce le leadership de Pravind Jugnauth, sa façon de faire ou son entourage ? Et si le MSM devait renaître, serait-ce plus facile sans le leader actuel, avec une alternance crédible ? Une telle alternative existe-t-elle déjà ?
On ne peut résumer les déboires de Pravind Jugnauth à un problème de leadership. Le défi réel du présent ce sont les structures, l’image et le « rebirth » d’un attachement aux vraies normes démocratiques.

Seriez-vous partant, vous un ex-MSM, un ex-cacique du parti Soleil, pour reprendre la main et tenter de redorer le blason ? Si oui, comment ?
Je suis de l’Establishment. Les gens souhaitent vivement que je joue un rôle beaucoup plus actif dans les affaires du pays. Notre absence prolongée va faire les jeux des autres. Si je m’assume, c’est pour préparer l’avenir.

Pensez-vous que les « Moustass Leaks » ont tué et atomisé le MSM et « so la-kwizinn » lors des législatives de novembre 2024 ?
Que les « Moustass Leaks » aient influencé les électeurs, il n’y a aucun doute dessus. Mais ces mêmes « Moustass Leaks » restent un couteau à double tranchant et une épée de Damoclès sur le présent pouvoir et n’est pas une affaire close.

Le peuple a-t-il voté un 60-0 pour l’Alliance du Changement ou pour sanctionner le MSM et ses dérives alléguées ?
Le peuple a voté un 60-0 contre le MSM. Point à la ligne ! Déjà, on a vu que la pression de ce peuple admirable a forcé le pouvoir à revoir des décisions népotiques. Je me dis ceci : n’est-on pas en train de frôler un Printemps mauricien ?

L’appel de Nando Bodha pour une unification de l’opposition extraparlementaire est refusée par tous. Explications ?
Quand je quittais mes fonctions de Speaker, Nando Bodha était alors directeur de la MBC. Il a vu, de ses propres yeux, l’Establishment partir. Or, s’il y a bien un électorat qui a besoin d’un Establishment, c’est celui du MSM. Je comprends aujourd’hui ses efforts, qui traduisent en réalité une reconnaissance de l’erreur tactique commise à cette époque.

Mais, au final, c’est l’électorat qui décidera : est-ce de lui ou de quelqu’un d’autre qu’on voudra ? Il faut néanmoins reconnaître à Nando Bodha le mérite d’avoir bien compris les choses. Car un vide dans une démocratie n’est jamais salutaire pour le pays : il risque d’ouvrir la voie à l’extrémisme, à l’opportunisme et à l’hystérie. Et il est de notre devoir de ne jamais favoriser des intérêts venus d’ailleurs.

Il y a un mécontentement vis-à-vis de ce gouvernement, après seulement neuf mois au pouvoir. Comment expliquer ce revirement de situation politique ?
Le public a habilement utilisé la seule opposition organisée pour évincer le gouvernement en place. Ce qui se passe aujourd’hui montre que ce même public souhaite une élection en deux temps afin de trouver finalement le gouvernement idéal. La lune de miel entre le peuple et l’actuel régime n’a donc été que de courte durée, limitée à la période de la campagne électorale.

Venons-en aux diverses nominations : d’abord des Seniors, puis d’autres nominations refusées après un tollé populaire (Frédéric Curé, le gendre de Paul Bérenger, la fille d’Ehsan Juman et une proche d’Arvin Boolell). Cela fait désordre, politiquement parlant…
Le tollé autour des nominations est facile à comprendre. « Nominations : there is more demand than supply ». Et d’après ma philosophie politique et celle de ce public, ce n’est pas la famille d’abord, mais le peuple d’abord.

L’apparatchik rouge et des analystes reprochent à Paul Bérenger d’envoyer des messages clairs à Navin Ramgoolam de ses intentions et de ses frustrations pour dire qu’il n’est pas satisfait dans la façon dont le PM gère les affaires de l’État. Votre lecture ?
Paul Bérenger a raison de donner son opinion. Fini le temps des conciliabules et de la discrétion. Le public a besoin de savoir qui veut quoi et qui fait quoi. Ce n’est plus le temps de parler d’épiderme. Quand on a raison, on a raison! Paul Bérenger a au moins le mérite de n’avoir jamais été traîné ni devant l’Icac ni devant la FCC. Kasir ou pa kasir, kan bizin koze, bizin koze.

Ce faisant, le MMM prépare-t-il sa sortie de ce gouvernement ou alors son leader veut-il « put his foot down » pour dire « Enough is enough » ?
Quand un membre du gouvernement dit qu’il a des réserves sur son Premier ministre, cela veut dire ce que cela veut dire et ce n’est pas un péché. Dans un monde où il n’y a plus d’opposition, notre démocratie permet aux téméraires la libre opinion.

Pensez-vous être encore crédible pour refaire de la politique active, soit en créant un nouveau parti, soit en rejoignant le MSM et en gérant ce parti ancré dans la dynastie des Jugnauth ?
Combien de personnes crédibles y a-t-il aujourd’hui au Parlement ? J’étais parti sur la pointe des pieds à la suite d’un combat sur une question de principe et de démocratie élémentaire : on ne devient pas une République en 24 heures avec un certificat d’urgence au Parlement. I begged to differ with my leader. Le Parti travailliste avait alors applaudi haut et fort, avec un Navin Ramgoolam à Londres ! Qui est donc plus crédible maintenant ? The answer is blowing in the wind !
 

  • salon

     

 

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