La suspension du directeur général de la Mauritius Broadcasting Coporation (MBC) et du directeur de l’information par intérim vient relancer le débat autour de l’indépendance de cette institution publique. Souvent perçue comme la boîte à propagande du gouvernement, la station de Réduit subit toujours les caprices des princes du jour.
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« La MBC aura vu défiler trois directeurs en deux ans. »
Depuis les dernières élections générales, on a été témoin d’une valse de directeurs à la MBC. Depuis samedi, Meckraj Baldowa et Jugdish Jattoo, respectivement directeur général et directeur de l’information par intérim, sont suspendus pour l’absence de couverture des démolitions des maisons à La Butte et Résidence Barkly. Si Meckraj Baldowa venait à être éjecté de son poste, la MBC aura vu défiler trois directeurs en deux ans.
Un ancien directeur de la MBC se souvient qu’aucun journaliste n’avait été assigné pour assurer la couverture de cet événement, qui avait bouleversé le pays durant une longue semaine. Feu Ambernath Mossae était le seul journaliste qui s’était porté volontaire pour descendre sur le terrain.
« Il avait lui-même pris les images, les autres cameramen avaient refusé de faire le déplacement alors que d’autres étaient en congé maladie », se souvient-il. Et comme Ambernath Mossae n’avait pas de formation pour manier la caméra, les images filmées étaient de mauvaise qualité. « Vous vous rendez compte que la chaîne nationale du pays n’a pas d’images décentes d’un des événements les plus importants de ces vingt dernières années ? », ajoute-t-il.
Trilock Dwarka, qui a été le No 1 de la MBC entre 1996 et 2000, est d’avis que pour changer le fonctionnement de la MBC, il faut à tout prix revoir de fond en comble la MBC Act. Un journaliste en fonction à la station de radiotélévision nationale abonde aussi dans le même sens. Car, pour lui, si la MBC Act garantit l’indépendance de l’institution, elle ne prévoit en revanche aucune pénalité contre ceux qui ont fauté.
Au-delà des sanctions, Trilock Dwarka est d’avis qu’une nouvelle loi sur la MBC pourrait permettre aux journalistes de prendre conscience qu’ils doivent évoluer avec les réseaux sociaux et que c’est tout le comportement et le mindset qui doivent être revus. « Un journaliste de la MBC, lorsqu’il arrive au travail, se contente d’aller couvrir la fonction qu’on lui a attribuée et n’a pas été conditionné pour avoir de la réactivité, alors que c’est un réflexe essentiel, voire le 'BA ba' d’un journaliste », fait-il ressortir.
Qu’en est-il du rôle du directeur dans le fonctionnement de la MBC ? Est-il à la merci du pouvoir en place ? Bijaye Madhou, qui a été directeur de l’institution en deux occasions, soit durant les années 90, puis de 2005 à 2009, raconte que tout dépend de la personnalité du directeur.
« J’ai eu l’occasion de travailler sous sir Anerood Jugnauth et sous Navin Ramgoolam et je peux vous dire qu’aucun des deux ne m’a donné des instructions », explique-t-il. Ce dernier se souvient toutefois que SAJ lui avait une fois « gentiment » demandé de ne pas diffuser sa déclaration controversée sur les « forces démoniaques » dans les années 90. « Mais je l’avais quand même diffusée », se souvient-il.
Tâche herculéenne
Bjaye Madhou concède cependant que la tâche de directeur de la MBC reste tout de même herculéenne. « Car nous devons nous assurer d’être impartial dans le traitement de l’information et l’on est toujours critiqué, que ce soit par l’opposition ou par ceux issus du gouvernement. Les sujets comme les élections générales ainsi que les meetings politiques du 1er mai restent des sujets délicats », raconte-t-il.
Pour un journaliste senior à la MBC, le fonctionnement et l’indépendance de l’institution dépendent vraiment des dirigeants. Ce dernier fait remarquer que c’est sous le règne de Paul Bérenger et de SAJ que la MBC a été la plus indépendante. « Cela a en revanche été moins le cas sous Navin Ramgoolam », lâche-t-il.
Et sous le mandat de Pravind Jugnauth ? Si ce journaliste est d’avis que le Premier ministre actuel n’a pas pour habitude d’interférer, c’est en revanche certains de ses conseillers qui se permettent certaines largesses. « C’est la raison pour laquelle Ashok Beeharry, à titre d’exemple, a démissionné comme directeur de l’information par intérim », dit-il. Ashok Beeharry, que nous avons joint au téléphone, s’est abstenu de tout commentaire à ce sujet.
L’absence d’un rédacteur-en-chef à la MBC reste également une grosse épine. Un membre de la direction nous explique que c’est le rédacteur-en-chef qui doit être le véritable patron de la rédaction et non le directeur. « Avec un rédacteur-en-chef, il est évident que le tort de la non couverture des événements de vendredi dernier ne serait pas revenu à Baldowa et Jattoo ».
La dernière fois que la MBC a eu un rédacteur-en-chef remonte à 2014 sous le règne de Navin Ramgoolam. C’était Datta Ramyead qui assumait alors ces fonctions avant d’être remercié.
Directeur de l’information: l’autre poste à siège éjectable
Les démissions à la MBC au cours de ces deux dernières années ne concernent pas uniquement les directeurs. L’on a aussi pu témoigner d’autres démissions à d’autres niveaux, notamment aux postes de directeur de l’information par intérim. La première démission remonte à février 2017, lorsqu’Ashok Beeharry décide de rendre son tablier à ce poste. Il avait été nommé à un an plus tôt, soit en mars 2016.
Si Ashok Beeharry avait affirmé que ce sont pour des raisons personnelles qu’il avait décidé de soumettre sa démission, en revanche dans les coulisses de la MBC, l’on affirme qu’il était animé d’un sentiment de ras-le-bol et qu’il ne voulait pas être un yes man. La dernière démission au poste de directeur de l’information par intérim est David Boodhna. Une démission survenue à la suite de la controverse entourant la suspension de Mekraj Baldowa et de celle de Jugdish Jattoo.
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