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Mathieu Dacruz : «La vraie politique se voit chez les extraparlementaires»

Ancien élève du collège du St Esprit, fondateur du National Forum for Colleges et de la Tanzania’s Students Coalition on Climate, pays où il étudie actuellement, Mathieu Dacruz est engagé dans diverses initiatives citoyennes telles que la lutte contre le changement climatique. Il partage son analyse de la récente mobilisation du 1er mai et exprime ses attentes à l’égard de la classe politique.

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Des discours prononcés par les principaux blocs politiques lors des rassemblements traditionnels du 1er mai, lesquels vous ont le plus convaincu en tant que jeune ?
Rappelons que 1er mai est avant tout la fête des travailleurs, un moment où nous rendons hommage à ceux qui ont lutté pour la classe ouvrière et où nous devons poursuivre des combats essentiels. Cela ne devrait, en aucun cas, être sujet à la récupération par des politiques partisanes.

Ceci étant dit, en tant que jeune, les discours populistes cherchant à séduire toutes les voix possibles en amont des prochaines législatives ne me convaincront pas. Au-delà des discours emportés par l’habituelle ferveur politique du 1er mai, je pense que beaucoup de jeunes attendent de voir la substance des programmes proposés par les différentes formations politiques avant de se fixer sur leur préférence pour les prochaines élections.

Les discours lors des rassemblements du 1er mai donnent néanmoins une indication sur les priorités des différentes alliances. Sur la forme, la présence d’une traductrice en langue des signes au rassemblement de Linion Moris m’a beaucoup plu. Ceci reflète une forme d’inclusion significative et un changement souhaité au Parlement, par exemple.

Sur le fond, la majorité gouvernementale n’a pas été particulièrement intéressante, les ministres se succédant se sont félicités de ce qui a été fait lors de leur mandat, tout en omettant les scandales qui les ont éclaboussés. L’alliance PTr/MMM/ND a présenté ses 20 mesures phares, qui, je pense, lui donnent un peu plus de crédibilité et de substance. 

Quant à Linion Moris et Rezistans ek Alternativ, leurs rassemblements étaient, pour moi, les plus intéressants, ne craignant pas d’offusquer en évoquant des questions de fond.

Les partis extraparlementaires ont un atout principal : ils n’ont rien à perdre»

Quelle importance accordez-vous aux traditions politiques telles que les rassemblements du 1er mai dans le paysage électoral actuel ?
Le pays possède une riche histoire politique qu’il est essentiel de reconnaître. Une grande partie de cette histoire s’est construite sur le terrain, raison pour laquelle je crois fermement en la politique de proximité. C’est la meilleure façon d’aller à la rencontre des gens et de sonder le pouls de la population. Je pense donc qu’il ne faut absolument pas perdre ces traditions, car ces moments permettent à la population d’exprimer son appartenance politique de manière ouverte et libre, et d’écouter ceux qui nous représentent.

Cependant, qu’on l’accepte ou non, la technologie aura un impact significatif sur les prochaines élections. J’ai été surpris de voir le « e-meeting » du Reform Party, ce qui n’est pas commun, mais est néanmoins intéressant. Nous pouvons déjà constater l’engouement pour l’utilisation des réseaux sociaux - TikTok, Instagram, Facebook… - chez le Premier ministre, ou même chez certains PPS posant fièrement en offrant des ballons de foot aux jeunes ou en inspectant des drains, sur Facebook. 

Tous les Mauriciens aiment aussi suivre l’actualité politique sur les réseaux, et la commenter. Il y aura donc un réel impact sur les prochaines législatives, espérons-le, sans dérives.

Le 1er mai a également vu des acteurs extraparlementaires tels que Linion Moris organiser un rassemblement. Quelle est votre appréciation de leur travail en ce qui concerne les aspects politiques, sociaux et économiques du pays ?
Ces acteurs extraparlementaires occupent une place importante dans le paysage politique mauricien. Linion Moris, constitué du Rassemblement Mauricien de Nanda Bodha, de 100% Citoyens de Dev Sunnasy et de Linion Pep Morisien de Rama Valayden, n’est donc que partiellement extraparlementaire car Nando Bodha occupe encore un siège au Parlement. 

Cependant, ces partis, ainsi que Rezistans ek Alternativ, le Reform Party ou même En Avant Moris, ont un atout principal : ils n’ont rien à perdre. Ils ne sont pas liés à un poste parlementaire et ne ressentent pas le besoin d’un populisme outrancier.

Je pense que la politique, la vraie, se voit de plus en plus chez ces acteurs extraparlementaires. Ils portent des idées de fond au cœur de la scène politique nationale, et contribuent de manière significative au débat politique, qui est avant tout un débat sociétal. Je suis donc ravi de voir l’engagement de plusieurs partis extraparlementaires, et j’espère les voir atteindre le Parlement lors des prochaines législatives.

Il faudrait d’abord enseigner aux jeunes ce qu’est la politique, un projet sociétal basé sur des idéologies profondes»

Dans quelle mesure les initiatives des groupes extraparlementaires répondent-elles aux besoins et préoccupations des jeunes citoyens ?
Je pense que les partis extraparlementaires essaient tant bien que mal d’attirer les jeunes. Cependant, il y a une tendance nationale à suivre les partis traditionnels, à laquelle les jeunes ne peuvent échapper. 

Dans mon entourage, j’ai constaté un intérêt grandissant des jeunes pour s’informer sur la politique et écouter des messages de tous bords. Les groupes extraparlementaires intéressent les jeunes et leurs initiatives plaisent beaucoup. 

Cependant, tous les partis politiques à Maurice peuvent mieux faire pour nous convaincre.

C’est principalement l’alliance PTr/MMM/ND qui a marqué les esprits en termes de propositions qui ont suscité beaucoup de débat, avec les 20 mesures présentées. Des propositions qui retiennent l’attention incluent l’internet gratuit pour tous, le transport gratuit pour tous, mais aussi le congé de maternité d’un an pour les mamans. Ces propositions répondent-elles aux aspirations des Mauriciens et des jeunes, ou ne sont-elles que des mesures populistes, selon vous ?
Ces mesures répondent en partie aux attentes de la population, mais il est vrai que c’est assez populiste. Il est évident que cette alliance veut tout faire pour attirer le plus large électorat possible, ce qui, en soi, n’a rien de mal. C’est à chacun de discerner les mesures réalistes des promesses électorales qui ne pourront être tenues, car ces promesses existent de tous bords. 

Dans l’état économique actuel du pays, critiqué par cette alliance, il me semble improbable que toutes ces promesses puissent être tenues tout en répondant aux besoins réels du pays. On peut se questionner sur la nécessité d’une loi anti-transfuge. Il faudrait d’abord enseigner aux jeunes ce qu’est la politique, un projet sociétal basé sur des idéologies profondes, et non une question de « qui gagnera les prochaines élections ». Ceci pourrait se faire en introduisant des cours civiques à l’école.

De plus, l’introduction des congés menstruels est une bonne chose, bien que beaucoup attendent aussi l’introduction de produits hygiéniques gratuits dans toutes les écoles, une cause défendue par plusieurs ONG depuis des années. 

Quant au volet environnemental de ces propositions, je la trouve un peu légère. Une mesure plus ferme et réaliste, comme retirer la prérogative exclusive du ministre d’octroyer les EIA (Environmental Impact Assessment), pourrait plaire à plus de Mauriciens.

Les débats parlementaires donnent effectivement un aperçu de l’état de notre démocratie, qui est malheureusement en recul»

Comment évaluez-vous les mesures prises par le gouvernement ? Celui-ci met en avant son bilan, notamment dans le domaine social où il a réussi à préserver l’emploi durant la crise de la COVID, tout en distribuant diverses allocations sociales, dont les Rs 20 000 aux jeunes de 18 ans. Toutes ces initiatives semblent conforter le gouvernement dans l’idée que, malgré les critiques, la masse silencieuse approuve fortement sa politique. Qu’en pensez-vous ?
Il est vrai que le gouvernement en place a « deliver ». Les infrastructures dans le pays se sont améliorées, et les allocations sociales ont trouvé un écho favorable auprès de nombreux citoyens. Quant à la sauvegarde des emplois lors de la COVID, je ne pense pas qu’il y ait de quoi se vanter car la COVID était une crise globale, et la reprise économique était attendue comme un effort international. 

Cependant, le nombre de scandales auxquels ce gouvernement a fait face ne peut être ignoré par la population. De plus, la baisse du pouvoir d’achat des Mauriciens et le fossé grandissant entre les riches et les pauvres dans ce pays ne sont pas des arguments positifs en faveur du bilan du gouvernement. Il ne faudrait donc pas que le gouvernement se repose sur ses lauriers, pensant que la masse silencieuse approuve sa politique, car c’est faux. 

Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels le gouvernement mauricien est confronté actuellement sur les plans économique et social ?
Le pouvoir d’achat des Mauriciens devrait être la première des préoccupations du gouvernement. Il est inacceptable que certains se remplissent les poches tandis que tant d’autres doivent se serrer la ceinture. Il faudrait que le gouvernement établisse un Budget 2024-25 réaliste, qui s’aligne avec les principaux défis auxquels sont confrontés les Mauriciens, et qui ne mettra pas le pays sur la paille. 

En tant que jeune qui compte retourner au pays après ses études, l’état socio-économique du pays ne peut que m’inquiéter. Si ce problème de pouvoir d’achat n’est pas résolu, les injustices sociales ne feront qu’augmenter, créant un climat de tension dans le pays.

Il ne faudrait pas que le gouvernement se repose sur ses lauriers, pensant que la masse silencieuse approuve sa politique, car c’est faux»

Les débats parlementaires ont été marqués par des expulsions répétées des membres de l’opposition, ainsi que par des critiques à l’égard du comportement jugé agressif du Speaker. Quelles sont vos impressions sur ces échanges au Parlement ?
Je ne suis actuellement pas basé à Maurice et, ayant vu ces échanges, je les ai montrés à quelques amis, principalement européens, qui n’ont pu s’empêcher de rire. Jamais je n’avais ressenti une telle honte pour mon pays. Je pense que ça veut tout dire… 

Le Parlement, véritable temple de notre démocratie, doit être respecté. C’est la moindre des choses pour ceux qui sont payés, avec notre argent, pour nous y représenter. Ce qui se passe au Parlement est un manque de respect total envers toute la population, et certains devraient avoir honte, à commencer par le Speaker. 

En tant que jeune, pensez-vous que les débats parlementaires influencent votre engagement politique et votre perception de la démocratie ?
Pas nécessairement, j’aime suivre les débats parlementaires pour être informé des prochaines lois qui seront adoptées dans le pays, mais le niveau de ces débats est parfois aberrant. J’attends le jour où les débats parlementaires se feront en créole, un créole courtois et respectueux, qui serait le reflet de notre mauricianisme. Je pense que les Mauriciens trouvent ridicule cet anglais forcé et ces insultes en créole qui retentissent de temps à autre. 

Mon engagement politique, qui est profond, personnel et fondé sur mes convictions, n’est donc pas influencé par les débats parlementaires. Cependant, les débats parlementaires donnent effectivement un aperçu de l’état de notre démocratie, qui est malheureusement en recul.

 

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