Interview

Marie-Noëlle Elissac-Foy: « Il y a un potentiel inexploité chez les femmes à Maurice »

Marie-Noëlle Elissac-Foy, directrice de Talent Factory, estime qu’il ne faut pas juger les femmes qui choisissent d’abandonner une carrière professionnelle pour se consacrer à leurs familles. Ce qui importe, estime-t-elle, c’est que les femmes, quelle que soit la voie choisie, soient épanouies. [blockquote]« Près de 90% des produits artisanaux vendus à Maurice sont fabriqués en Chine! C’est scandaleux. »[/blockquote] Selon un rapport du FMI, à Maurice plus de 50 % des femmes en âge d’exercer une activité ne travaillent pas… pire six sur dix quitteraient leur travail pour se consacrer à leurs familles. Que vous inspirent ces constatations ? Ce rapport souligne un point fondamental de la vie des femmes d’aujourd’hui : qu’il est encore difficile pour une femme de concilier vie professionnelle et familiale. Certaines femmes ont toujours le sentiment d’être incapables d’avoir le meilleur des deux mondes. Elles sont soit carriéristes, soit épouses et mères au foyer. Il y a ce sentiment qu’elles ne peuvent have it all. Mais, en même temps, il appartient aux femmes de trouver le bon équilibre entre une vie professionnelle et une vie de famille. Au final, ce qui importe c’est que les femmes, quelle que soit la voie choisie, soient épanouies. Pourquoi est-ce que ce choix s’impose à la femme uniquement ? Il ne faut pas occulter que nous vivons dans une société patriarcale et on attend des femmes des rôles spécifiques pour ne pas dire stéréotypes. Une femme qui connaît une ascension dans sa carrière fera face à des interpellations concernant son statut d’épouse ou de mère. On lui demandera comment elle compte gérer son temps, sa famille, ses enfants et sa carrière. Des questions qui ne seront jamais posées à un homme ! À lui, on lui demandera comment il aborde le défi professionnel qui se présente à lui. Le fait demeure que la femme a toujours besoin de se prouver deux fois plus que l’homme dans le monde du travail. Et cela ne va pas changer de sitôt et c’est vraiment dommage. On imagine difficilement que la femme soit capable d’assumer sur les deux fronts. Et c’est ce manque de confiance de la part des autres qui souvent pousse certaines femmes à abandonner leurs carrières. Quand même six femmes sur dix… Certes, mais analysons ce fait autrement. Ce sont six femmes qui choisissent leurs familles et on n’a pas le droit de les juger. J’ai été une femme très career focused mais aujourd’hui j’ai changé. Je revendique le droit d’être bien chez moi, de ne pas courir derrière la reconnaissance professionnelle. Là où ces chiffres devraient nous alarmer, c’est que nous perdons beaucoup de brain power si ces six femmes sur dix ne sont pas encouragées à mener une activité économique parallèle. Il ne faudrait surtout pas que ces femmes disparaissent du paysage économique mauricien. Aujourd’hui, nous entrons dans l’ère de l’économie collaborative, du développement durable. Je pense qu’il y a là un potentiel à exploiter, qu’il y a d’autres modèles de travail à inventer. Là aussi on note que les femmes hésitent. Pourquoi selon vous ? Beaucoup n’ont pas le courage de prendre des risques. Je l’ai fait moi, car je suis soutenue par ma famille. On peut aussi mettre une pause à sa carrière et reprendre ses études. Personnellement, j’ai beaucoup d’admiration pour celles qui le font. Il faut encourager ce genre d’initiatives. Certaines femmes trouvent leur bonheur à travers une autonomie. Cela leur permet aussi de retrouver leur équilibre. Je vois aussi de plus en plus de femmes – de profession libérale et de plus en plus jeunes – qui se mettent à leur propre compte. Ces femmes savent mieux que quiconque comment créer leurs propres opportunités et se donner la chance de progresser plus rapidement que si elles restaient dans un environnement de travail contraignant, où elles seraient victimes du glass ceiling. L’entrepreneuriat, par exemple ? Si le gouvernement encourage la fabrication, la commercialisation et l’achat de produits véritablement faits à Maurice, on verra davantage d’hommes et de femmes se tourner vers l’entrepreneuriat. N’est-ce pas le cas actuellement ? Près de 90 % des produits artisanaux vendus à Maurice sont fabriqués en Chine ! C’est scandaleux. Il faudrait que l’Etat protège les produits fabriqués localement comme la marque Made in Moris. Si le marché reste inondé de produits importés, comment cela va-t-il motiver les Mauriciens à devenir entrepreneurs ? Lors d’une conférence dans le cadre de Hotel World 2016, un expert international en marketing touristique, a expliqué que d’après lui, un touriste serait prêt à payer 20 % plus cher pour un produit vraiment Made in Mauritius. C’est la valorisation du produit mauricien qui va encourager l’entrepreneuriat. Quid du soutien de l’Etat ? Il faut saluer l’initiative de la mise sur pied de MyBiz et de MauBank. Mais attention, les attentes sont grandes. Il faut poursuivre les campagnes d’explications. Il y a beaucoup d’acteurs dans ce secteur, donc beaucoup d’informations à collecter. D’où l’intérêt d’avoir des initiatives telles Smart Moves qui fait ce travail de tri d’informations et qui encourage les échanges entre les entrepreneurs. De plus, les avantages offerts dans ces nouveaux programmes touchent ceux qui veulent se lancer maintenant dans l’entrepreneuriat. Les opérateurs qui sont déjà établis attendent aussi des mesures de soutien et d’accompagnement. J’espère que cela viendra avec le nouveau Budget. En tant que femme entrepreneur dans le secteur de services, quelles sont les difficultés auxquelles vous avez à faire face? Je préfère ne pas parler de difficultés mais plutôt de la chance que j’ai eue de créer des opportunités. Par exemple, pour Smart Moves, nous venons de collaborer avec Karen Yvon (Total Startupper of the Year) pour monter un projet 2016 Pitch-A-Thon, un projet en trois phases  (formation, atelier, pitch). Nous voulions permettre aux entrepreneurs mauriciens ou basés à Maurice de profiter de la présence de Project Getaway, un groupe d’entrepreneurs venus du monde entier. Ces derniers ont passé trois semaines à Maurice. Nous avons mené ce projet, grâce à notre seule volonté. Une vingtaine d’entrepreneurs ont pu en bénéficier. Cinq d’entre eux ont pu obtenir un soutien offert par Project Getaway et d’autres entrepreneurs mauriciens. Le mot de la fin? Il y a un potentiel inexploité chez les femmes à Maurice aujourd’hui. Il faut trouver des secteurs où les femmes peuvent apporter leur contribution. Par exemple, il y a le changement climatique qui nous affecte tous. Il faut poursuivre la réflexion pour voir dans quelle mesure les femmes peuvent produire des services pour mitiger les effets de ce phénomène. Il y a aussi des potentiels dans le secteur agricole et dans le secteur d’eco-business.
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