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Marche contre la réforme de la pension «BLD», l’arme du peuple, retournée contre ses élus

L’appel à la mobilisation entendu, samedi, dans les rues de Port-Louis.

Portée par un large front syndical et soutenue par une population inquiète pour ses droits, la marche de samedi contre la réforme de la pension était marquée par des voix fortes et des colères sourdes. Le slogan « BLD » a changé de camp. Hier lancé contre l’ancien gouvernement, il vise aujourd’hui ceux qui promettaient justice et équité.

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Le slogan « BLD », jadis crié avec rage contre le gouvernement MSM lors des élections de 2024, a changé de cible. Le samedi 21 juin 2025, sous un soleil trompeur de faux hiver, des centaines de manifestants ont battu le pavé entre le Champ de Mars et le Jardin de la Compagnie. Leur objectif : dire un NON retentissant à la réforme de la Basic Retirement Pension (BRP), qui ferait passer l’âge de 60 à 65 ans. Ce cri du cœur, lancé par des voix tremblantes ou puissantes, a été dirigé vers le gouvernement actuel, élu avec l’espoir d’un avenir plus juste.

Le point de départ, le kiosque du Champ de Mars, n’était pas anodin : c’est là qu’est né le Parti Travailliste, symbole historique de lutte pour les travailleurs avec Guy Rozemont. De nombreux syndicats ont répondu à l’appel : General Workers Federation (GWF), Fédération des travailleurs unis (FTU), Confédération des travailleurs des secteurs public et privé (CTSP) et autres fédérations solidaires.

« Napa tous nou pansion. C’est un acquis. C’est ce qui nous fait vivre », a martelé Radhakrishna Sadien de la State and Other Employees Federation (SEF), au cœur de la mobilisation. Si certains espéraient une foule plus massive, les organisateurs se sont dits satisfaits de cette démonstration d’unité, rare depuis longtemps dans le monde syndical.

La marche n’a pas réuni que les bénéficiaires actuels. Des jeunes, des femmes, des familles entières sont venues exprimer leur solidarité. À l’image de cette gentille dame qui aura 60 ans en septembre prochain. « Je suis là pour ceux qui viendront après moi. Les technocrates doivent sortir de leur bulle. La vie est chère. Certains ne mangent plus à leur faim », confie la quinquagénaire, les bras accrochés à sa petite-fille Louanna.

Ajagee, une femme d’un certain âge, s’indigne : « Eski bizin atann 65 an pou gagn nou pansion apre tou seki nou gran dimounn finn fer pou sa pei ? Bann gran misie ki dir zot pe reflesi, zot kone kouma nou’nn soufer ? Pa blie zefor nou finn fer ! »

Comme elle, de nombreux manifestants d’âge moyen, pas encore concernés par la réforme, sont venus grossir les rangs. Ils scandent « BLD » à tout-va. Un petit monsieur, frêle mais déterminé, drapeau national autour des épaules, nous lance : « Navin nou pa oule ! Tonn promet enn ta, me tonn trayir nou. Ale, lev pake ale. » Puis il ajoute, avec colère : « Nou finn vot zot. Azordi zot larg nou. Zot pou pey li ser. »
Parmi les slogans les plus marquants, celui-ci résonne particulièrement fort : « Nou pena valiz ni kof for. » Autrement dit, pas de privilèges, pas de passe-droits. Un autre cri s’élève : « Morisien pa mandian ni esklav. Nou dimann lazistis. Pa tous nou pansion. Nou drwa sa. Nou’nn travay pou sa. »

Les profils des marcheurs étaient variés. Certains retraités avançaient lentement, épuisés mais présents. D’autres, bien plus jeunes, scandaient avec conviction. Parmi eux, Kashmira, une jeune femme de 20 ans, portant fièrement le drapeau national sur ses épaules : « La location de Diego Garcia est une honte. Pourquoi ne pas trouver d’autres alternatives, comme taxer davantage les plus riches ? Anjalay Coopen a donné sa vie pour cette pension. Revoyez vos copies. »

Hanna Soobramanien, 20 ans, puéricultrice et propriétaire de l’école pré-primaire Happynest Nursing & Infant School, manifeste elle aussi. Pourquoi ? « Les politiciens, de nos jours, respectent-ils les personnes âgées pour ce qu’ils sont devenus ? Eux roulent en voitures duty free et partent en voyage aux frais de l’État. Ils ont encore le culot de marcher avec nous qui sommes des militants pour les plus démunis ? N’ont-ils pas un peu d’amour-propre ? »  

La marche a pris fin dans le calme. Aucun débordement, si ce n’est quelques tensions à l’arrière du cortège. Là, plusieurs anciens ministres du MSM et leurs alliés ont tenté de se fondre dans la foule. Mais pour le lumpenprolétariat rassemblé ce jour-là, leur présence était de trop. Ils n’étaient pas invités. Leur place n’était pas là.

À l’égard des anciens ministres défilant - Une syndicaliste : « Kot nou ete zordi se an gran parti akoz zot »

Ils pensaient passer inaperçus à défaut d’être accueillis chaleureusement. Mais l’ambiance était toute autre. Bien qu’ils n’aient pas été physiquement molestés, plusieurs anciens ministres du gouvernement sortant de Pravind Jugnauth ont été froidement ignorés, voire hués à mots couverts.

Ces figures de l’ancien régime, reléguées à la fin du cortège, n’avaient clairement pas leur place dans cette mobilisation populaire. « Zot pe rod rol, pe bat nou bis. Dir zot. Kot nou ete zordi se an gran parti akoz zot. Zot pa ti konn nanye. Zot mont dadak ek zot froder manif », a lâché une syndicaliste de la SEF, cinglante dans ses propos. 

De nombreux slogans fusaient aussi bien contre Navin Ramgoolam que contre Pravind Jugnauth. Une manière pour les manifestants de rappeler qu’aucun leader, passé ou présent, ne pourra échapper à la colère d’une population qui refuse qu’on touche à ses acquis fondamentaux.

 Vasant Bunwaree : « Il faut geler l’application de cette mesure »

Présent à la marche pacifique à Port-Louis, l’ancien ministre des Finances Vasant Bunwaree a lancé un appel à la concertation : « Il faut suspendre cette réforme et réunir tous les acteurs autour d’une même table. » Fort de son expérience, il rappelle que Navin Ramgoolam avait déjà demandé à ses ministres de revoir le budget à deux reprises.

Pour Vasant Bunwaree, des alternatives existent, notamment une réforme de la fiscalité directe. Il plaide pour une approche plus humaine et équitable, dénonçant une décision injuste et économiquement contre-productive. « Cette réforme démobilise, démotive. Elle mine le moral d’une partie de la population et peut nuire à la productivité. Les gens se sentent abandonnés. Pourquoi le gouvernement abat-il sa propre population ? » 

Adrien Duval forcé de s’expliquer

« Rann pansion Speaker ! » C’est sous ce slogan peu amène qu’Adrien Duval a été froidement interpellé par plusieurs manifestants au Jardin de la Compagnie. Certains lui ont clairement signifié qu’il n’était pas le bienvenu, réclamant des comptes sur ses avantages d’élu.

Pris à partie, le député du PMSD ne s’est pas dérobé, même sous tension : « On me demande de restituer ma pension de Speaker, mais je ne l’ai jamais touchée. Cette histoire selon laquelle je percevrais des dizaines de milliers de roupies en pension est fausse. Un député ne touche de pension qu’après deux mandats – c’est la règle pour tout le monde. Mais moi, je ne perçois actuellement aucune pension, ni en tant qu’ancien Speaker, ni à aucun autre titre. D’ailleurs, un élu ne touche pas plus que Rs 35 000 mensuellement comme pension. »

Interrogé ensuite par un manifestant sur la nécessité de revoir les privilèges accordés aux élus, Adrien Duval a répondu sans détour : « Je voterais pour une telle décision. »

Les syndicalistes appellent à une mobilisation collective

Lors de la marche contre la réforme de la pension, Reeaz Chuttoo, de la Confédération des travailleurs des secteurs public et privé (CTSP), n’a pas caché son amertume. Pour lui, la mobilisation massive a marqué une fracture politique et morale profonde. « Deux choses se sont passées samedi : une forte mobilisation contre le recul de l’âge de la pension, et la rupture symbolique avec Ashok Subron, déclaré paria par les manifestants », a-t-il déclaré.

Il dénonce une trahison des luttes sociales. « Le combat pour la pension à 60 ans a commencé en 1996 contre un rapport de la Banque mondiale. Aujourd’hui, un militant qui se disait de gauche défend un agenda néolibéral. Ashok Kumar Subron est devenu le ‘chatwa’ des capitalistes », accuse-t-il. Selon lui, cette volte-face a permis à l’Alliance du Changement d’accéder au pouvoir grâce au soutien des travailleurs.

Jane Ragoo, également de la CTSP, hausse le ton. Elle dénonce un gouvernement sourd aux revendications populaires. « En sept mois, des décisions majeures sont prises dans notre dos », s’indigne-t-elle. L’heure, martèle-t-elle, est à la résistance collective : « Peut-on laisser un gouvernement faire ce qu’il veut avec nous ? » Son message au Premier ministre est sans appel. « Pa vinn rass manze dan labouz bann gran dimounn. Tann sa lavwa lepep-la ! » Elle appelle à une table ronde pour discuter de la mesure. « Nou bizin asize, nou koze, nou deside ansam », insiste-t-elle.

Atma Shanto, de la Fédération des travailleurs unis (FTU), alerte sur la gravité de la situation. Pour lui, la réforme est une attaque contre un acquis social obtenu de haute lutte. « La foule a clairement rejeté ce démantèlement de la pension de vieillesse. Ce gouvernement pense pouvoir piétiner les travailleurs, mais nous serons là », prévient-il. Il appelle à la mobilisation collective : « Ce n’est que la première marche.

D’autres suivront. Cette réforme n’est pas une fatalité, c’est un attentat social. Et nous n’allons pas rester les bras croisés. » 

L’accueil glacial réservé aux figures du GM sortant

Ils ont tenté de faire profil bas en fermant le cortège de la manifestation syndicale. Que ce soit Pravind Jugnauth, en costume sans cravate, escorté de ses gardes du corps ou encore le trio d’anciens du MMM, Alan Ganoo, Steven Obeegadoo et Kavi Ramano, en passant par d’autres ex-membres du gouvernement, tous ont discrètement rejoint la foule. Discrets, mais pas invisibles : arborant fièrement le quadricolore sur les épaules, ils tentaient de se fondre dans le cortège.

Pourtant, leur présence n’est pas passée inaperçue, ni n’a-t-elle été particulièrement bienvenue. Les slogans « BLD » fusaient dans l’air. L’accueil était glacial.

Qu’à cela ne tienne : ces anciens ministres et figures du gouvernement sortant ont compris qu’ils devaient justifier leur présence à une manifestation syndicale... à laquelle ils n’étaient pas invités. Pravind Jugnauth s’est voulu solidaire, lançant : « Nou exprim nou solidarite ek bann kamarad sindikalis ki finn organiz sa manifestasion-la ek nou exprim nou mekontantman fas a sa bann mezir-la. »

Mais la tension était palpable. Escorté par ses gardes du corps – certains officiels, d’autres non –, le leader du MSM a dû quitter précipitamment le cortège au niveau du Jardin de la Compagnie. Certains avancent qu’il était attendu ailleurs, d’autres parlent d’une foule de plus en plus hostile.

Quant aux autres figures présentes, elles ont tenté de légitimer leur participation. À l’instar d’Alan Ganoo, venu par « solidarité » : « Cette réforme de la BRP est une décision injuste. Éliminer les allocations sociales est impensable. »

Steven Obeegadoo, lui, a dénoncé les effets d’une politique qu’il juge régressive : « À chaque fois qu’un gouvernement adopte une politique d’austérité, ce sont les plus vulnérables, et même la classe moyenne, qui en souffrent. Et sur la réforme de la BRP, ce gouvernement n’a aucun mandat pour agir ainsi. »

De son côté, Kavi Ramano a alerté sur les dangers pour l’État-providence : « Cette réforme concerne de nombreux Mauriciens. Elle remet en cause notre Welfare State. Après la pension, ce sera la santé, puis l’éducation gratuite. C’est pour ça que je suis ici, avec mes camarades ex-ministres. »

  • Nou Lacaz

 

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