- 544 enfants placés dans les «Shelters»
Tous les enfants n’ont pas la chance d’être choyés par leurs parents, leurs proches ou leur entourage. Pour certains, la vie n’est qu’une succession d’épreuves. Constat.
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464 cas de maltraitance envers les enfants ont été rapportés en janvier 2017. C’est ce qu’indiquent les chiffres du ministère de l’Égalité des genres, du Développement de l’enfant et du Bien-être de la famille. En 2016, le nombre de cas enregistré était de 5 904, contre 6 035 en 2015. Beaucoup d’autres souffrent en silence.
Le décès du petit Ezra a choqué plus d’un récemment. Le garçonnet de 18 mois souffrait de malnutrition et il a succombé à un œdème cérébral et pulmonaire. Son père maintient qu’il n’a pas été maltraité. En octobre 2016, une mère a été jugée coupable d’avoir provoqué la mort de son nourrisson de trois mois en le plongeant dans un seau d’eau en 2011. Marie-Noëlle Fortuno, 34 ans, souffrait de troubles psychiatriques.
Naina, une habitante de l’Est, n’est pas restée indifférente quand elle a appris que sa voisine maltraitait son enfant de deux ans. « La mère et la grand-mère sont des alcooliques. Leur compagnon se drogue. L’enfant est souvent dans la rue avec sa couche et n’arrête pas de pleurer. Nous avons dû intervenir à plusieurs reprises, avant de rapporter le cas aux autorités concernées. Nous attendons toujours la visite des officiers de la Child Development Unit. Cet enfant est en danger dans sa propre maison. La mère est constamment sous l’influence de l’alcool et ne lui accorde aucune attention. Elle ne lui donne pas à manger. C’est le rôle du voisinage d’intervenir dans de tels cas », explique-t-elle.
L’enfant victime de violence est suivi par un psychologue ou envoyé dans un refuge. Il existe vingt Shelters à Maurice et 544 enfants y résident actuellement. La Child Development Unit (CDU) opère à travers un réseau de six avant-postes pour assurer la mise en vigueur de la loi sur la protection de l’enfance. Elle fournit une assistance aux enfants victimes de violence physique, émotionnelle, psychologique ou sexuelle. Cela consiste aussi à assurer le conseil juridique, la sécurité et les visites à domicile.
Il existe une panoplie de services offerts par le ministère pour aider les enfants en détresse. Dans les cas extrêmes, les victimes sont placées dans des institutions afin de garantir leur sécurité. En dernier recours, certains se retrouvent dans les Residential Care Institutions. Ce sont des établissements non gouvernementaux qui travaillent en collaboration avec la CDU. Leur but est d’agir comme passerelle. L’enfant est pris en charge pendant un certain temps, avant d’être renvoyé dans sa famille. Alors que le Foster Care System (FCS) permet aux enfants victimes de mauvais traitements et/ou de négligence de vivre dans une famille de substitution à titre temporaire. Le Child Mentoring Programme est destiné aux enfants de 10 à 16 ans ayant des problèmes comportementaux. Cela leur permet d’établir des relations positives avec leur famille et la société. Il y a également l’atelier partage parents (APP), qui forme les parents.
Mélanie Vigier de Latour-Bérenger : «La situation est alarmante sur le terrain»
Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, psychosociologue et porte-parole de l’ONG Pédostop et du Kolektif drwa zanfan morisien, soutient que « la situation est inquiétante sur le terrain ». Selon elle, les 6 000 nouveaux cas rapportés chaque année à la CDU ne reflètent pas la réalité, qui est beaucoup plus grave. De nombreux cas ne sont pas signalés, soit parce que l’auteur des violences est un proche, soit par honte, à cause du tabou social, par peur, ou encore à cause du déni. Elle observe qu’à Maurice, beaucoup de personnes pensent encore que l’utilisation de la violence est justifiée pour éduquer un enfant. Elle est encore banalisée et minimisée.
Les recherches montrent que la violence est issue d’une interaction entre plusieurs facteurs. « La violence n’est pas génétique ! Parmi les facteurs explicatifs de la violence, il y a les facteurs psychologiques, dont le fait d’avoir eu un attachement insécurisant avec la mère ou une personne responsable, les difficultés à gérer le stress, le traumatisme passé non mis en mots, l’impact de l’abus d’alcool... Les facteurs biologiques peuvent avoir un rôle dans la préparation et le contrôle des comportements agressifs. De plus, il y a les facteurs sociaux tels que l’influence des pairs, la présence de la violence dans la famille et à l’école, le manque de surveillance parentale. Il y a aussi les facteurs environnementaux comme l’excès de bruit ou de chaleur et la densité sociale. »
La psychosociologue précise que dans les situations de violence, il s’agit d’agir à deux niveaux : l’intervention et la prévention. « L’intervention est primordiale pour protéger les enfants en danger. Une prise en charge sociale, psychologique, médicale et légale est souvent nécessaire. La prévention aidera, entre autres, à comprendre l’importance d’agir, de ne pas être violent, de ne pas accepter la violence. La maltraitance n’est pas une affaire de famille. Il est trop facile de se cacher derrière les “le linge sale se lave en famille” ou “mo pa rant dan zafer vwazinaz”. Se taire, c’est laisser faire ! On ne peut pas prendre le risque de laisser mourir d’autres enfants à Maurice. On devrait pouvoir assurer le bien-être et la sécurité des quelque 350 000 enfants du pays. Il est primordial d’agir au niveau individuel, institutionnel et national », indique-t-elle.
Sur le plan individuel, il ne faut accepter aucune forme de violence sur soi ou autrui et pas être un témoin passif des situations de violence. Il faut briser le silence si on est victime ou témoin et apprendre à mettre des mots sur nos sentiments de colère, de peur ou de tristesse au lieu de les mettre en action.
Sur le plan institutionnel, la psychosociologue dira qu’il est primordial de faire respecter la loi. La violence est interdite dans les écoles depuis 1957 ! Or, elle tient toujours une place importante dans de nombreux établissements. Et par honte ou normalisation, les situations ne sont pas rapportées aux autorités. Il est primordial que la direction et le staff des écoles et d’autres institutions interviennent, comprennent les enjeux et les effets négatifs de la violence, et l’interdisent. Il y a des programmes de prévention, comme les amis de Zippy, qui aident les enfants à développer leurs habiletés sociales.
Sur le plan national, la volonté politique est essentielle. Selon Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, il faut informer la population à travers des campagnes de sensibilisation menées par des professionnels. On doit former les officiers impliqués dans la protection de l’enfance pour qu’ils agissent de manière efficace, sans laisser des situations non résolues pendant des mois, avec des enfants en danger. Il faut aussi amener les parents à développer leurs habiletés depuis la grossesse.
Ce que prévoit la loi
Selon l’avocat Germain Wong, l’article 13 du Child Protection Act prévoit que toute personne maltraitant un enfant ou l’exposant à un danger commet un délit. « Si une personne commet une infraction à l’article 13 du Child Protection Act, elle est passible d’une amende maximale de Rs 25 000 et d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas cinq ans, si elle est jugée coupable par un tribunal. »
Rita Venkatasawmy plaide pour la prévention et la réhabilitation
Pour l’Ombudsperson for Children, Rita Venkatasawmy, il est temps de mettre en place une stratégie pour éduquer les parents, ainsi que la population en général. Il y a aussi le devoir du voisinage. « C’est malheureux que, dans certains cas, on n’ait pas pu détecter le problème. Il faut dénoncer les cas de maltraitance, pour éviter qu’il y ait des victimes », lance-t-elle. De plus, elle considère que la pauvreté ne peut pas être une raison pour maltraiter des enfants. Elle plaide pour la prévention et la réhabilitation.
« La prévention est primordiale, car nous ne pouvons pas seulement placer les enfants dans des Shelters. Nous devons aussi éduquer les parents. Nous avons un grave problème de Parenting Skills. Souvent, les enfants qui ont grandi dans un environnement violent deviennent eux-mêmes des bourreaux. » En ce qui concerne la réhabilitation, Rita Venkatasawmy déplore le manque de soutien psychologique. « Il existe un Monitoring Scheme, mais il faut qu’il soit mis en pratique. Les travailleurs sociaux et les autorités doivent intervenir dans les familles pour combattre ce problème. »
Demandez de l’aide, si vous êtes témoin de violence : CDU : 113 – Police : 148 – Ombudsperson for Children et des psychologues : 177.
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