- Le rôle crucial des backbenchers et du prochain Speaker
Avec seulement deux députés au sein de l’opposition, Joe Lesjongard et Adrien Duval, le Parlement se retrouve dans une situation inédite. Face à une majorité toute puissante, ils devront trouver les moyens de maintenir un contre-pouvoir efficace, malgré leur isolement.
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Si les résultats des élections générales de 2024 ont suscité une vive satisfaction chez une majorité de l’électorat, l’attention se porte désormais sur deux enjeux majeurs : la formation imminente du nouveau cabinet ministériel et le rappel du Parlement. Ces étapes marquent le début d’une nouvelle législature, mais aussi l’émergence d’un défi inédit : une opposition réduite à deux députés, une configuration qui soulève des interrogations quant au fonctionnement démocratique des prochaines années.
Les deux députés de l’opposition, Adrien Duval et Joe Lesjongard, tous deux repêchés grâce au Best Loser System, devront affronter une majorité écrasante composée des 60 élus de l’Alliance du Changement, soutenus par les quatre députés rodriguais. Cette disproportion pose un défi monumental pour ces élus, qui devront porter seuls la voix de l’opposition.
Adrien Duval et Joe Lesjongard auront pour mission de maintenir un contre-pouvoir face à un gouvernement déterminé à imposer ses priorités. Leur capacité à articuler des arguments solides lors des Private Notice Questions (PNQ) et des séances de questions parlementaires sera cruciale pour assurer la transparence et la redevabilité du gouvernement.
L’opposition devra faire preuve d’endurance et de stratégie pour rester pertinente face aux offensives de la majorité. Sans un réseau d’appui plus large, Joe Lesjongard et Adrien Duval seront isolés dans leurs efforts pour obtenir des réponses claires et précises, qu’il s’agisse de la PNQ, des Prime Minister’s Questions ou des débats législatifs.
Face à ces faiblesses, les deux députés devront démontrer du caractère et une résilience sans faille. Leur aptitude à rester concentrés et à éviter les pièges tendus par la majorité sera déterminante pour leur crédibilité.
Les forces et faiblesses d’Adrien Duval
Une des premières difficultés auxquelles Adrien Duval devra faire face est sa crédibilité. En effet, pour plusieurs membres de l’Alliance du Changement, sa nomination en tant que Speaker de l’Assemblée nationale en juillet dernier a été perçue comme un signal annonçant l’alliance entre le MSM et le PMSD. Ce point pourrait être exploité par le gouvernement lors des débats parlementaires, bien que le PMSD ait régulièrement démenti cette hypothèse.
En termes de forces sur lesquelles Adrien Duval sera appelé à se reposer, son parcours de député de l’opposition après le départ du PMSD du gouvernement en 2016 constitue un atout majeur. En tant que député de l’opposition, Adrien Duval s’est souvent distingué par ses questions parlementaires pertinentes et sa capacité à tenir tête au gouvernement de l’époque, un exercice pour lequel il a fréquemment été salué.
Par ailleurs, Adrien Duval pourra compter sur son parti lorsqu’il s’agira de formuler des questions pertinentes. L’équipe du PMSD, sous la direction de Xavier-Luc Duval, avait été particulièrement active dans l’élaboration de PNQ d’intérêt public pour mettre l’ancien gouvernement sous pression. Adrien Duval pourra également s’appuyer sur son expérience en tant que Deputy Speaker et Speaker pour affiner ses interventions et ainsi tenter de mettre le gouvernement en difficulté.
Les forces et faiblesses de Joe Lesjongard
Depuis les élections générales de 2000, Joe Lesjongard a participé avec succès à six scrutins consécutifs. Il a occupé plusieurs portefeuilles ministériels, notamment ceux de l’Administration régionale, du Logement et des terres, du Tourisme, et enfin des Services publics et de l’Énergie. En outre, il a été Deputy Speaker entre 2018 et 2019, une expérience qui a renforcé sa maîtrise des règles parlementaires et des procédures en vigueur.
Son expérience de ministre pourrait lui permettre de poser des questions pointues et de cibler certaines lacunes des ministres moins expérimentés de l’Alliance du Changement. Par ailleurs, lors de ses précédents mandats dans l’opposition, Joe Lesjongard s’est illustré par des interventions sur des sujets d’intérêt public.
En termes de difficultés auxquelles il aura à faire face, Joe Lesjongard devra affronter ses anciens camarades du Mouvement militant mauricien (MMM), parti qu’il avait décidé de quitter après les élections générales de 2014, un acte que beaucoup de mauves considèrent comme une trahison.
Un autre point faible réside dans son bilan en tant que ministre des Services publics. Sa gestion est critiquée, notamment pour la hausse des tarifs d’électricité et l’absence de progrès significatifs en matière d’énergies renouvelables. De plus, il a été reproché à Joe Lesjongard de ne pas avoir mis en œuvre de mesures concrètes pour éliminer progressivement le charbon comme source d’énergie, un engagement annoncé mais non réalisé. Le contrat attribué à CorexSolar, une société réunionnaise, pour le développement d’une ferme solaire est également une source de controverse, qui pourrait être utilisée par ses opposants.
Un Speaker impartial pour restaurer l’équilibre parlementaire
Le rôle du prochain Speaker de l’Assemblée nationale sera crucial pour rééquilibrer la dynamique au sein de l’hémicycle. Après avoir fréquemment dénoncé les agissements de l’ancien président de l’Assemblée nationale, Sooroojdev Phokeer, accusé de partialité en faveur du gouvernement, les dirigeants de l’Alliance du Changement se sont engagés à nommer un Speaker impartial, afin de garantir le bon fonctionnement de la démocratie parlementaire. Parmi les noms évoqués, celui de Shirin Aumeeruddy-Cziffra revient régulièrement. Si sa nomination se concrétisait, forte de son expérience passée en tant que directrice de la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC) et présidente du Public Bodies Appeal Tribunal, où elle a été saluée pour son indépendance d’esprit, son rôle serait essentiel pour permettre à la faible opposition de s’affirmer pleinement et d’assumer son rôle au sein de l’Assemblée.
Les backbenchers
Le rôle des backbenchers du gouvernement dans la démocratie parlementaire sera également scruté de près. En effet, en plus des deux députés de l’opposition, les backbenchers ont eux aussi la possibilité d’adresser des questions au Premier ministre et aux autres ministres. Si, sous l’ancien gouvernement, ces élus avaient été critiqués pour leur complaisance, souvent accusés de poser des questions visant uniquement à mettre Navin Ramgoolam et les membres de l’opposition en difficulté, il sera intéressant d’observer si une approche plus indépendante émergera cette fois-ci.
On se souvient que, durant la période 2005-2014, plusieurs backbenchers du Parti travailliste (PTr) s’étaient distingués en posant des questions embarrassantes aux membres du gouvernement. C’était notamment le cas de l’ancienne députée Nita Deerpalsing, qui critiquait fréquemment la politique économique du ministre des Finances de l’époque, Rama Sithanen.
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