À l’occasion de la Journée internationale contre la corruption, Transparency Mauritius et Democracy Watch mettent en lumière l’impact du phénomène sur les jeunes et insistent sur l’éducation à l’intégrité dès le plus jeune âge.
Les « enveloppes brunes » et les pots-de-vin appartiennent-ils au passé ? Pas vraiment, mais à Maurice, la corruption a pris des formes bien plus sophistiquées. En cette Journée internationale de la lutte contre la corruption, observée ce 9 décembre, et dont le slogan est « Pa vann ou valer, pou enn faver », Transparency Mauritius rappelle que le phénomène s’est insinué dans les institutions, l’économie et le quotidien des Mauriciens, avec un impact direct sur la jeunesse. Laura Jaymangal, la directrice exécutive, dresse un constat sévère mais appelle les jeunes « à faire de l’intégrité leur propre combat ».
Pour elle, la première urgence est de sortir d’une vision simpliste. « La corruption est définie comme l’abus de pouvoir reçu en délégation pour un bien personnel. À Maurice, la corruption a évolué bien au-delà des simples transactions d’enveloppes pour devenir un phénomène sophistiqué et systémique », explique-t-elle. Blanchiment d’argent, fraude fiscale organisée, corruption transnationale, fraude aux marchés publics : la grande corruption et les crimes financiers se déploient « souvent au détriment des services publics et de l’économie locale ».
Mais ce n’est pas tout. Les pratiques institutionnalisées minent le système de l’intérieur et « compromettent la méritocratie et la bonne gouvernance » : favoritisme, népotisme, conflits d’intérêts, abus de pouvoir discrétionnaire. Et avec l’émergence de nouvelles formes comme la corruption numérique, le trafic d’influence ou la corruption environnementale, le contrôle devient encore plus complexe.
Au-delà des grands scandales, c’est le quotidien qui est impacté. Dans l’administration comme dans le privé, certains comportements sont progressivement devenus « normaux », créant une culture d’impunité où « tout le monde le fait » devient une justification morale. Cette banalisation affaiblit la confiance dans les institutions et rend plus difficile la promotion de l’intégrité et de la transparence.
Ce système touche de plein fouet les jeunes, parfois avant même leur entrée sur le marché du travail. L’accès à une bonne éducation et à un premier emploi peut déjà être biaisé par les « contacts » et le favoritisme. « Dans le domaine de l’éducation, l’accès aux meilleures écoles par exemple est souvent influencé par les réseaux et les connexions, créant une véritable éducation à deux vitesses », constate Laura Jaymangal.
Le drame ? « Ce sont souvent les parents eux-mêmes qui mettent en avant leurs connexions ou considèrent normal de demander à quelqu’un de faire passer leurs enfants, renforçant ainsi ce système inégal. »
Une norme
Le Dr Michael Atchia, de Democracy Watch, partage le même constat. Interrogé sur l’impact du phénomène sur l’accès à l’éducation, aux bourses ou à l’emploi, il avertit : « Malheureusement la possibilité de corruption, de support injuste, de voies détournées pour arriver à des bourses, des emplois entre autres est devenue, du moins en partie, une norme. »
Sur le plan de l’emploi, Laura Jaymangal estime que les recrutements dans la fonction publique, les stages et les premiers emplois favorisent les candidats « connectés », laissant de côté de nombreux jeunes qualifiés et contribuant au « brain drain ». Cette corruption systémique engendre chez les jeunes un sentiment de frustration et de désespoir méritocratique, ajoute-t-elle. À quoi bon travailler dur si tout semble joué d’avance ?
Pire encore, avance le Dr Michael Atchia : ceux qui refusent de jouer le jeu sont stigmatisés. « Ceux qui disent « Moi, je ne prendrai que la voie juste, la méritocratie », se voient déçus, même traités par les autres jeunes de leur groupe de trop idéalistes, de perdants ! »
Les jeunes, selon lui, ne sont pas dupes. Ils voient, entendent, comparent, grâce à l’éducation qui prêche « la vie claire, juste, méritocratique », mais surtout par la presse et les discussions entre eux qui montrent « au quotidien des exemples de corruption des aînés de tout bord ».
Laura Jaymangal observe une génération partagée entre mobilisation et résignation. D’un côté, un segment est engagé et conscient : exposés aux informations via les réseaux sociaux, ces jeunes sont plus vocaux grâce aux plateformes numériques, se mobilisent lors de scandales médiatisés et réclament davantage de transparence. De l’autre, un fatalisme préoccupant persiste : beaucoup considèrent la corruption comme la norme, une stratégie de survie, se désengagent politiquement en pensant que « tous les politiciens sont pareils » et développent un cynisme précoce face aux institutions.
« Le drame est que ce fatalisme est souvent renforcé par les comportements des adultes eux-mêmes », souligne-t-elle. Le défi consiste donc à transformer cette indignation passive en action citoyenne constructive. « Les jeunes ne manquent pas de conscience, mais ils ont besoin de canaux efficaces pour traduire leur frustration en changement réel, de voir que l’intégrité peut triompher, que la dénonciation est protégée et que leur voix compte. »
Face à ce constat, Transparency Mauritius a choisi d’investir les écoles, collèges et universités pour parler d’intégrité dans un langage accessible. Elle organise des ateliers interactifs sur l’éthique, la citoyenneté responsable et l’intégrité, adaptés aux différents niveaux scolaires, ainsi que des concours et projets artistiques. « D’ailleurs cette semaine, nous dévoilons une fresque à l’université de Maurice, peinte par les élèves pour dénoncer la corruption », annonce Laura Jaymangal. Les Youth Roundtables, rencontres trimestrielles, permettent également aux jeunes de s’exprimer, d’analyser les enjeux de gouvernance et de participer activement à la vie citoyenne.
Pour elle, le travail commence très tôt, dans les « petits gestes » : ne pas tricher, dire la vérité, refuser les passe-droits. Expliquer la corruption à un adolescent nécessite « d’adopter une approche réaliste mais positive », en lui montrant les mécanismes du phénomène et ses conséquences, tout en lui faisant comprendre qu’il fait partie de la solution et non du problème.
Message porteur d’espoir
Le Dr Michael Atchia va encore plus loin. Pour lui, tout commence dès la petite enfance. « On doit commencer à parler d’intégrité, de justice, de fair-play dès le plus jeune âge – dans la poussette, dans le berceau, avant le préscolaire. » Le rôle des parents et de la fratrie est crucial : c’est par l’exemple qu’ils vont nourrir l’enfant du sens de la justice, de la méritocratie. La méritocratie ne pourra exister, rappelle-t-il, que si les adultes acceptent, eux aussi, de montrer l’exemple.
L’école a également un rôle central à jouer, notamment au préscolaire et au primaire, « avec la formation des attitudes à la vie ». Des programmes existent déjà : la Citoyenneté, les Études sociales, Ethics And Life Skills. Mais le Dr Atchia souligne « l’absence de telles études dans beaucoup d’écoles et de collèges ».
En cette Journée internationale, le message adressé à la jeunesse mauricienne se veut à la fois lucide et porteur d’espoir. « Le combat contre la corruption est aussi le vôtre, car c’est votre avenir qui est en jeu », déclare Laura Jaymangal. Chaque geste, chaque choix compte pour construire une société plus juste et transparente. « Il est essentiel de comprendre que défendre l’intégrité ne se limite pas aux grandes affaires : cela commence dès le plus jeune âge, dans vos actions quotidiennes, vos études, votre futur emploi et votre participation citoyenne. »
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