
En vue du Budget 2025-26 qui sera présenté le 5 juin, le gouvernement doit jongler entre la protection des plus vulnérables et l’impératif de consolidation budgétaire, tout en sortant d’un modèle axé sur la consommation pour bâtir une économie tournée vers la production, l’innovation et l’exportation. Lucqman Issack, Head of International (Operations) chez JurisTax, acteur-clé du secteur financier, livre son analyse.
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La reprise post-COVID-19 a été encourageante, mais les défis structurels demeurent. Quelles seront les priorités de ce Budget ?
Notre économie reste relativement résiliente et diversifiée, avec des piliers solides tels que le tourisme, les services financiers, l’industrie manufacturière et les technologies. La croissance de 4,7 % en 2023 est un signe encourageant, mais elle masque des fragilités : dette publique croissante, base exportatrice étroite, productivité stagnante et chômage des jeunes.
Une croissance tirée par la consommation ou les dépenses publiques ne saurait suffire. Il faut opérer une transformation structurelle en soutenant des secteurs d’avenir comme la finance innovante, les technologies émergentes (numérique, cybersécurité et intelligence artificielle), l’économie verte, l’agro-industrie modernisée et les services exportables à forte valeur ajoutée. Mais ces secteurs ont besoin d’un écosystème favorable, ce qui englobe une politique industrielle cohérente, une simplification administrative, une prévisibilité réglementaire mais aussi et surtout, un investissement fort dans les compétences numériques, techniques et entrepreneuriales de notre jeunesse.
Le Budget 2025-26 doit être un tournant. Il doit indiquer clairement que Maurice s’engage dans une montée en gamme de son économie et dans une répartition plus équitable des opportunités.
Avec une économie mondiale encore fragile, quels sont les défis pour Maurice ?
Les grandes économies ralentissent. Aux États-Unis et en Europe, l’inflation reste élevée, les prix de l’énergie sont instables et les chaînes d’approvisionnement demeurent fragiles. L’Afrique évolue à deux vitesses. Certains pays redémarrent avec vigueur. D’autres sont pris dans l’étau de la dette et de l’inflation importée. Pour Maurice, ces dynamiques mondiales se traduisent par une baisse de la demande touristique, un recul des investissements directs étrangers et une pression sur nos exportations. Un ralentissement économique en Europe, par exemple, se répercute immédiatement sur nos principaux marchés. Cela renforce l’urgence de diversifier nos débouchés et de repositionner notre économie dans les chaînes de valeur mondiales.
Comment faire face aux coûts logistiques et à la volatilité des devises ?
Maurice importe plus de 80 % de ce qu’elle consomme. Quand le fret augmente ou que la roupie se déprécie, les conséquences sont immédiates. Les prix du transport maritime ont certes baissé depuis 2022, mais ils restent supérieurs aux niveaux pré-COVID-19. La dépréciation de la roupie continue de renchérir nos importations. Nous devons réduire cette vulnérabilité en soutenant la production locale, la consommation de proximité et l’industrialisation légère. Il faut aussi démocratiser des outils comme le « hedging », pour que les entreprises puissent mieux se protéger des risques de change.
Enfin, l’État doit investir dans les infrastructures logistiques – notamment portuaires, qui restent une des grandes priorités du moment – afin d’alléger les coûts structurels liés au commerce extérieur.
Une croissance de 3 % est prévue pour 2025. S’agit-il d’un ralentissement préoccupant ?
Non. Dans un environnement aussi contraint, une croissance modérée mais de meilleure qualité est préférable. L’important n’est pas d’afficher des taux élevés, mais de construire une croissance soutenable, fondée sur l’investissement, l’innovation et l’exportation. Un Budget orienté vers la formation, la transition énergétique, la recherche et la digitalisation permettra de poser les bases d’un développement plus stable et plus résilient à moyen terme.
Quelles sont les pistes de croissance durable à privilégier ?
Maurice dispose d’atouts majeurs : sa position stratégique dans l’océan Indien, un système juridique hybride, une stabilité politique solide et un secteur financier bien régulé. Il est temps de capitaliser sur ces atouts pour faire de Maurice un hub de services pour l’Afrique et l’Asie. Nous espérons que le rapport stratégique « Rethinking the Future of the Financial Services Industry (2025-2030) », récemment validé par le Cabinet, tracera une voie claire : consolider notre place financière, améliorer notre visibilité internationale, développer la Fintech et la finance durable.
D’autres relais de croissance doivent aussi être activés : transition énergétique, industries créatives, économie bleue et services numériques exportables. Le digital peut être un moteur transversal de transformation – « e-gouvernance », « legaltech » et « regtech », entre autres. Mais la clé reste le capital humain. Mal géré, il risque de devenir un goulot d’étranglement pour toute forme de développement. Il faut soutenir la formation professionnelle, les filières technologiques et l’entrepreneuriat, de même que renforcer l’insertion économique des jeunes. Ce n’est qu’à ce prix que Maurice transformera les contraintes du moment en opportunités durables.

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