Interview

Louis Pallen, Chief Fire Officer : «L’incendie de Shoprite est une ‘ringing bell’»

Louis Pallen

Il y a le feu chez nos soldats du feu. Budget médiocre, équipements défectueux ou obsolètes, manque d’effectifs… Le Chief Fire Officer, Louis Pallen, en est conscient et dit espérer que l’incendie de Shoprite sonne comme un Big Ben tant pour les promoteurs que pour les autorités. Il est temps d’agir et c’est maintenant ou jamais, dit-il.

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Allô, allô, 115, y a-t-il le feu dans votre maison ?
Il est facile de faire des critiques après coup. Ce que le public ne sait pas, c’est que le service des pompiers travaille avec des ressources très limitées.

Pourtant, un coup d’œil sur vos services laisse entrevoir que ce ne sont pas les hommes et les unités spécialisées qui manquent…
Oui, le service comprend en son sein plusieurs unités : la Fire Safety, la formation, la Control Room, les Special Operations. Cette dernière unité intervient dans des cas extrêmes et compliqués, comme lors des sauvetages en eaux troubles, des inondations, des fumées épaisses… C’est le pendant du Groupement d’intervention de la police mauricienne.

Combien d’hommes comptez-vous dans vos unités et combien de véhicules sont à votre disposition ?
Il y a environ 900 hommes et 41 véhicules sur papier.

En théorie uniquement ?
Dans nos registres, il y a 41 véhicules, 18 sont opérationnels, 14 sont en  réparation et huit sont hors d’usage, soit vieux ou irréparables. Puis, il y a le camion avec l’échelle télescopique.

Cette fameuse échelle télescopique qui coûte les yeux de la tête est souvent hors circuit…
Une telle échelle nécessite un entretien permanent et coûteux. Actuellement, elle est en service. Elle mesure 32 mètres et peut atteindre le 10e étage d’un bâtiment.

Et, au-delà, comment procédez-vous ? Vous arrosez du 10e ?
Dans tous les immeubles de plus de 10 étages, il existe des installations obligatoires permettant aux pompiers de circonscrire un incendie sans avoir besoin d’une alimentation en eau du rez-de-chaussée. Puis, il y a aussi des sorties de secours totalement imperméables à la fumée, permettant une évacuation facile et sans danger, même en cas de gros incendies. Il existe même des ascenseurs anti-flammes et fumée. Tout cela fait partie des plans que nous vérifions avant d’octroyer le Fire Certificate pour de tels bâtiments.

Parlons  de gros incendies… Vos hommes sont-ils aguerris à ce genre d’exercices extrêmes, alors que bon nombre ont un certain embonpoint ?
Les hommes des unités dites spéciales sont super entraînés, ont le savoir-faire et le courage de mettre leur vie en danger pour en sauver d’autres en péril. Les autres sont tout autant formés et aguerris à toutes sortes de scénarios.

Certains sont tellement « fatty » qu’on les voit difficilement grimper une grande échelle ou se tenir en équilibre…
Pour intégrer le service des pompiers, la sélection est très rude, avec des tests de conditions physiques et d’endurance. Hors de question qu’ils aient des phobies de la hauteur, de la fumée, du noir et, bien sûr, du feu. Je connais des hommes d’une unité spéciale pas de chez nous qui ont abandonné devant l’intensité des séances d’entraînements de nos pompiers. Nous reproduisons des conditions réelles pendant les simulations d’incidents.

À vous entendre, vos hommes sont de vrais soldats du feu, mais qu’est-ce qui explique cet interminable et long combat contre l’incendie de l’entrepôt de Shoprite ?
L’incendie était difficile à maîtriser, avec d’épaisses fumées émanant de l’entrepôt. Nous avons a utilisé tous les moyens disponibles pour circonscrire cet immense feu. Mes hommes ont lutté nuit et jour, quoi qu’en disent certains de nos détracteurs.

Ils ont tort, selon vous ?
L’incendie était très difficile à maîtriser. À l’intérieur, il y avait 300 tonnes de marchandises sur 66 mètres carrés, soit 30 tonnes pour chaque 20 mètres carrés. Ces produits était entassés sur une hauteur de 8 mètres, soit l’équivalent de deux étages. Ce qui rendait notre intervention encore plus difficile, c’est que les marchandises, dont du carton et du plastic, en brûlant, tombaient par terre obstruant le passage. Sans compter la chaleur intense qui se dégageait et le manque de visibilité.

Pas d’équipements adéquats pour naviguer dans cette fumée ?
Concernant les équipements, les pompiers en étaient munis et mes hommes ont l’habitude des fumées épaisses. Mais, la situation était difficile et nous avons pris la décision d’empêcher la propagation de l’incendie, afin d’éviter que d’autres boutiques et autres magasins ne s’enflamment. Et, cela, avec réussite, je dois dire. Les pompiers ont travailé d’arrache-pied manuellement, aidés par la Special Mobile Force et son Bobcat.

Il y a débat sur les « water hydrants », concernant Shoprite et vos services. Vous avez dû avoir recours à l’eau des rivières… Ce qui a fait rire l’ensemble des parlementaires mardi dernier ?
Shoprite respectait les normes quant aux bouches à eau existantes, mais nous avons préféré utiliser l’eau des rivières, car avec nos pompes, cela rendait notre tâche plus facile.
Il existe des bouches à eau un peu partout dans les centres-villes et les lieux très fréquentés par le grand public. Quand nous sommes à court d’eau, nous nous approvisionnons de ces bouches d’incendie. Dans une telle situation, nous avons la priorité et la Central Water Authority ouvre alors grandes les vannes, même en période de grande sècheresse. Les nouveaux projets Integrated Resort Scheme (IRS) et autres ont l’obligation d’être équipés de ces water hydrants en nombre suffisant.

Qu’en est-il du jeune homme resté introuvable ?
Malheureusement, ce jeune homme était enseveli sous deux mètres de riz. Il avait des brûlures superficielles sur le corps. Je profite ici pour présenter les condoléances de mes hommes et de moi-même à ceux touchés par cette disparition tragique.

Je ne peux dire que l’incendie de Shoprite est un ‘blessing in disguise’, car il y a eu mort d’homme»

Vous revenez souvent sur le manque de moyens. Quelle est la dernière dotation budgétaire du service des pompiers ?
Pour l’exercice 2017/18, le budget est de Rs 570 millions.

Tout compris, soit les « overheads » également ?
Ce budget comprend les salaires, l’entretien et l’achat des équipements. Bref, tout est compris.

Vous le jugez comment ce budget : moyen, bien ou carrément insignifiant ?
Ce budget n’est évidemment pas suffisant par rapport à la demande croissante pour nos services. Heureusement qu’on bénéficie depuis peu d’une ligne de crédit indienne de Rs 200 millions.

Pourquoi ne pas exiger plus d’argent de votre ministère de tutelle ?
Chaque année, nos services présentent des demandes, certaines sont agréées, d’autres pas ou renvoyées à plus tard, faute de financement. Nous sommes limités, à titre d’exemple, pour l’achat d’équipements dont les coûts prennent l’ascenseur. On nous donne un budget pour construire une petite maison, pas un IRS. Il faut une augmentation de notre dotation budgétaire et la ministre a compris ce besoin pressant.

Sans jouer au prophète de malheur, le feu de l’entrepôt Shoprite serait-il un « blessing in disguise » pour alerter les autorités de l’urgence d’augmenter le budget du service des pompiers ?
Je ne peux dire que l’incendie de Shoprite est un blessing in disguise, car il y a eu mort d’homme et par respect pour la famille endeuillée. Je dirais que l’incendie de Shoprite est une ringing bell pour une prise de conscience, à la fois de l’opinion publique et du gouvernement, et pour mettre à nu les conditions dans lesquelles nos hommes fonctionnent.

En clair, que nos décideurs prennent des actions et mettent enfin la main à la poche ?
Ce qui s’est passé à Shoprite doit servir d’exemple pour qu’il y ait un suivi afin que des actions concrètes soient initiées au niveau des autorités et également forcent les promoteurs à suivre les normes établies de sécurité dans les bâtiments. Principalement, ceux qui attirent un grand public.

Restons sur le sujet des  centres commerciaux et autres malls qui poussent comme des champignons chez nous. La sécurité serait-elle le cadet des soucis des promoteurs ?
Tout bâtiment doit respecter les normes de sécurité contre les incendies, surtout que maintenant, ils sont collés les uns aux autres. Par exemple, les sorties de secours ne doivent contenir aucun matériau combustible, mais uniquement du béton. Les compartiments intérieurs de l’immeuble, aussitôt fermés, doivent empêcher les flammes et la fumée de se dégager et se répandre dans l’ensemble du bâtiment.

On nous donne un budget pour construire une petite maison, pas un IRS»

Est-ce que ces normes sont suivies et respectées selon l’appréciation de votre service avant d’émettre le fameux « Fire Certificate » ?
Selon le business, les plans des architectes nous sont soumis avec au préalable les différentes mesures connues de protection contre les incendies.

Comme ?
Le détecteur de fumée, les arroseurs automatiques, le fire hose (tuyau d’incendie), les extincteurs et des portes anti-incendie, entre autres.

Admettons que, dans le plan initial, tout est parfait. Y a-t-il des inspections à la fin de la construction ?
Nos inspecteurs vont sur les sites et vérifient item après item chaque exigence de nos services. S’il y a des variations à apporter, on le fait ressortir. Si le promoteur a changé de plan, nous examinons les risques probables d’incendie et nous exigeons des ajustements avant de délivrer le certificat de sécurité incendie. Par exemple, chaque compartiment d’un espace donné doit être isolé des autres. Tout cela se fait en amont de l’ouverture au grand public de l’immeuble.

Il existe de petits bâtiments qui comportent des rajouts et qui deviennent des gratte-ciel en un clin d’œil. Que faire ?
Ce type de constructions, ou alors des vieux bâtiments, ne comportent pas de sorties de secours selon les normes. Dans ces cas, nous  intervenons et demandons au propriétaire de créer ces espaces dits safe pour le bien de tous. S’il faut temporairement fermer le bâtiment, nous  le faisons.

À travers des visites annoncées en avance ?
Pas du tout, nos hommes descendent sur le terrain sans avertir et, si besoin est, nous émettons un ordre de fermeture immédiat si nous jugeons l’endroit comme étant un danger public avec les fêtes de fin d’année qui approchent et le stockage de produits flammables. La dernière victime est une boîte de nuit connue qui représentait un piège plus que mortel. On a suspendu son Fire Certificate.

Admettons que, sur les plans initiaux, le promoteur ait respecté les normes, mais dans votre dos utilise des contre-plaqués, pour une question d’esthétique…
Si un promoteur décide d’utiliser des matériaux esthétiques, nous exigeons un document certifiant que ces matériaux ne sont pas inflammables.

Comment le certifier, avez-vous les compétences et les équipements nécessaires ?
Nous n’avons pas les équipements pour tester ce genre de matériaux, mais nous exigeons au promoteur de les envoyer au Mauritius Standards Bureau (MSB) pour des tests. Même ce bureau a ses limites, faute d’équipements adéquats, alors il se tourne vers l’étranger.

Venons-en aux bâtiments publics. Il paraît qu'ils sont exemptés de ce fameux certificat de sécurité incendie. Cordonniers mal chaussés ?
Avant 1988, les bâtiments publics tombaient sous la Health & Occupational Safety Act. La loi ne faisait nullement obligation aux bâtiments de l’État de se prémunir d’un Fire Certificate contrairement aux bâtiments privés.

Selon cette loi, les bâtiments publics ayant 20 employes travaillant au rez-de-chaussée et 10 employés dans les étages qui suivent pouvaient opérer sans ce certificat de sécurité incendie.

Des exemples ?
Les cours de justice, les postes de police… En 2013, avec la Fire Rescue Service Act, tout a changé. Les bâtiments publics doivent désormais être conformes aux normes établies.

Il y a comme un clash entre les collectivités locales et les services des pompiers quant à ce certificat de sécurité incendie. On vient de constater qu’un bâtiment qui a pris feu à Port-Louis n’avait pas de « Fire Certificate ». Comment a-t-il opéré en toute impunité ?
Avec la nouvelle loi de Business Facilitation, les promoteurs doivent suivre à la lettre les instructions émises pour l’obtention d’un Fire Certificate. En cas de respect de ces normes et si les commerces fonctionnent en même temps, nous informons les autorités compétentes, les Collectivités locales et le ministère du Travail, que le bâtiment opère sans un certificat dûment accrédité. Les services des pompiers n’ont pas le pouvoir de poursuivre ou d’émettre un Stop Order. Parmi les amendements que nous comptons introduire, nous avons inclus cette possibilité de poursuites.

 

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