Interview

Lindsay Rivière : «Ramgoolam empêche la renaissance du PTr»

Lindsay Rivière

L’analyste politique et économique Lindsay Rivière nous offre sa lecture des résultats des récentes élections. Pour lui, le pays hérite d’un gouvernement stable, avec une opposition forte. Il évoque les nouvelles tendances en matière de vote.  

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Quels enseignements primaires tirer des résultats du 7 novembre 2019 ?
D’abord le caractère impressionnant de la victoire de l’Allliance Morisien, malgré l’éparpillement des suffrages. Pravind Jugnauth ramène une majorité de sièges très confortable, qui sera augmentée par les deux députés OPR de Rodrigues. Nous pourrions finir  avec un score de 43-27, ce qui garantira la stabilité au gouvernement et une opposition assez forte de 25, voire 27 membres pour veillera au grain. Chacun craignait qu’avec un hung parliament, Maurice ne devienne ingouvernable. Cet obstacle est surmonté. Mais attention, le MSM-ML a eu beaucoup de sièges (39), mais seulement 37 % des sufrages. Ceci appelle à une certaine modestie. Surtout pas de triomphalisme  excessif !  

Pour Pravind Jugnauth, c’est une belle victoire personnelle. Il y est allé seul (malgré ceux qui l’encourageaient à rechercher une alliance avec le MMM). Il a légitimé sa position de Premier ministre, s’est définitivement affranchi politiquement de son père, a bâti un nouveau MSM plus « national », moins « hindou et rural » que celui que lui a légué SAJ. Il  dirige une  nouvelle génération MSM. Pravind a gagné son grand pari contre Navin Ramgoolam. Il faudra compter avec lui pour les 10 ou 15 prochaines années. 

Quant au PTr et au MMM, ils ont atteint leurs limites (31 % des suffrages au PTr, 22 % au MMM) et devront se repenser entièrement, s’ils veulent conserver leur influence à Maurice.

L’Alliance Morisien a surfé sur son bilan. Était-ce suffisant pour gagner ou est-ce que, vis-à-vis, la faiblesse stratégique était criarde ?
Le bilan et le positionnement du MSM ont  joué un grand rôle. Pravind Jugnauth a su convaincre la nation de lui donner encore 5 ans pour développer le pays. Il a prouvé son dynamisme, son énergie et son assiduité au travail. Il a mené une campagne assez optimiste, en proposant une vision de ce que pourrait être l’avenir. C’était bien pensé. En face, on lui a opposé beaucoup de négativisme, de pessimisme et more of the same.  Navin Ramgoolam n’a pas su convaincre qu’il changerait, qu’il avait encore ce qu’il fallait pour réussir ou qu’il avait des plans crédibles pour le futur.  

Après 1976, c’est le tout premier ‘three-cornered fight’ et l’Alliance Morisien finit avec 38 sièges, l’Alliance Nationale avec 14 et le MMM avec 8. Explications ?
C’est le système électoral du First past the Post qui produit ce résultat, en termes de sièges. Il privilégie le vainqueur. On sait aussi maintenant qu’un three-cornered fight peut produire une majorité parlementaire. Toutefois, il faut se rappeler que le MSM a eu 38 sièges avec seulement 37 % des suffrages, le PTr n’a que 14 sièges malgré 33,5% des voix (soit seulement 3 % de moins) et le MMM 8 sièges seulement, malgré 22 % des voix. C’est injuste. Avec la proportionnelle, la situation aurait été toute différente. Voilà pourquoi il faut absolument une réforme électorale.

Navin Ramgoolam doit tirer les conséquences de sa deuxième défaite consécutive et se  retirer»

Le MSM parvient à faire élire ses poulains dans des régions rurales, aussi bien qu’en régions urbaines, contrairement au MMM. Le MSM deviendrait-il finalement un parti national ?
Il l’est déjà. Il a gagné 8 sièges urbains, avec Dorine Chuckowry au no 1, son 3-0 Lesjongard-Lutchmun Roy-Tour au no 4, Gilbert Bablee à Phœnix,  Nando Bodha et Ashley Ittoo à Vacoas, Kenny Dhunnoo à Curepipe, alors que ses alliés ex-MMM (Ivan Collendavelloo, Kavi Ramano, Steven Obeegadoo) lui apportent d’autres sièges en ville. En même temps, le MSM a remporté tout le « Hindu Belt » (nos 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11), le Sud (13) et l’Ouest (14). Le MSM a donc maintenant une large implantation géographique. Il compte des députés de toutes les communautés et  Serge Clair (OPR), à Rodrigues, comme un vieil allié. Le MSM est clairement devenu le premier parti du pays.

Selon les observateurs, le ML ne vaudrait que par Ivan Collendavelloo. Partagez-vous cet avis ?
Oui, pour l’instant. Mais, à l’avenir, je vois bien Ivan Collendavelloo dissoudre le ML et appeler ses vieux compagnons du MMM,  Alan Ganoo, Steven Obeegadoo, Kavi Ramano, Francoise Labelle et d’autres à se rallier dans une force militante structurée, sous son leadership comme un allié privilégié du MSM.  

Le MSM a eu presque deux tiers de la nation votant contre lui. Le nouveau PM va-t-il jeter aux oubliettes l’autoritarisme dicté jusqu’ici par SAJ et s’affirmer seul ?
Avec cette victoire et le retrait de sir Anerood, Pravind va s’affranchir totalement de son père et pouvoir gouverner comme il l’entend. Il développe déjà son propre style, plus calme, plus cérébral, moins agité et brutal que SAJ, plus consensuel. Pravind Jugnauth sait que le peuple mauricien n’aime pas cet autoritarisme d’un autre temps. On ne gouverne plus en 2020 à coups de gueule. 

Le MMM nous a seriné les oreilles avec un « MMM Revival ». N’est-ce pas plutôt un recul ?
Pas du tout. Il y a bel et bien eu un regain d’enthousiasme et d’énergie au  MMM. Il a, d’ailleurs, fait 22 % des suffrages contre 14 % à la partielle de  Quatre-Bornes en 2017, ce qui le ramène plus près de son score habituel de 25-28 % des intentions de vote. Bérenger est sorti en tête de liste avec 14 368 voix contre 12 239 en 2014. Il a largement battu Collendavelloo, qui est descendu de 15 296 voix en 2014 à 8 959. Le problème du MMM est que son soutien est concentré, localisé : 40 % des voix à Beau-Bassin/Rose-Hill, 33 % à Vacoas/Floréal, 31 % au no 1, 27 % à Curepipe. Très peu en régions rurales (7 % à Piton, jusqu’à 18 % à Souillac/Rivière-des-Anguilles). 

Joanna Bérenger s’est fait élire en tête de liste, avec presque 3 000 voix de plus que le vieux routier qu’est Nando Bodha. Est-ce sa personnalité ou a-t-elle surfé sur ce patronyme très connu ?
Les deux, sans doute. Joanna possède une bonne personnalité, un charme qui plaît et elle est sympathique. Elle ira loin.

Alan Ganoo et Steven Obeegadoo, deux transfuges, sortent en tête de liste, alors qu’on annonçait leur défaite...
Steven Obeegadoo a été expulsé du parti et Alan Ganoo est parti pour constituer son propre parti, excédé. On voit aujourd’hui tout ce que le MMM a perdu en laissant partir ses bons éléments. Il faut absolument, à l’avenir, savoir retenir ses lieutenants en leur accordant plus d’espace et de liberté de parole. Cette hémorragie au MMM doit cesser.

Le PTr est fait de vieux briscards et de jeunes. Est-ce que la formule a foiré ?
Le PTr peut encore mobiliser plus de 30 % des voix et il vient de le prouver avec 33,5 %. Mais il vieillit, se laisse diriger par le bout du nez par son leader et hésite, depuis 2014, à prendre un virage total en se donnant un nouveau leader.   

Le vieux lion est-il donc mort politiquement ? Cédera-t-il le leadership à quelqu’un d’autre ?
Navin Ramgoolam doit tirer les conséquences de sa deuxième défaite consécutive et se  retirer. Il empêche désormais la renaissance du PTr. Il a beaucoup fait pour le Parti Travailliste et, depuis 1991, pour le pays. L’heure est venue de passer à autre chose. 

Il y a eu panachage. Est-ce que le phénomène du couper/trancher a fait l’électorat faire le tri en termes de qualité des candidats ?
Il y aura de plus en plus panachage. L’électorat ne suit plus les mots d’ordre et chacun a son indépendance de jugement aujourd’hui. Voyez le panachage dans 9 des 20 circonscriptions et l’écart (parfois de 3 000 voix) entre candidats d’un même parti. Ce phénomène va s’amplifier.

Etes-vous satisfait du nombre de femmes élues ?
Pas du tout. Elles ne seront qu’une dizaine sur 70. Tout le discours sur l’empowerment des femmes en politique n’est que pure hypocrisie.

 

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