Interview

Lindsay Rivière : «Pravind Jugnauth est débarrassé de la vieille garde»

Lindsay Rivière

L’observateur politique Lindsay Rivière souligne que Vishnu Lutchmeenaraidoo a subi de nombreuses humiliations depuis qu’il a été ‘demoted’ pour occuper le fauteuil aux Affaires étrangères. C’est la fin du siècle d’un politicien des années 1980/90. Il faut maintenant s’en aller et laisser la place aux jeunes. Lindsay Rivière  souligne que ce n'est jamais bon signe quand les rats quittent le navire.

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Êtes-vous surpris par la démission de Vishnu Lutchmeenaraidoo ?
Je suis assez surpris que cela ait pris tellement de temps pour se matérialiser. Il y a maintenant plus de quatre ans que l’ancien ministre des Finances et Deputy Prime Minister en 1983 subit de nombreuses humiliations. Il a été demoted du futur miracle économique au ministre des Affaires étrangères où il ne peut exprimer son talent. C’est comme demander à Ronaldo de jouer en position d’arrière gauche.

Vishnu Lutchmeenaraidoo avait rejoint l’Alliance Lepep, avec sir Anerood Jugnauth (SAJ) et Xavier-Luc Duval (XLD), membre d’un grand triumvirat pour préparer Maurice pour une nouvelle ère. Avec SAJ en retrait et XLD aujourd'hui dans l’opposition, Vishnu Lutchmeenaraidoo était le dernier des Mohicans d’une époque révolue. On voit bien que Pravind Jugnauth pousse sa propre équipe et n’a plus besoin de l’ancienne garde de son père.

Vishnu Lutchmeenaraidoo a donc perdu quatre ans de sa vie à faire quelque chose qu’il ne voulait pas. Sa force est l’économie et non la diplomatie. Je suis assez peiné pour lui. C'est un homme très complexe, à la fois très simple et très arrogant. J’espère que le pays n’oubliera pas qu’il a été, entre 1983 et 1991, l’architecte d’un grand sursaut économique marqué par la réforme dans la fiscalité et son taux de croissance spectaculaire de 6 %, atteignant les 7,1 %. Il est l’homme qui a établi l’offshore, a baissé la taxe, qui a changé la vie de milliers de couples et qui a créé 100 000 emplois. Pour moi, c’est un patriote perdu dans un monde d’aujourd’hui.

Vishnu Lutchmeenaraidoo a-t-il été évincé dès le départ ?
Oui, je suis sûr qu’on a voulu diminuer son rôle. N’oubliez pas que Vishnu Lutchmeenaraidoo n’était pas le nominé du MSM ou de Pravind Jugnauth au poste ministre des Finances. C'était le choix de SAJ. Dès le départ, on a senti cette méfiance venant de Pravind Jugnauth, de Roshi Bhadain et de certains membres du MSM envers Vishnu Lutchmeenaraidoo.

Selon vous, la démission était-elle la seule chose à faire après avoir exprimé sa « honte » que le taux de croissance soit de 3 % depuis 10 ans ?
Je connais Vishnu Lutchmeenaraidoo depuis ces 30 dernières années. Je l’ai senti déprimé et frustré. Il n’était pas à sa place. Vishnu Lutchmeenaraidoo a une très haute opinion de lui-même et croit fermement en sa capacité de faire bouger l’économie. Entre 1983 et 1991, quand il était aux Finances, la croissance atteignait toujours les 6 % avec une pointe de 7,1 % en 1987 et de 8 % en 1990.
Vishnu Lutchmeenaraidoo aime le succès. C’est un high achiever. Il aime manipuler l’opinion publique et qu'il croit pouvoir tout faire. C’est un peu théâtral. Sa première prédiction avec SAJ comme Premier ministre, c'était une croissance de 5,7 %. Peut-être rêvait-il des choses qui ont changé depuis les années 1980  Vishnu Lutchmeenaraidoo doit comprendre que dans le nouveau monde, plusieurs grands pays marcheraient à genoux pour faire atteindre une croissance de 2 % et 3,9 %.

Il y a maintenant plus de quatre ans que Vishnu il a subi de nombreuses humiliations»

Que conseilleriez-vous à Lutchmeenaraidoo ?
De faire de la philosophie et de se consacrer un peu de temps. Il a 75 ans. J’espère qu’il découvrira qu’il y a autre chose dans la vie que la politique. En tout cas, il y a une chose sur laquelle il doit méditer, c’est un comeback success comme autrefois. Je lui souhaite beaucoup de paix et de bonheur. C’est la fin d’un politicien des années 1980/1990. Il faut maintenant s’en aller et laisser la place aux jeunes.  

Si c’est la fin de la carrière de Vishnu Lutchmeenaraidoo, comment peut-on évaluer son impact depuis 1982 ?
Il a eu un impact considérable dans les années 1980/1990. C’est lui qui est à la base de l’offshore. Plusieurs industries sont venues investir à Maurice. Il a eu le kick start de l’économie sur de nouvelles bases. En libéralisant la consommation des ‘white goods’, il a relancé le niveau de vie de milliers de familles. Malgré les critiques, Vishnu Lutchmeenaraidoo a permis de remodeler, de refaçonner Maurice. C’est comme ça que le pays se souviendra peut-être de lui.

Est-ce qu’on peut considérer son mandat de 2014 comme un échec ?
Oui. C’était le mandat de trop. Il ne faut jamais faire deux fois la même chose.

Quelle sera la réaction de Pravind Jugnauth ?
Il sera exaspéré parce que cela vient accélérer son calendrier électoral et est un gros blâme pour l’économie. Le PM voulait faire de l’économie sa principale force. Avec son budget en juin, le PM pourra toujours faire passer son bilan. En tout cas, Pravind Jugnauth est maintenant débarrassé de la vieille garde. Si rien ne va plus dans ce pays, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Il doit travailler sur une nouvelle équipe, jeune, dynamique, performante pour les prochaines élections.

Quel sera l'impact de cette démission sur le GM ?
Un gros impact psychologique. D’un, parce que Vishnu Lutchmeenaraidoo est un tenor et de deux, parce que cela donne un peu l’impression que les rats quittent le navire à quelques mois des élections. Ce n’est jamais bon signe. 

Est-ce que cette démission va faire perdre des points au gouvernement ?
Oui, parce que cela donne l’impression qu’il y a un manque de cohérence. L’Alliance Lepep a éclaté avec le départ de Xavier-Luc Duval, le retrait de SAJ, la démission de Vishnu Lutchmeenaraidoo et de plusieurs ministres, les données ont changé. Tout cela fait désordre. Pravind Jugnauth n’a que trois mois pour présenter un bon Budget, nettoyer son équipe et négocier une bonne alliance électorale. Le temps joue contre lui parce que Paul Bérenger et Xavier-Luc Duval vont maintenant le forcer à négocier une alliance car il est dans une position de faiblesse. Alan Ganoo et Steeve Obeegadoo pourront toujours jouer la carte Navin Ramgoolam. L’heure est très grave pour Pravind Jugnauth et le gouvernement.

Une partielle ou des élections générales ?
Les élections générales, d’autant plus que les deux calendriers coïncident. Le mois de décembre est idéal pour le gouvernement. C’est maintenant le sprint des alliances.

 

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