Interview

Lindsay Rivière: «Pravind Jugnauth a besoin de faire rêver le pays»

Lindsay Rivière, journaliste et président du Media Trust, est d’avis que le Budget 2016-17 de Pravind Jugnauth témoigne du pragmatisme de celui-ci. Il pense que d’ici à 2019, le leader du Mouvement Socialiste Militant sera prêt à assumer les fonctions de Premier ministre.

Comment accueillez-vous le Budget 2016-17 de Pravind Jugnauth ?
C’est un budget très élaboré, avec derrière clairement une réflexion en profondeur sur tous les problèmes sectoriels du pays et une recherche de solutions pratiques à ces problèmes. C’est, d’ailleurs, le style de Pravind Jugnauth. Il y a une volonté de trouver des solutions pratiques à des problèmes réels. Par contre, on ne voit pas nécessairement dans ce budget une vision d’ensemble et une grande stratégie pour porter l’économie du pays au cours des cinq ou dix prochaines années. Cependant, j’apprécie tout particulièrement l’effort pour combattre la pauvreté extrême et le souci d’améliorer les conditions de vie et le pouvoir d’achat des familles modestes et de la classe moyenne. Je pense enfin que Pravind Jugnauth doit travailler davantage à proposer au pays de grandes stratégies nationales qui nous inspireront pour les prochaines années et qui pourraient nous donner une vision de ce que serait son éventuel Prime ministership.

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Ce budget est-il un tremplin pour que Pravind Jugnauth puisse accéder au poste de Premier ministre ?
Pas encore. Toutefois, c’est un bon début qui le met en orbite pour d’autres étapes de son parcours politique. Pravind Jugnauth a montré, une fois de plus, qu’à la différence de géants politiques comme sir Anerood Jugnauth, Paul Bérenger, sir Gaëtan Duval ou sir Seewoosagur Ramgoolam, il peut être, lui, un homme pragmatique, un quiet achiever, concentré sur les résultats et le travail. Il est un homme moderne, branché sur les réalités modernes. Donc, un homme d’action attaché aux résultats.

« Le secteur privé mauricien, duquel le gouvernement attend énormément, est essoufflé financièrement. »

Il n’est, toutefois, pas encore un homme de vision. Il lui faut maintenant acquérir cette stature de stratège, de visionnaire, qui peut inspirer et faire avancer le pays.

Et ne pas rester un simple exécutant pragmatique. Il a besoin de prendre de la hauteur pour devenir Premier ministre. Probablement  que d’ici à 2019, il sera prêt à assumer les fonctions qu’exerce son père en ce moment. Pravind Jugnauth a besoin de faire rêver le pays, comme son père, Paul Bérenger et Gaëtan Duval, l’ont fait avant lui.

À entendre les gens dans la rue, à la radio et sur les réseaux sociaux, le budget semble avoir contribué au regain de popularité du gouverne­ment Lepep. Êtes-vous de cet avis ?
C’est toujours le cas à l’occasion d’un budget à fort contenu social et qui propose des mesures populaires. Des mesures qui donnent l’impression au peuple que ses conditions de vie s’en trouveront quelque peu améliorées. Vous savez, le peuple s’intéresse d’abord et surtout à son quotidien : la manière dont il vit, le coût de la vie, l’emploi, la santé… et non aux smart cities ou aux projets à très long terme. Depuis les élections de 2014, ce gouvernement a réussi, à travers une hausse de la pension de vieillesse et, maintenant, la baisse du prix du gaz ménager, à rester proche des préoccupations quotidiennes du petit peuple. Il lui reste, néanmoins, à apporter plus de résultats en ce qui concerne l’emploi, car le chômage engendre beaucoup de souffrance.

Est-ce que ce budget incitera le secteur privé à investir davantage ?
Sincèrement, je ne pense pas que ce budget changera radicalement l’atmos­phère dans le monde des affaires, ni donner un grand coup d’accélérateur.

Pourquoi ?
Je l’ai déjà dit par le passé… Le secteur privé mauricien, duquel le gouvernement attend énormément, est essoufflé financièrement depuis de nombreuses années. Il est endetté à hauteur de plus de Rs 200 milliards et ne dispose pas nécessairement de fonds et de cadres pour se lancer dans de gros projets d’investissement.

En même temps, le secteur privé mauricien a investi pas mal outre-mer, dans la région, en Afrique et même en Asie. Je ne vois pas de gros projets qui pourraient stimuler l’emploi ou augmenter de manière significative nos exportations et ainsi stimuler la croissance.

C’est un nœud gordien…
Dans cette situation, c’est toujours l’État qui doit prendre le relais pour relancer l’investissement. Or, Pravind Jugnauth dit lui-même que le gouvernement souhaite prioritairement contenir les dépenses publiques. Il n’y a donc pas moyen d’investir massivement. D’où viendra alors l’investissement quand 83 % des Foreign Direct Investment (FDI) vont dans l’immobilier ? Cela peut créer de l’emploi à court terme, mais n’assurera pas la croissance pour la production des biens exportables.

Il y a plusieurs incitations pour attirer les investisseurs étrangers et ainsi booster la croissance. Est-ce suffisant ?
Sur le plan international, l’environne­ment ne favorise pas l’investissement dans les pays émergeants. Puis, ce que l’on propose ce sont des petites incitations que beaucoup de pays (Vietnam, Sri Lanka, Birmanie) proposent déjà aux investisseurs étrangers. Elles ne sont pas très originales. Il faut sortir des sentiers battus et offrir ce que les autres pays n’offrent pas. Il faut des mesures révolutionnaires d’incitation comme un régime fiscal encore plus léger. Par exemple, une corporate tax de 10 %, car tout le monde offre 15 à 20 %. Ensuite, il faut cesser de faire des road shows qui attirent supposément des centaines d’expressions d’intérêt, mais avec peu de projets qui se concrétisent. Il faut, au contraire, cibler les grands noms de l’économie mondiale, aller les voir et les attirer à Maurice en leur offrant des tailor-made packages. Je ne crois pas que ce sont les Petites et moyennes entreprises qui vont tirer la croissance vers le haut, mais des partenariats avec les étrangers dans de gros projets d’investissment.

Cela vous surprend-il que Paul Bérenger a qualifié le budget d’intéressant et que, par la suite, les députés du MMM chantent les louanges du ministre des Finances ?
J’ai dit, le soir du budget sur Radio Plus, que je trouvais intéressant que Paul Bérenger qualifie le budget d’intéressant, car cela nous donne une bonne indication des choses à venir. Paul Bérenger sait qu’en 2019, Pravind Jugnauth aura besoin d’un allié fort pour devenir Premier ministre. Et cet allié fort ne sera pas le Muvman Liberater ou le Mouvement Patriotique, mais soit un PMSD renforcé considérablement ou le MMM. C’est le début de grandes manœuvres menant vers 2019. Personne n’est dupe quand à la démarche de Paul Bérenger qui, d’ailleurs, ne tient jamais de propos innocents. Son mot « intéressant » est plus qu’un qualificatif. C’est une stratégie.

Croyez-vous que Xavier-Luc Duval négocie une alliance avec le PTr à trois ans de l’échéance électorale ?
Pour l’instant, Xavier-Luc Duval mène une stratégie de renforcement afin de se rendre indispensable dans une alliance comme dans l’autre. Ce qui est sûr, c’est qu’en 2019, il sera beaucoup plus exigeant en termes de tickets et de poste d’influence, que ce soit avec le MSM ou avec le PTr. Le PMSD se positionne pour être le joker dans toute configuration politique et Xavier-Luc Duval est devenu très ambitieux.

 

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