Très posé, Lindsay Rivière, observateur politique, estime que ce 3e 60-0 avec, à chaque fois Paul Bérenger en alliance, est synonyme d’un vœu profond de la population, “qui avait mal au coeur et qui voulait se soulager” et rejeter un régime du MSM de Pravind Jugnauth qui ressemblait aux pays sud-américains. Soit la dictature. Pour lui, le patron du Sun Trust a cru que le pays lui appartenait. Et le constat est dur. Il tombe de très haut, selon lui.
Au départ de la campagne électorale, on s’attendait à une lutte serrée mais, à l’arrivée, on finit avec un 60-0. Vous attendiez-vous à pareil résultat ?
Pas du tout. Je penchais plutôt pour un 35/25 ou même un 32/28 en faveur d’un camp ou de l’autre. Mais, comme je l’avais confié récemment à Nawaz Noorbux sur Radio Plus, une élection se joue non pas trois mois ou trois semaines à l’avance, mais « dans la toute dernière semaine » et il ne faut jamais, jusqu’à la dernière heure du dernier jour, baisser les bras ou être ‘over-confident’. Vous voyez : comme la vie, la politique peut être pleine de surprises, bonnes ou mauvaises !
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Pourquoi, alors, cette bascule de dernière minute ?
Là encore, on l’a fréquemment constaté et dit : ce sont souvent les indécis (40 à 50% à Maurice) qui, en définitive, font l’élection. L’important, pour gagner, est donc de les convaincre avec intelligence et rationnellement, pas avec des distributions de bonbons qui insultent leur intelligence et froissent leur conscience.
Mais encore ?
Le rapport de force sur le terrain à Maurice est plus ou moins fixe : Le Parti travailliste et le MSM ont un partisan ‘hard core’ de 20 à 25 % au maximum, le MMM de 15 à 20%. Les autres partis ne peuvent guère dépasser 3 à 5%. Les indécis, eux, qui ne disent pas leur choix d’avance se définissent en fonction de leurs peurs et de leurs espoirs, des alliances proposées, des propositions des partis ou d’un ‘feeling’ général de dernière heure sur ce qui correspond le mieux à leurs attentes.
C’est parfois un choix rationnel d’alignement sur un camp, souvent un choix hautement émotionnel. Ce choix peut devenir contagieux et provoquer dans ce cas de rejets massifs (comme on l’a vu en 1982, en 1995 ou en 2024) quand le peuple parle d’une seule voix et un tsunami impressionnant se lève dans les tout derniers jours de la campagne et balaie le gouvernement du jour.
Le MSM a perdu toutefois 10% de son électorat…
C’est ce qu’on vient de vivre : Le MSM a conservé son ‘hardcore’ de 25%, obtenu 2% de votes additionnels de ses petits alliés, mais n’a pu convaincre au-delà. D’où son total de 27% de voix. Il était, en 2019, à 37% dans une lutte à trois et a donc fortement reculé dans cette lutte à deux.
Le vote de dimanche dernier a exprimé un ras-le-bol général vis-à-vis du MSM et de ses méthodes de gouvernance. Ce ras-le-bol a lui-même été alimenté les 15 derniers jours, de manière spectaculaire et décisive, par (i) les révélations absolument extraordinaires, traumatisantes même de Missie Moustass (ii) l’interdiction incroyablement stupide des réseaux sociaux (iii) une grande frayeur publique pour l’avenir, avec le sentiment que le pays glissait inexorablement vers la dictature.
Selon moi, une très large majorité d’indécis a finalement basculé dans le camp de l’Alliance du Changement, portant le score de celle-ci à 63%, soit bien au-delà des 40-45% qu’elle pouvait, de manière réaliste, espérer.
Le vote a été clairement un mouvement considérable de rejet du gouvernement en place, plutôt qu’une adhésion au programme de l’Alliance du Changement. C’était comme si le peuple avait mal au cœur, après 10 ans de gouvernement MSM et voulait se soulager.
Pourquoi cette mauvaise humeur généralisée ?
La mauvaise humeur provient de plusieurs facteurs, les uns tout aussi déterminants que les autres. Je crois que les Mauriciens ont une idée bien ancrée dans leur tête de ce qu’ils attendent d’un gouvernement et de la politique. Ils veulent d’abord qu’on les écoute et qu’on respecte leurs volontés.
Or, il y a bien longtemps que le gouvernement n’écoute plus le pays. Depuis des années, il n’en faisait plus qu’à sa tête, imposait ses vues et ses décisions sur toutes les questions. Il se comportait, depuis 2019, comme s’il disposait d’une grande majorité populaire alors qu’il n’avait été élu qu’avec 37% des voix, donc avait deux tiers de l’électorat contre lui, dans un contexte de lutte à trois. Il a cru, bien naïvement, que sa majorité de sièges au Parlement lui donnait un blanc-seing pour gouverner à sa guise. Un de ses ministres, Anil Gayan, avait d’ailleurs montré le bout de l’oreille en clamant haut et fort : « Government is Government ! Government decides ! ». Erreur fatale !
Le MSM a régné avec 37% des voix et s’est tapé l’estomac…
Les 37% de 2019 auraient dû imposer, au contraire, une grande modestie, plus de prudence dans sa gestion des affaires publiques pour ne pas froisser les 63% d’opposants. Or, le gouvernement s’est cru propriétaire et non locataire de l’Hôtel du Gouvernement. Le peuple lui a rabaissé le caquet ! Après bien des désillusions, le peuple attendait le gouvernement au tournant. Pravind Jugnauth le savait sans doute, lui qui repoussait tout le temps la tenue des élections municipales quand la moitié du pays voterait. En fait, le MSM mentait tout au long du mandat mais avait fini par croire en ses propres délires d’invincibilité.
Quelles ont été les attentes non-remplies ? Pravind Jugnauth n’a-t-il rien vu venir ?
Les Mauriciens veulent essentiellement que les grands principes démocratiques de garanties constitutionnelles, de liberté, d’égalité devant la loi, de justice sociale et de police impartiale soient observés. Ils veulent que l’État soit politiquement neutre face à tous ses citoyens et que le gouvernement se comporte de manière digne. Ils veulent le maintien et la protection des institutions, qui les ont bien servies depuis l’indépendance il y a 56 ans. Ils veulent que les gouvernements rendent des comptes aux citoyens, dirigent dans la transparence, laissent s’exprimer toutes les opinions. Ils veulent un gouvernement au service du peuple et non se servant d’abord lui-même ou ne gouvernant qu’avec son électorat en tête.
Était-ce du totalitarisme naissant ?
Depuis 2019, on a vu un autoritarisme croissant, une arrogance et une intolérance inacceptables envers tous ceux qui ne pensaient pas comme le MSM, les opposants, la presse, un changement dangereux de culture politique s’éloignant de plus en plus du système libéral Westminster que nous aimons tous, au profit d’une espèce de comportement politique type sud-américain intolérant, à la limite du fascisme et d’une dictature légale.
Les citoyens voyaient, avec effroi, le noyautage des institutions par des nominations partisanes pour contrôler tout le pays (une démarche appelée State Capture), le rabaissement des contre-pouvoirs, la déchéance du Parlement, le temple de notre démocratie, avec un Speaker hystérique et grossièrement partisan. Ils voyaient un esprit malsain de clan, de copinage, de secret, d’immunité et de protection pour les ‘amis du parti’. Ils sentaient, jusqu’à ce que Sherry Singh et Missie Moustass le leur confirment, une espèce de gouvernement parallèle dans les coulisses (Lakwizinn) intervenant sur des questions et procédures sensibles relevant exclusivement de l’État, un groupe secret qui se croyait autorisé à ‘screen’ toutes les nominations et même capable de faire ‘installer’ ou pénaliser des gens.
Cela puait le communalisme pur et dur ?
Ils voyaient un communalisme croissant, des injustices insoutenables, souvent des nominations de médiocres agents politiques, alors que ce pays compte tellement de talents. La population voyait une absence de méritocratie, où étudier dur ne semblait mener à rien pour nos jeunes. Nous allions vers un système type Union Soviétique des années 60 où il fallait presque montrer une affiliation MSM pour obtenir un emploi ou une promotion. Ils voyaient la recherche permanente d’un matérialisme forcené, d’une frénésie pour l’argent facile et l’extension de la corruption (‘Money ! Make money by all means !)
Les gens voyaient, le cœur brisé, leurs enfants partir en masse à l’étranger, et avaient donc à se résigner à mourir presque seuls demain, loin des êtres qu’ils aiment le plus. Ils voyaient des comportements policiers controversables, alors que la police est supposée assurer la sécurité et la justice pour tous devant la loi. Ils voyaient leurs enfants livrés aux trafiquants de drogue obsédés par l’argent, discriminés.
Comment voulez-vous, devant l’incapacité du Premier ministre à y mettre bon ordre, devant son choix de s’entourer de faucons le poussant à toujours plus de confrontation, qu’ils n’aient pas été frustrés jusqu’aux os, qu’ils ne se soient pas emportés devant des comportements blasphématoires contre la Vierge Marie que même des fanatiques religieux n’oseraient pas faire, de crainte de provoquer de dangereuses réactions ?
Donc, le choix d’un pouvoir sans partage ?
Ce qui m’a déçu le plus, c’est outre le fait qu’il ne se soit trouvé personne au MSM pour proposer plus de modération que les Faucons, les alliés d’alors du MMM, Steve Obeegadoo, Alan Ganoo, Kavi Ramano ou Ivan Collendavelloo, des hommes de grande qualité ayant passé des décennies au MMM, ne se soient jamais interposés pour calmer les outrances du MSM, se joignant au contraire à la cohorte des flatteurs du genre : « Grâce à la vision extraordinaire du Premier ministre … » de la servile MBC. Ils payent aussi le prix de leur complaisance.
Pravind Jugnauth qui est au gouvernement depuis 2014 n’a-t-il rien vu venir ?
Comment voulez-vous, quand la chance leur a été donnée, que les Mauriciens n’aient pas voté avec rage devant la lente désintégration de leur pays et de ses valeurs et pratiques démocratiques ? Pravind Jugnauth est resté enfermé dans une bulle, ce qu’exploitaient ses courtisans et flatteurs.
Je pense qu’à la fin, un ras-le-bol s’est installé. Chacun s’est dit : est-ce ce genre de gouvernance que je veux ? Est-ce dans ce genre de société que je veux voir mes enfants et mes petits-enfants grandir ? Est-ce que je veux être espionné, arrêté ou voir demain mes enfants arrêtés et persécutés de manière froidement calculée s’ils ouvrent la bouche ?
Un 60-0 sans appel, encore ?
‘Looking back’, il ne faut pas s’étonner de ce 60-0. Un très grand Mauricien, le cardinal Jean Margéot, rappelait constamment au pays que « l’injustice est le bouillon de culture de toutes les révolutions ! D’où le peuple a dit qu’il en avait assez. En même temps, c’est un message à tous les politiciens : Ne vous croyez pas trop grands, trop forts et ne soyez pas trop arrogants au point de ne plus écouter personne. Le peuple vous attendra toujours au tournant, tous les cinq ans ! C’est lui le véritable patron.
Le comptage des votes a été long, se terminant aux petites heures du matin. Et si ce comptage se faisait le même jour ?
À tout voir, il vaut mieux le système actuel. Vous voyez des fonctionnaires épuisés, des candidats et agents lessivés travaillant 24 heures d’affilée ? Ce serait le chaos.
Pensez-vous que l’entourage de Pravind Jugnauth lui ait été néfaste ?
Certainement. En devenant Premier ministre de plein droit en 2019, Pravind Jugnauth qui était jusque-là un élément politique relativement modéré avait le choix entre se positionner soit comme un Premier ministre libéral, décontracté et assumant la modernité ou alors de se laisser emporter dans une démarche partisane, visant à surtout consolider le MSM et à préparer les deux prochaines élections. On a vu des faucons au MSM toujours pousser à la confrontation, à plus d’agressivité, à plus d’intolérance envers tout ce qui n’était pas orange. Confrontés à beaucoup de difficultés (Covid, scandales divers, révélations et dénonciations), beaucoup de hauts officiels du MSM et de Lakwizinn ont estimé que la meilleure défense était l’attaque et le ton du discours gouvernemental et premier ministériel n’a cessé de se durcir et de devenir intolérant, en même temps que de grossières erreurs de jugement étaient commises (renvoi des municipales etc.) Espérons que cela ne se renouvelle pas avec le PTr et le MMM au pouvoir.
La frustration populaire était palpable. La réaction du gouvernement n’a pas été à la hauteur ?
J’ai toujours eu l’impression, avec tous les gouvernements mauriciens depuis 1968, d’un monologue, d’un ‘one way traffic’ plutôt qu’un dialogue avec le peuple.
Le gouvernement PTr-MMM tiendra-t-il ou verra-t-on encore des ruptures ?
Ce risque existera toujours dans des coalitions, mais je crois que, cette fois, le gouvernement ira jusqu’au bout de son mandat. Le peuple ne lui pardonnerait pas de nouvelles cassures en raison de petites crises d’ego ou de frivolités. Ramgoolam et Bérenger auront bientôt 80 ans. Ils ont tous deux échappé à la mort, Bérenger avec le cancer, Ramgoolam avec la Covid. Ils ont dû mettre de l’ordre dans leurs priorités et de l’eau dans leur vin. Le message du peuple, lui, en tout cas est clair : pas d’imbécilités !
Est-ce que la présence de Rezistans ek Alternativ comptera ou prendra-t-il la porte sur des questions de principe ?
Je pense qu’Ashok Subron et ses deux amis sont des gens sincères, des gens de parole. Il faudra compter avec eux. Et s’ils partent, c’est que le gouvernement PTr-MMM aura pris une mauvaise voie et il faudra réagir.
On a deux leaders vieillissants. La relève est-elle assurée ?
Pas encore. Il faudra voir la nomination du gouvernement pour une première analyse à ce sujet.
Finalement, on a vu un autre échec de troisième force avec Linion Reform n’obtenant que 5%. Vous avez toujours insisté publiquement qu’il n’y avait à Maurice de la place que pour deux blocs possibles s’affrontant. Vous dites aujourd’hui la même chose ?
Absolument. Les 5% sont constitués de forts scores personnels de Bodha et Bhadain. Il n’y a rien à faire ! Quand il a quitté le gouvernement et plus tard l’Alliance de l’Espoir, j’avais dit à Nando Bodha, que j’estime que sa place était au MMM aux côtés de Bérenger, dont il aurait été un des principaux lieutenants. Il ne m’a pas écouté. S’il l’avait fait, il serait aujourd’hui sans doute un Senior Minister dans le nouveau gouvernement. Aujourd’hui, la place a été prise par Jyoti Jeetun. Il ne voulait pas, disait-il, servir sous Ramgoolam. De l’émotion, toujours trop d’émotion à Maurice ! Il faut plus de réalisme, plus de raison ! Maurice est un pays compliqué, où il faut toujours garder les pieds bien sur terre. On rêve trop dans ce pays.
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