Interview

Lindsay Rivière : «Le coronavirus impactera sur les prix et sur l’inflation à Maurice»

Lindsay Rivière

Le coronavirus, les défis de l’éducation, la rentrée parlementaire... L’observateur politique et social Lindsay Rivière offre sa lecture des problèmes affectant la société mauricienne actuellement. Il préconise le calme et la sérénité, tout en disant espérer une plus forte volonté politique.

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Quel sera l’impact économique de ce virus chez nous ? Faudrait-il arrêter de consommer les produits chinois ?
L’impact économique sur Maurice sera certainement conséquent. D’une part, parce que la Chine est l’un de nos principaux partenaires commerciaux et que tout  gel ou réduction  importante de nos importations de ce pays  nous forcerait à aller chercher ailleurs les mêmes produits, sans doute plus chers, impactant sur le prix des produits et sur l’inflation à Maurice. Mais, de plus, compte-tenu du poids économique de la Chine dans le monde, un ralentissement de l’activité internationale et une croissance mondiale à la baisse vont affecter notre capacité à exporter, si les nations se replient sur elles-mêmes. Quant à la consommation de produits chinois, il faudra sans doute être plus  sélectif et avisé, mais il faut également ne pas tomber dans l’hystérie.

Tout ceci intervient au plus mauvais moment possible pour Maurice et vient aggraver le  ralentissement de la croissance ( 3 % probablement, au lieu des 4 % recherchés). Il faut y ajouter  le Brexit, la faiblesse actuelle de la roupie (bientôt Rs 38 au dollar), la crise dans le secteur manufacturier et les difficultés du  sucre, les difficultés des petites entreprises  avec  les hausses de salaires, les menaces sur les services financiers, etc. Il faut une solide direction économique, mais on n’entend pas de messages forts du nouveau ministre des Finances…

Le coronavirus fait planer le doute sur les arrivées des touristes. Déjà, c’est en perte de vitesse. Quelles solutions ?
L’arrêt  de la desserte  aérienne vers la Chine va déjà nous priver de 30 000 à 40 000 touristes chinois pendant l’année, soit 4 % de nos arrivées et Rs 2 milliards de recettes touristiques en moins, qu’il faudra compenser ailleurs. à cela, il faudra ajouter les annulations de tous ceux, ailleurs en Asie et même en Europe, qui ne prendront pas le risque de voyager loin de chez eux pendant l’année, si l’épidémie s’étend. Nous risquons donc un recul assez substantiel d’un de nos piliers économiques, à un moment où notre tourisme s’essoufflait pour d’autres raisons. 

Beaucoup d’éléments de cette crise liée au coronavirus échappent totalement à notre controle. Les seules réponses possibles à ce recul touristique prévisible sont la réorientation et l’augmentation de nos efforts marketing pour mieux diversifier nos marchés et projeter l’image d’une destination sure, où le problème du coronavirus est traité de manière professionnelle, rigoureuse et sérieuse. L’important est aussi que les Mauriciens  affichent calme et sérénité pour ne pas amplifier la crise.

Je vois le gouvernement lent dans l’action, inutilement nerveux, n’ayant pas encore trouvé son rythme»

Le Dr Caussy a mis en doute la thèse qu’il n’y a aucun cas de coronavirus à Maurice. 
Nul ne peut prédire l’évolution de cette épidémie dans le monde. De par la nature de son modèle économique, Maurice est et doit demeurer un pays ouvert au monde, et des risques existent certainement. Il faut agir vite et ne pas hésiter à chercher aide et conseils outre-mer pour mieux se prémunir. Les autorités sanitaires disent faire tout ce qui est requis. Air Mauritius, qui transporte  la moitié des passagers vers Maurice,  a réagi un peu tardivement, mais a finalement pris les bonnes décisions. Il faut faire confiance aux autorités sanitaires pour contenir au maximum les risques, bien  assurer les opérations de quarantaine et surtout ne pas faire paniquer la population. Il est légitime d’avoir peur, mais veillons à ne pas over react. Cela  ne ferait que compliquer la situation. 

Côté Éducation, les 5 Credits au SC ont fait débat et les avis sont partagés sur la question. Quel est le vôtre ?
Nous avons passé des décennies, depuis l’éducation secondaire gratuite en 1976, à démocratiser l’éducation et à nous éloigner de l’élitisme des années pré-Indépendance. L’exigence de 5 Credits semble devoir nous ramener vers ces temps, car seuls un tiers des étudiants sont aujourd’hui en situation de passer en HSC. Des milliers d’enfants sont ainsi lésés sans grandes perspectives de formation professionnelle efficace,  et vont rejoindre les 30 % d’enfants qui échouent à la fin du primaire.  D’autre part, des dizaines de petits collèges privés et des centaines d’enseignants  sont menacés. Des milliers d’étudiants se sentent humiliés et un ressort pourrait se briser en eux. Il y a derrière ces chiffres une grande tragédie humaine. Peut-être a-t-on été trop vite en affaire et le pays devrait-il se donner davantage de temps pour aller jusqu’au bout de cette réflexion.

Parlons politique. La rentrée s’est faite et les débats sur le Discours-Programme ont débuté. Que pensez-vous du niveau de ces interventions ? 
J’en suis personnellement assez heureux. Je crois que le nouveau Parlement et, d’ailleurs, le nouveau gouvernement,  sont largement supérieurs au Parlement et au gouvernement sortants. En 2014, l’Alliance Lepep ne s’attendait même pas à gagner et n’avait pas réussi à attirer de grandes compétences. On en a vu les conséquences,  avec le nombre de controverses, de scandales et de gaffes de l’ancienne majorité. Cette fois, chaque parti  a été plus sélectif et a mieux recruté ses candidats. La qualité est davantage présente, y compris dans l’opposition, avec quelques jeunes intéressants. On a vu une montée en gamme, si on peut dire.

L’opposition fait cause commune pour contester les résultats des législatives dans une dizaine de circonscriptions et, en même temps, ils participent au débat. Est-ce un paradoxe ?
Non, l’un n’empêche pas l’autre. Autrement, il faudrait – pour rester dans cette logique - que l’opposition se taise jusqu’à la conclusion des affaires en Cour suprême, et ceci n’est pas envisageable. Les députés de l’opposition sont au Parlement  par la volonté populaire. Ils ont le devoir d’intervenir, d’interroger, de commenter, d’acculer le gouvernement, de transmettre les doléances de leurs mandants. La contestation des résultats de novembre est, elle, une toute autre affaire. Pour dire vrai, les gens se fatiguent des  walk outs intempestifs, de l’absence de l’opposition aux cérémonies et de la politique de la chambre vide. Tout cela ne sert strictement à rien et souvent n’est que spectacle sans lendemain. Il faut que tout cela cesse. Un député est payé pour être là où est l’action et le débat publics, pas pour rester chez lui et suivre les débats à son bureau ou à la télévision.  

Quel constat politique faites-vous trois mois après les élections ?
Je vois le gouvernement lent dans l’action, inutilement nerveux, n’ayant pas encore trouvé son rythme. Je constate aussi qu’aucun parti de l’opposition (PTr, MMM et PMSD) ne fasse un ‘post-mortem’ sérieux et lucide de sa défaite. Le Dr Ramgoolam s’accroche à la contestation des résultats pour prolonger son leadership, Arvind Boolell n’ose pas le challenge, Xavier-Luc Duval semble en avoir assez et Paul Bérenger annonce son retrait éventuel, mais sans indiquer comment se fera le renouveau du MMM.

Que pourrait faire Bérenger en pareilles circonstances ?
Peut-être changer la structure du leadership du MMM, avec une direction bicéphale : un nouveau leader du groupe parlementaire s’occupant des enjeux nationaux à l’Assemblée nationale et, puisque Bérenger annonce sa non-candidature aux prochaines élections, peut-être pourrait-il reprendre ses fonctions de secrétaire-général. Ce qu’il a longtemps été (avec beaucoup d’efficacité), avant de devenir leader pour restructurer et rebâtir le parti. Le MMM, entre 1969 et 1995, n’a jamais été aussi fort que quand Bérenger était secrétaire-général, s’occupant du parti. Mais bien sûr, c’est aux militants de décider de ce qu’ils veulent.   

Au chapitre des faits divers, un ado est mort par overdose la semaine dernière à cause de la drogue synthétique. Ce fléau touche de plus en plus de jeunes. Que faire ?
Faire plus efficacement ce qu’on fait déjà : plus de répression, plus de prévention, plus d’éducation, plus de réhabilitation, plus d’initiatives, plus d’engagement et de volonté politique d’appliquer le rapport Lam Sham Leen. Le problème s’amplifie. Il faut que parents et ‘peers’ s’engagent davantage, qu’on exerce un meilleur contrôle des frontières.

 

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