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L’identité mauricienne, au-delà des clichés 

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La polémique autour de Nas Daily ravive le débat sur l’identité mauricienne, marquée par une diversité culturelle. Des Mauriciens témoignent.

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Le couple mixte Steeven et Karen Ayaperomall incarne une identité fusionnelle, enrichie par des cultures multiples.

La question de l’identité, souvent réduite à des débats en ligne, revêt une dimension universelle. À Maurice, la récente polémique autour de Nas Daily (voir encadré) en est la preuve. En suivant les parcours de couples comme Steeven et Karen Ayaperomall, nous découvrons les nuances et les richesses d’une identité plurielle. 

Que signifie être Mauricien ? À cette question, Steeven Ayaperomall, Assistant Operations Manager, marié à Karen, HR Assistant, répond : « Être Mauricien, pour moi, c’est la capacité de s’adapter et de s’épanouir dans un environnement multiculturel tout en restant fidèle à soi-même. C’est reconnaître la diversité autour de soi et chercher à en tirer le meilleur. »

Pour Steeven Ayaperomall, ce sont ses valeurs, ses aspirations, ses expériences de vie et sa personnalité, bien au-delà de ses origines culturelles, qui le définissent. « La culture, certes, joue un rôle dans la formation de mes premières perceptions du monde, mais ce sont mes choix, mes interactions et mes expériences de vie qui façonnent véritablement mon identité. »  Et de préciser : « Mon identité n’est pas figée ; elle se construit jour après jour. »

Qu’en pense son épouse, Karen Ayaperomall ? « En tant que femme, mon identité dépasse largement mes origines culturelles. Mes valeurs personnelles, mes choix de vie, et surtout les défis que j’ai traversés m’ont façonnée bien au-delà de mes racines ethniques. Être Mauricienne, c’est aussi incarner des valeurs comme la force, l’empathie et la capacité à inspirer le changement, et cela, peu importe la culture dans laquelle je suis née », explique-t-elle.

Pour Karen, sa foi et son engagement familial sont également des éléments essentiels de son identité : « Mon couple et ma famille sont des piliers dans ma vie. Ils sont le reflet de mes croyances, et j’accorde une grande importance à l’indépendance et à l’équilibre. À travers ma relation, je suis capable de concilier tradition et modernité. »

L’union de Steeven et Karen Ayaperomall est un témoignage vivant de ce que pourrait être l’identité mauricienne aujourd’hui : une identité fusionnelle, enrichie par des cultures multiples, mais qui trouve son fondement dans des valeurs universelles telles que l’amour, la confiance et le respect mutuel.

Au-delà de ses origines respectives, ce couple a construit une dynamique qui repose sur ce qui les unit, plutôt que sur ce qui pourrait les diviser. 
« Nos cultures, bien que distinctes, partagent des valeurs fondamentales : l’importance de la famille, le respect de l’autre, l’empathie, l’hospitalité, etc. Ces valeurs communes forment la base de notre relation. Elles créent un terrain d’entente où nous pouvons célébrer nos similitudes tout en appréciant nos différences », soulignent-ils.

Cependant, comme dans toute relation interculturelle, des incompréhensions peuvent surgir. Les attentes en matière de rôles familiaux, de traditions religieuses ou de célébrations des moments marquants de la vie sont parfois sources de tensions. Mais pour ce couple, chaque différence est une opportunité d’échange et de compromis, plutôt qu’un obstacle. 

Steeven et Karen Ayaperomall ont appris à naviguer dans ces différences, en cultivant un dialogue constant. « Nous avons dû ajuster nos attentes, surtout quand nos traditions et nos façons de communiquer ne coïncidaient pas. Cela nous a poussés à mieux comprendre l’autre et à trouver des solutions ensemble », font-ils ressortir. 

L’épanouissement de leur famille se fait autour de la transmission de deux héritages culturels, où chaque tradition est respectée et intégrée avec soin. Leur fille de 5 ans grandit ainsi dans un environnement spirituel mixte, en apprenant et découvrant les deux cultures de ses parents. 

« Nous avons opté pour une approche de vie spirituelle mixte, en veillant à lui offrir un équilibre entre nos croyances respectives. Elle participe à la messe chrétienne dominicale en famille, mais elle connaît aussi les traditions tamoules, comme le jeûne pendant Cavadee », indiquent Steeven et Karen Ayaperomall.

Le défi réside parfois dans l’équilibre des pratiques religieuses et des festivités. La gestion des fêtes religieuses, les rites familiaux ou même les habitudes quotidiennes peuvent parfois créer des tensions ou des incompréhensions, mais pour ce couple, c’est l’occasion de renforcer leur lien : « Nous avons appris à nous adapter et à fusionner nos traditions pour offrir à notre fille une vision enrichie du monde, une vision qui dépasse les frontières des cultures. » 

Affronter les stéréotypes 

Les couples mixtes, bien que de plus en plus présents à Maurice, continuent de faire face à des stéréotypes et à des jugements, souvent véhiculés par des idées préconçues. Les rôles traditionnels, les attentes autour de la place de chaque individu au sein du couple, ou encore les choix de vie de la famille, sont souvent montrés du doigt. 

Steeven et Karen en savent quelque chose, ayant eux aussi été jugés. « Il y a parfois cette perception qu’un des deux doit sacrifier une part de soi pour que l’union tienne. Mais, pour nous, notre relation n’est pas le résultat d’un compromis imposé, mais d’un choix sincère, nourri par l’amour et le respect mutuel », mettent-ils en avant. 

Du reste, le couple est convaincu que ces jugements ne sont qu’un reflet d’une époque en transition. « Nous vivons dans une société de plus en plus ouverte et diverse. Les couples mixtes se multiplient, et cela montre que, finalement, l’humain prime sur tout le reste. »

L’un des aspects essentiels de la relation de Steeven et Karen Ayaperomall réside dans la communication, et plus spécifiquement, dans la langue. Étant d’origines culturelles différentes, ils sont conscients que la langue peut être un défi, mais aussi un pont. « La langue joue un rôle essentiel dans notre relation. Nous faisons l’effort d’apprendre les expressions et les nuances propres à chaque culture. Cela nous permet non seulement de mieux nous comprendre, mais aussi de transmettre cette richesse à notre fille », disent-ils. 

Ainsi, dans leur foyer, le créole, le tamoul et le français se croisent et se mélangent, donnant à la famille un parfum de diversité. La langue est aussi un vecteur de transmission culturelle, qui leur permet de partager leur patrimoine avec leurs familles élargies. « Nous mettons un point d’honneur à intégrer plusieurs langues dans notre quotidien, non seulement pour honorer nos origines, mais aussi pour ouvrir notre fille à une vision pluriculturelle du monde », soutiennent Steeven et Karen Ayaperomall. 

Une identité mauricienne plurielle

À travers leur histoire, Steeven et Karen nous rappellent que l’identité mauricienne ne se résume pas à un héritage figé, mais qu’elle est le reflet d’un processus vivant, en constante évolution. « Être Mauricien aujourd’hui, c’est accepter la diversité, être capable de voir au-delà des différences culturelles et d’en faire une richesse. C’est comprendre que l’identité n’est pas une question de sang ou de tradition, mais d’ouverture d’esprit et de respect », affirment-ils. 

Le parcours de ce couple montre que l’identité mauricienne, loin des débats stériles, est avant tout un mélange d’histoires, de croyances et de pratiques, qui se recomposent continuellement. Elle est une identité plurielle, fondée sur l’échange, l’adaptation et l’amour. C’est ce que Steeven et Karen Ayaperomall incarnent au quotidien, dans leur vie de couple, dans l’éducation de leur fille, et dans leur manière d’être au monde. À travers eux, c’est une vision de Maurice comme un lieu de rencontre, de compréhension et de tolérance qui se dessine.

Rolande Françoise, fière d’être Mauricienne

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Pour Rolande Françoise, la cuisine est une composante essentielle de l’identité mauricienne.

Elle n’a pas eu la chance d’être présente, le 12 mars 1968, au Champ de Mars, pour voir flotter pour la première fois le quadricolore mauricien. Rolande Françoise, âgée de 85 ans, n’en est pas moins fière d’être Mauricienne. Que signifie être Mauricien, pour elle ? C’est avant tout « être né à Maurice, aimer et être fier de son pays », répond-elle.

Pour l’octogénaire, « être Mauricien, c’est cohabiter en harmonie avec les diverses composantes de la société ». C’est ainsi qu’elle envisage une île Maurice prospère, un pays où il fait bon vivre.

La cuisine mauricienne, en particulier, célèbre la diversité culturelle du pays. D’ailleurs, Rolande Françoise estime qu’il s’agit là d’une composante essentielle de l’identité mauricienne. Elle apprécie en particulier les plats indiens, notamment le dholl puri, les « set kari », le « rasson » ou encore le « kari banann ». Le biryani trouve également une place de choix dans cette liste, bien qu’elle préfère le poisson par-dessus tout.

Cependant, ayant vécu les émeutes raciales de 1968, elle déplore que l’harmonie d’autrefois entre les différentes communautés se soit quelque peu érodée, attristée par le sentiment de « méfiance » qui semble s’être installé aujourd’hui en raison des divers fléaux que connaît le pays. « Les jeunes générations vivent plus éloignées les unes des autres, et il n’y a plus vraiment cette entente qui existait entre les voisins, peu importe leur culture ou leur appartenance religieuse », regrette-t-elle. Elle blâme en particulier le fléau de la drogue, qui, selon elle, a créé une barrière.

Karina Bhoobun, entre racines mauriciennes et intégration canadienne

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Bien qu’elle soit installée au Canada, Karina Bhoobun se dit « toujours aussi patriote ».

Karina Bhoobun, fonctionnaire fédérale canadienne d’origine mauricienne, est un exemple de l’équilibre délicat entre intégration et préservation culturelle. Installée au Canada depuis plusieurs années, elle se confronte quotidiennement à la question de l’identité, comme beaucoup de personnes issues de la diaspora. Dans un contexte de globalisation accrue, où les frontières culturelles se brouillent de plus en plus, elle demeure profondément attachée à ses racines mauriciennes, les intégrant harmonieusement à son quotidien canadien.

« Quand on vit à l’étranger, il est facile de se laisser absorber par la culture d’accueil, mais je ne voulais pas perdre une part essentielle de moi-même », confie la jeune femme. Pour elle, la culture mauricienne dépasse le simple héritage ; elle est un fil conducteur qui l’anime au quotidien. « Je suis toujours aussi patriote, et je cultive certaines traditions, comme la cuisine, qui me rappellent mes origines », ajoute-t-elle.

Karina Bhoobun maintient également le lien avec sa terre natale à travers des rencontres avec d’autres Mauriciens. « Entre Mauriciens, nous essayons de garder nos habitudes de célébrations, même ici au Canada », témoigne-t-elle. Ces rassemblements communautaires permettent de renforcer les liens entre les membres de la diaspora tout en perpétuant les coutumes qui marquent le calendrier mauricien.

Karina reconnaît que jongler entre deux cultures peut parfois être complexe. Cependant, elle y voit surtout une opportunité d’enrichissement personnel. « Avoir deux citoyennetés ne m’empêche pas d’être pleinement Mauricienne. Au contraire, cela me donne une perspective unique sur le monde et m’ouvre à de nouvelles expériences », assure-t-elle.

À travers cette double identité, Karina Bhoobun incarne une vision de l’immigration montrant qu’il est possible de vivre pleinement sa culture d’origine tout en s’intégrant avec succès dans un nouveau pays. « Mon identité mauricienne fait partie de moi, et je n’ai aucune intention de la perdre, même dans ce pays que j’appelle désormais ma maison », dit-elle avec conviction. 

La polémique autour de Nas Daily expliquée

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La vidéo de Nas Daily a été publiée sur Facebook le 7 janvier.

Le célèbre créateur de contenu Nuseir Yassin, connu sous le pseudonyme Nas Daily, s’est retrouvé au centre d’une controverse après la publication de sa vidéo « The 100% Immigrant Country » sur Facebook le 7 janvier. Dans ce contenu, réalisé en collaboration avec des influenceurs locaux, sa description de Maurice comme un « pays d’immigrants » a provoqué de vives réactions au sein de la population mauricienne.

Face aux critiques, Nas Daily a défendu sa position : « Le terme ‘immigré’ n’est pas péjoratif, c’est un mot dont on peut être fier. Les États-Unis sont encore aujourd’hui qualifiés de ‘nation d’immigrants’. Je pense que les critiques les plus virulentes devraient être relativisées. Cette vidéo visait à susciter l’intérêt mondial pour l’histoire de Maurice et son évolution. Avec plus de 3 millions de vues sur les réseaux sociaux, cet objectif a été atteint. »

Le vlogueur, qui a exploré plus d’une centaine de pays, retrouvait l’île Maurice huit ans après sa première visite. « J’ai choisi Maurice comme destination de vacances familiales cette année. L’hospitalité des Mauriciens m’a particulièrement marqué », a-t-il partagé. Il a également produit une seconde vidéo mettant en avant deux particularités du pays : l’absence d’armée et son statut de pays le plus sûr d’Afrique.

Personnalité influente des réseaux sociaux, Nas Daily rassemble plus de 22 millions d’abonnés sur Facebook et 8,4 millions sur TikTok. Lors d’un entretien avec Defimedia.info, il a évoqué ses origines : « J’ai grandi en tant que Palestinien en Israël. » Après des études aux États-Unis, il a abandonné sa carrière professionnelle pour se consacrer à la création de vidéos.

Maurice : une histoire de peuplement et de diversité

L’historien Satyendra Peerthum retrace L’histoire du peuplement de Maurice depuis 1598, soulignant la diversité des vagues migratoires : des Hollandais aux Indiens, en passant par les communautés chinoises, façonnant ainsi la société multiculturelle mauricienne actuelle.

Les fondations d’une nation multiculturelle (1598-1710)

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L’historien Satyendra Peerthum donne un aperçu de l’histoire du peuplement de Maurice. 

L’histoire du peuplement de Maurice débute en 1598, marquée par une diversité souvent méconnue. Contrairement aux récits traditionnels qui mettent l’accent sur les seuls colons hollandais, les premiers habitants de l’île formaient déjà une mosaïque culturelle incluant des marins européens, des travailleurs indonésiens et des artisans indiens, explique l’historien Satyendra Peerthum. Plus surprenant encore, les premiers esclaves n’étaient pas originaires d’Afrique ou de Madagascar, mais du Bengale et d’Oman.

Cette période initiale voit naître le premier Mauricien officiellement enregistré, Simon Van der Stel, fruit de l’union entre le colon Adrien Van der Stel et Maria Levens, une femme eurasienne. Cette première phase de peuplement s’achève dramatiquement en 1710 avec le départ des Hollandais, précipité par une insurrection d’esclaves menée par la figure historique d’Anna Bengale.

L’émergence d’une société coloniale (1721-1810)

L’arrivée des Français en 1721 marque un tournant crucial dans l’histoire de l’île. Sous l’administration de Mahé de La Bourdonnais (1735-1745), Maurice connaît une transformation profonde. Port-Louis s’impose comme nouvelle capitale, éclipsant Vieux Grand-Port, tandis que la population se diversifie considérablement.

Cette période voit affluer :

  • Des colons français, principalement originaires de Normandie et de Bretagne. 
  • Des esclaves venus de Mozambique et de Madagascar
  • Les premiers immigrants tamouls (1728-1729)
  • Une communauté florissante de commerçants et d’artisans indiens.

« La traite négrière vers Maurice comprenait des esclaves originaires d’Éthiopie, de Yoloff, du Sénégal, des Mandingues, reflétant ainsi la diversité de la population mauricienne », indique l’historien Satyendra Peerthum. Parmi les travailleurs engagés, certains venaient également d’Éthiopie, d’Oman, de diverses régions de l’océan Indien et même de zones reculées d’Afrique, comme le Malawi, ajoute-t-il. « Ce réseau, financé par les Français via le gouvernement colonial, était utilisé pour importer des esclaves. » 

Une société stratifiée

Dans les années 1770-1780, la société mauricienne se structure en trois groupes distincts :

  • Les esclaves, représentant 75 % de la population
  • Les colons européens, constituant 10 % des habitants
  • Les personnes de couleur libres, formant 15 % de la démographie insulaire

Selon Satyendra Peerthum, « les premiers colons venus à Maurice formaient un groupe diversifié, loin d’être monolithique. Au niveau socio-économique, on retrouvait des marins, des engagés français, des fonctionnaires, des marchands et négociants, ainsi que des aristocrates, comme le gouverneur Magon ou le vicomte de Souillac, qui est resté à Maurice. Ce dernier est à l’origine de la création du cimetière marin. À l’instar de Souillac, d’autres gouverneurs français et anglais se sont établis dans l’île après leur mandat ». 

Il ajoute que sous la période anglaise, on observe des profils similaires : travailleurs anglais, fonctionnaires, riches planteurs et entrepreneurs qui ont créé des entreprises à Maurice et entretenaient des relations commerciales avec l’Inde. « Toutes les couches sociales étaient présentes, contribuant à la formation d’une société coloniale hétérogène. »

Cette répartition se reflète dans l’organisation spatiale de Port-Louis, avec ses quartiers distincts : Camp des Malbars, Camp des Noirs libres, et la « ville blanche », indique l’historien Satyendra Peerthum. « Lorsque Maurice est devenu une colonie britannique, le commerce des esclaves a été officiellement aboli. Cependant, cette pratique a perduré clandestinement pendant un certain temps. »

Les facteurs de développement

La position stratégique de Maurice sur la route des Indes a joué un rôle déterminant dans son développement. Les puissances coloniales ont choisi l’île pour :

  • Sa localisation idéale comme port de ravitaillement
  • Son potentiel agricole considérable
  • Son importance stratégique dans le commerce des épices

L’héritage contemporain

La transformation par l’engagisme

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Photo d’illustration

L’histoire de l’immigration indienne à Maurice est plus ancienne et complexe qu’on ne le pense souvent. Contrairement à la croyance populaire, l’immigration indienne n’a pas commencé avec l’abolition de l’esclavage. Dès les années 1730, des artisans qualifiés - forgerons, menuisiers, maçons - traversaient déjà l’océan Indien sous contrat. 

Selon l’historien Satyendra Peerthum, les rues animées de Port-Louis racontent une histoire silencieuse. La Jummah Mosque, les Casernes centrales, l’ancien Hôtel du gouvernement - ces monuments emblématiques portent la signature d’artisans indiens arrivés dès 1729, bien avant la grande vague d’immigration de 1835. « Ces bâtiments témoignent d’un syncrétisme culturel unique » explique-t-il. « Ils ont été construits par des mains indiennes, africaines, malgaches et européennes, esclaves ou libres. »

Cette stratification sociale se reflète dans l’organisation urbaine de Port-Louis, avec ses quartiers caractéristiques : le Camp des Malbars, le Camp des Noirs libres, et la « ville blanche ».

Cette migration s’est intensifiée après 1835, soutenue par des planteurs mauriciens qui investissent des milliers de livres sterling dans le recrutement. « L’engagisme n’était pas une nouvelle forme d’esclavage », précise l’historien. « Ces hommes et femmes étaient légalement libres, et beaucoup venaient en famille entière. »

L’immigration indienne n’était pas initialement destinée à favoriser leur installation permanente dans l’île, mais cela est devenu une conséquence de l’Histoire, les Indiens finissant par rester à Maurice. Ce n’est qu’en 1853, lorsque le droit de retour en Inde leur a été accordé, que certains Indiens ont été encouragés à demeurer dans l’île. « En 1830, selon le recensement, la population de Maurice atteignait 100 000 personnes, dont 70 000 esclaves, environ 10 000 colons et 20 000 personnes de couleur libre. Avec le métissage, une nouvelle catégorie démographique, appelée ‘population générale’, a commencé à émerger. En raison de la faible proportion de femmes, des unions mixtes entre Blancs, Indiens et Noirs ont conduit à la naissance d’enfants métissés, un phénomène ayant contribué à la diversité de la population », fait savoir l’historien.

Les nouveaux arrivants ont rapidement montré leur détermination à préserver leur identité. Quand les planteurs ont tenté de modifier leur alimentation, ils ont catégoriquement refusé. Des camps sucriers, ils sont progressivement passés à la création de leurs propres villages, maintenant vivantes leurs traditions religieuses et culturelles.

La contribution chinoise

La communauté chinoise a joué un rôle crucial dans le développement économique de l’île. « En collaborant avec les musulmans, les Français et, dans une moindre mesure, les Britanniques, ils ont contribué à développer le commerce et l’industrie, notamment à Port-Louis, dans le quartier de Chinatown », raconte l’historien. En établissant Chinatown et en créant des réseaux de crédit accessibles, les commerçants chinois ont facilité l’ascension sociale de nombreux Mauriciens tout en préservant leur héritage culturel distinct. « Grâce à leurs réseaux et à leur savoir-faire, ils ont joué un rôle clé dans le développement des affaires et ont également soutenu les nouveaux immigrants. Ils ont su combler un vide dans le domaine commercial. »  

L’Héritage de cette Histoire

L’histoire complexe du peuplement a façonné l’île Maurice d’aujourd’hui, créant une société multiculturelle unique, souligne l’historien Satyendra Peerthum. « Le métissage a conduit de nombreux Mauriciens à se définir ultérieurement comme ‘créoles’, adoptant parfois des noms d’origine indienne. Par ailleurs, Maurice n’a jamais attiré une grande population de Blancs, car de nombreux migrants européens ont préféré s’installer dans d’autres colonies, comme l’Afrique du Sud, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. Cependant, il y a eu un important mélange entre Français et Anglais, comme en témoignent les registres des églises anglicanes et catholiques. »

Cependant, à l’approche de ses 60 ans d’indépendance, Maurice fait face à de nouveaux défis : une baisse démographique préoccupante ; l’émigration croissante des jeunes générations ; et l’intégration de nouvelles vagues de travailleurs étrangers. De plus, « l’identité nationale mauricienne reste une question ouverte », observe Satyendra Peerthum, pour qui « le mauricianisme est davantage perçu comme une idéologie qu’une réalité concrète ». 

Pour lui, « l’unité nationale reste un défi », souvent dissimulé derrière l’idée de « diversité harmonieuse ». Il reste beaucoup à faire pour transformer cette diversité en une réelle identité collective.

Pour y parvenir, l’historien insiste sur l’importance d’enseigner cette histoire complexe aux nouvelles générations. « Depuis les années 1970, l’enseignement de l’histoire de Maurice a décliné, devenant trop superficiel. Il est crucial de promouvoir cet enseignement pour former des citoyens plus conscients de leur héritage », insiste l’historien Satyendra Peerthum. « Comprendre notre passé est essentiel pour construire notre futur commun. »

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