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Liberté de la presse : des leçons à tirer du Lesotho

La Cour constitutionnelle du Lesotho a invalidé une loi pénalisant la diffamation en rappelant que de telles dispositions peuvent entraîner une politique de l’autocensure au détriment de la liberté d’expression.

Considéré comme un des pays les plus pauvres en Afrique, le Lesotho a peut-être fait la leçon aux grandes nations. La Cour constitutionnelle a décrété anticonstitutionnelles les dispositions de l’article 104 de la Penal Code Act qui traite la diffamation criminelle.

Toute cette affaire commence avec un article satyrique publié dans l’hebdomadaire Lesotho Times sur le commandant-en-chef de la défense du Lesotho, Tlali Kamoli. L’article évoque un coup de force du chef de la défense envers les ministres du gouvernement, y compris le Premier ministre.

À peine une semaine plus tard, l’imprimeur, Basildon Peta, était face à la justice pour répondre à une accusation sous les articles 101, 102 et 104 de la Penal Code Act du Lesotho. Basildon Peta saisit la Cour constitutionnelle pour demander de décréter anticonstitutionnels les articles sous lesquels il est poursuivi.

La Cour constitutionnelle soutient que « la liberté d’expression est importante parce que les gens ont le droit moral de dire ce qu’ils pensent et que cette liberté constitue un des traits essentiels d’une société juste ».

Article Satyrique

Selon la Cour constitutionnelle, des figures publiques, comme le commandant-en-chef de la défense dont le nom a été mentionné dans l’article satyrique doit démontrer un degré de tolérance plus élevé face aux critiques car en acceptant un poste public, il s’expose à l’opinion publique.

Mais la Cour constitutionnelle note que la liberté d’expression, comme c’est le cas à Maurice, n’est pas absolue et ne peut être exercée au détriment des droits d’autrui. Cependant, toute loi qui restreint la liberté d’expression, explique la Cour constitutionnelle, doit avoir une justification.

Or, la Cour constitutionnelle note que les moyens auxquels le législateur a eu recours pour protéger la réputation des gens sous la Penal Code Act ne sont pas raisonnables. « In my view quite clearly the means chosen to protect the individuals’ reputational interests are broader than necessary to accomplish the said objective », peut-on lire dans le jugement.

Quant à la pénalisation de la diffamation, la Cour constitutionnelle soutient qu’elle a un effet dissuasif sur les journalistes et pourrait entrainer une pratique de l’autocensure. « Criminalising defamation has a chilling effect on journalistic freedom of expression. Fear of potential criminal sanction for reputational incursion may result in media practioners doing what is known as self-censoring. The corollary of this is self-censoring to stop the flow of information, leaving the public less informed about the goings-on in government ».

Le jugement fait également mention de la résolution de la Commission Africaine en 2010 en faisant un plaidoyer aux États membres d’abolir les lois criminalisant la diffamation toute en soulignant que de telles dispositions entravent le rôle de quatrième pouvoir des journalistes.


Que dit la loi à Maurice

La diffamation criminelle est un délit commis en violation de l’article 288 du Code pénal. Cette législation stipule que (1) toute imputation ou allégation d’un fait préjudiciable à l’honneur, au caractère ou à la réputation de la personne à laquelle ce fait est imputé ou allégué constitue une diffamation ; (2) toute imputation ou allégation concernant l’honneur, le caractère ou la réputation d’une personne décédée est une diffamation lorsqu’elle vise à discréditer ou à blesser les sentiments de la famille ou des proches du défunt. Ainsi, si une personne est reconnue coupable de diffamation, elle encourt d’une amende n’excédant pas Rs 5 000 et une peine d’emprisonnement ne dépassant pas un an.


Qui est Basildon Peta ?

Basildon Peta, né en 1970 dans la ville de Chitungwiza à Zimbabwe. Âgé de 48 ans, il a eu une riche carrière dans le journalisme. Il est actuellement responsable de publication du Lesotho Times.

 l’âge de 24 ans, il a reçu le prix « Press Freedom Award » par le Media Institute of Southern Africa pour ses reportages au Zimbabwe. Il est d’ailleurs le deuxième journaliste à avoir reçu ce prix.

Marié et père de deux enfants, Basildon Peta a été inculpé de diffamation et de « criminal injuries » (crimen injuria) le 5 juillet 2016. Cette inculpation fait suite à une publication d’un article par son journal dans sa rubrique satirique baptisée « Scrutator ». Cet article tournait en dérision l’influence dont disposerait le général de corps d’armée Tlali Kamoli. Le 18 mai 2018, la Cour constitutionnelle du Losotho a reconnu la diffamation criminelle anticonstitutionnelle.

Basildon Peta a été persécuté et a dû fuir pour sauver sa vie après avoir été menacé par le régime de Robert Mugabe en 2001. Il avait été détenu à Harare avant les élections d’avril 2002. Depuis son exil en février 2002 en Afrique du Sud, Basildon Peta a fait des reportages pour des journaux en Angleterre et en Nouvelle-Zélande.

Basildon Peta avait été aussi détenu pendant sept jours en 1994 par les autorités sous l’Official Secrets Act. Cela à la suite d’une publication dans le Daily Gazette du Zimbabwe sur l’évasion fiscale par les bureaucrates du Zimbabwe. Il avait refusé d’abandonner ses principes, de modifier ses reportages ou de révéler ses sources.

Le Zimbabwéen est surtout connu pour ses reportages difficiles dans des circonstances politiques difficiles, sa voix de journaliste zimbabwéen exilé et sa fondation d’une société de presse.

Le Zimbabwéen est actuellement le CEO d’Africa Media Holdings, la société d’édition derrière le Lesotho Times. Ce journal est un hebdomadaire qui est né en 2008.


Réactions

Me Mohammad Nawaz Dookhee : «La diffamation criminelle n’a pas sa place» 

Selon Me Mohammad Nawaz Dookhee : « Je note que l’article 14 de la Constitution de Lesotho est presque similaire à notre article 12 de la Constitution sur la liberté d’expression. Le jugement vient dire que les caricatures satiriques font partie de cette liberté d’expression. Je pense que cette remarque est importante pour la presse, surtout de nos jours avec le nombre d’émissions satiriques présentes ». L’avocat ajoute que notre loi fait état de diffamation au civil, mais le citoyen qui s’estime diffamé, doit avoir les moyens pour aller en cour et loger une poursuite au civil. Ce qui, de l’avis de l’avocat, peut mettre des années à aboutir à un résultat final. Sur une note de fin, il « pense que la diffamation criminelle n’a pas sa place ».

Ashok Radhakissoon, légiste et ancien Président de l’ICTA : «Notre loi sur la diffamation criminelle est désuète»

« Le jugement vient remettre en question la constitutionnalité de la loi du Lesotho et ne nous contraint pas à suivre. Je note qu’à Maurice, nous n’avons pas vu de poursuites pour diffamation criminelle. C’est un délit assez complexe à établir en cour en termes de preuves à apporter. En sus, nous avons une alternative comme remède, notamment des poursuites aux civiles », souligne l’avocat Ashok Radhakissoon. Il explique que Geoffroy Robertson, avocat spécialisé dans la loi des médias, a, dans son rapport sur Maurice, soutenu que la loi sur la diffamation criminelle est désuète et qu’il faut l’enlever de notre Code pénal. « Je partage son avis sur la question », a ajouté l’ancien président de l’Information and Communication Technology Authority.


La loi sur la diffamation : ce que le DPP avait dit…

Le Directeur des poursuites publiques, Satyajit Boolell, Senior Counsel avait dit, dans sa Newsletter en avril 2013, être en faveur de la décriminalisation de la diffamation. Ses propos rejoingnent ceux de Geoffrey Robertson, Queen’s Counsel, qui avait publié un rapport commandité par le gouvernement sur les médias à Maurice. Dans la Newsletter d’avril 2013, Me Satyajit Boolell, Senior Counsel, avait aussi affirmé qu’il fallait « se débarrasser des lois coloniales obscures du Code pénal ».

Il est d’avis que les poursuites au pénal ne sont pas toujours satisfaisantes, car elles peuvent porter préjudice à la liberté d’expression. « I have laid down a policy that a prosecution for criminal defamation will have to satisfy a very high threshold indeed and that only in the rarest of the rare cases that prosecution would be contemplated », faisait-il ressortir dans la Newsletter d’avril 2013.

 

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