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«Les Sino-Mauriciens entre l’exil et l’île Maurice» : un ouvrage retraçant le périple de la communauté sino-mauricienne

Roland Tsang Kwai Kew, auteur de « Les Sino-Mauriciens entre l’exil et l’île Maurice », a été journaliste pendant longtemps.

Arrivés à Maurice après l’abolition de l’esclavage, tout comme les travailleurs engagés de l’Inde, bon nombre de Sino-Mauriciens ont fui la pauvreté en Chine pour poser leurs bagages à l’île Maurice. Cependant, beaucoup d’entre eux ont regagné leur pays. Depuis la communauté sino-mauricienne a participé à toutes les mutations de Maurice, de la ‘boutik sinwa’ jusqu’aux grandes capitaines d’industrie en passant par la vie quotidienne à Chinatown. Dans un livre intitulé « Les Sino-Mauriciens entre l’exil et l’île Maurice », l’ex-journaliste Roland Tsang Kwai Kew dresse un inventaire de l’itinéraire d’une communauté à la fois dynamique et discrète.

Comme à Paris ou à New-York, la communauté chinoise de Maurice ne fait pas exception en termes de discipline et de rigueur, sauf qu’ici leur présence remonte à l’occupation hollandaise, puis au début de la colonisation française, faisant d’elle la plus ancienne communauté asiatique de Maurice. L’auteur fait remonter l’immigration chinoise après l’abolition de l’esclavage en 1935, quand quelques grands propriétaires fonciers, dont De Labauve d’Arifat, engagèrent environ 3 000 travailleurs chinois en provenance de Penang, en Malaisie, et Singapour. « Pendant quelques années, jusqu’en 1843, les Chinois constituaient le gros des contingents d’ouvriers agricoles recrutés par l’île Maurice », fait observer Roland Tsang Kwai Kew.

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Les Sino-Mauriciens entre l’exil et l’île MauricePour étoffer son propos, Roland Tsang Kwai Kew a recouru aux archives nationales de la Hague, au Pays-Bas, dans ses propres contributions à la presse et en puisant dans l’ouvrage « Le Grand chant hakka » de son cousin et ex-ministre Joseph Tsang Man King, dont il fut aussi l’attaché de presse. Le résultat de ses recherches, appuyées par des témoignages, permet de mieux connaître l’itinéraire de la communauté chinoise depuis ses premiers pas à Maurice jusqu’à nos jours.

Confucius, Lao-Tseu et Bouddha 

Ils n’ont pas toujours été ces négociants prospères, riches hommes d’affaires ou économistes, de haute volée. Et si Mao Zedong et les communistes n’avaient pas pris le pouvoir en Chine, ils auraient été plus nombreux à rentrer chez eux. En s’installant à Maurice durant l’ère française, les Chinois, essentiellement de la communauté Hakka (qui signifie hôte), ont aussi dans leurs maigres valises les enseignements de Confucius, Lao-Tseu et Bouddha. En d’autres mots : la discipline, le respect, la grandeur, le respect des aînés et la probité entre autres. 

Ces points cardinaux de cette culture millénaire leur seront importants lorsqu’ils s’installeront dans le milieu rural de Maurice, au cœur même des camps sucriers, pour commercer riz, sucre, sel et autres commodités alimentaires de base. La réalité économique et sociale des camps sucriers imposera aux boutiquiers chinois d’expérimenter avec succès la vente au détail et le crédit qui finiront par devenir une véritable particularité chinoise. C’est de là que naîtra le fameux petit carnet rouge (comme le petit livre rouge de Mao !), où le boutiquier chinois tiendra compte de ses ventes à crédit. 
‘Cahiers crédits’

Par la suite, on viendra beaucoup gloser sur ces ‘cahiers crédits’ pour attribuer à leurs tenants des chiffres grossis. Mais sans ces petits livres de compte, il aurait été sans doute impossible aux laboureurs et artisans de rester debout dans les champs et les usines. Ce qui permet à l’auteur de décrire ces boutiques comme le centre nerveux du village si bien qu’« elle s’est même transformée en une antenne du ministère de l’Information.  La vie gravitait autour de la boutique devenue un centre de recréation et de loisirs. Si la boutique éternuait, tout le village s’enrhumait. Le boutiquier exerçait une influence quasi-magnétique sur la vie du village. Un mariage n’avait pas eu lieu aussi longtemps que le boutiquier ne donnait pas son consentement pour une ligne de crédit… Ce qu’il ne tardait pas à faire. Pourtant, il savait que les comptes resteraient bien souvent impayés, même après la naissance du premier enfant du couple. »

Kreol et bhojpuri  

Une des prouesses de ces boutiquiers de l’île Maurice rurale, lesquels avaient leur propre langue, a été leur faculté à se fondre dans une culture souvent difficile grâce à leur aisance à s’approprier le kreol et le bhojpuri. Aujourd’hui encore, la nouvelle génération des hauts professionnels sino-mauriciens préfère le kreol au français et à l’anglais, conscients que la langue maternelle reste le meilleur moyen de communication de masse. Ce haut sens du ‘pratique’ s’est aussi exprimé lorsque les différents clans de la communauté ont dû trouver des éléments d’homogénéisation à travers la célébration des principales fêtes, valeurs et traditions ancestrales et l’alimentation. 

Sans doute plus que dans d’autres communautés, la solidarité et l’entraide ont été des facteurs qui auront permis aux Sino-Mauriciens de réaliser les progrès économique et social, ce qui les a aussi intéressés à se joindre au combat politique dès les années 60. Les grandes familles de cette communauté ont été ainsi divisées sur l’enjeu de l’indépendance de l’île, s’engageant au Parti Mauricien Social-Démocrate (PMSD) ou au Parti travailliste (PTr), selon leurs opinions respectives. Au plus fort du mouvement contestataire emmené par le Mouvement militant mauricien (MMM) dans les années 70, Noël (Nono) Lee Cheong Lem s’était fait élire à Port-Louis. À ce jour, le Parlement compte deux Sino-Mauriciens, à savoir Karen Foo Kune-Bacha (MMM) et Michael Sik Yuen (PTr), témoignant de l’intérêt de cette communauté à participer activement à la procédure de prise de décisions nationales.

Usines de textile à Maurice

Faut-il ici rappeler que cette communauté est sans aucun doute pionnière dans la diversification de l’économie mauricienne dans les années 70-80 lorsque le Professeur Édouard Lim Fat et Sir Moilin Ah Chuen ont compris les bénéfices que l’île Maurice pouvait obtenir du retour de Hongkong dans l’orbite chinoise, en s’investissant dans des campagnes de promotion à Hongkong et Taiwan afin d’attirer les investisseurs de capitaux chinois à venir implanter leurs usines de textile à Maurice. L’auteur cite également des personnalités du secteur économique, comme Georges Chung Tick Kam et Kee Cheong Lee Kwong Wing, qui ont soutenu le gouvernement pour aider à la mise sur pied des institutions comme le Mauritius Audit Bureau (MAB).

Mais, un peu à l’image de la diaspora chinoise, les Sino-Mauriciens assistent depuis ces dix dernières années à une érosion de ses valeurs traditionnelles, surtout parmi les jeunes, sous le poids de l’influence de la mondialisation. D’autres, surtout des professionnels, avaient, eux, déjà choisi d’émigrer en Australie ou le Canada. À ce sujet, l’auteur cite le conférencier Denis Lo, durant l’exposé « The Role of the Chinese in the Making of Making of Mauritius » en 2016, lequel attribue la fuite de nombreux cerveaux à un « manque de méritocratie à Maurice, alors qu’ailleurs l’herbe est plus verte pour cette troisième génération des Chinois qui a fait des études universitaires à l’étranger. Cette génération est maintenant très intégrée dans son pays d’adoption, comme le Canada, l’Australie, la Grande-Bretagne, le Singapour, voire la Chine. » Que restera-t-il de cette culture millénariste dont la sagesse et sa médecine traditionnelle ont fait le tour du monde ? « Dans le temps, durant les banquets, répond Kee Cheong Lee Kwong Wing, on attendait que les vieux se servent en premier et ensuite les jeunes se relayaient. Ce n’est plus le cas à présent. »

‘Les Sino-Mauriciens entre l’exil et l’île Maurice’, ouvrage de Roland Tsang Kwai Kew, publié par les Éditions de l’océan Indien et imprimé par Print Plus.
 

 

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