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Les salles des hôpitaux remplies : ces abandonnés dans les hôpitaux pendant la période festive

Abandonnés à l'hôpital par leurs enfants pendant les fêtes Abandonnés à l'hôpital par leurs enfants pendant les fêtes
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Ils ont entre 2 et 98 ans et font partie de ces nombreux patients qui ont été ‘abandonnés’ dans les hôpitaux. Pour certains, c'est à cause des festivités, pour d’autres par manque de place à la maison.  Un véritable enfer pour ces personnes qui ne souffrent d’aucune maladie, sinon celle de se sentir mal-aimées et rejetées par leurs proches. Triste constat dans nos établissements hospitaliers à quelques heures des fêtes.

Dans presque tous les hôpitaux de l’île, toutes les salles sont comblées.  « Vini semenn prosenn ou pou trouvé pa pou ena plas », balance une infirmière de l’hôpital de Victoria. Elle explique que c’est tous les ans la même chose : « Lepok lane, ou trouv buku dimoun, sirtou ban vié dimoun, zot zanfan amen zot lopital, dir zot malad, fer admet zot ek kan gayn desarz pa vinn sers zot avan enn semenn ».

Le personnel soignant doit refuser d'admettre les proches qu'on vient "abandonner" à l'hôpital.
Le personnel soignant doit refuser d'admettre les proches qu'on vient "abandonner" à l'hôpital.

Elle avoue avoir interrogé nombreux de ces patients. « Zot dir mwa, pa donn zot zot medsinn pandan plizier zours ziska ki zot malad. » Cette infirmière affirme qu’elle a vu beaucoup de ces patients en larmes le jour de l’an. « Souvent, pour la Noël, certaines personnes passent de salle en salle pour bavarder un peu et les patients sont plutôt calmes mais pour le Nouvel An, c’est différent.  Aux douze coups de minuit, beaucoup pensent à leurs proches et fondent en larmes. Elles comprennent très bien et savent que leurs enfants les ont laissés là le temps des fêtes pour ne pas avoir à veiller sur elles et c’est très dur pour elles. »

Parwatee, 59 ans : « Monn sipliye zot vinn sers mwa »

Parwatee

Assise sur son lit, Parwatee a le regard braqué sur la porte d’entrée. Elle scrute  les visiteurs du jour. Elle cherche quelqu’un du regard, elle attend de la visite. Puis, la tristesse se lit sur son visage.  Personne ne viendra.

Après un peu d’hésitation, elle accepte de nous parler. Parwatee est admise depuis une semaine. Elle a eu la permission de rentrer mais, à ce jour, son fils n’est pas venu la chercher. « Il vient de se marier et il m’a dit qu’étant donné que je suis vieille, je ne peux continuer à habiter dans la maison car son épouse et lui-même travaillent et que c’est trop dangereux pour moi. » Elle explique que ce dernier a cherché en vain une maison de retraite mais, faute de places, a fini par la conduire à l’hôpital. « Je l’ai supplié de me laisser rester dans ma maison. C’est la maison que mon mari a construite sur les terres qui appartiennent à ses parents. Nous n’avions qu’une petite maison, mais nous étions tellement heureux. Je me suis toujours bien occupée de mon fils unique. Puis, mon mari est décédé. Mon fils a construit une grande maison et il s’est marié. Maintenant, il ne veut plus que j’y habite prétextant l’insécurité. J’ai toujours habité dans ce village. Je ne veux même pas habiter un autre endroit », lance-t-elle à haute voix.

Elle cherche son portable et appelle son fils. Dès qu’elle entend sa voix, elle ne pleure plus. Elle s’efforce de lui parler d’une voix enjouée, souriante. Ce dernier annonce qu’il viendra la voir le lendemain. Elle est contente, mais très vite elle ne rit plus et raccroche. « Linn dir mwa li pou vinn sers mo kart identite pou al sers mo pansion. » Effectivement, Parwatee touche une pension de vieillesse qui est contrôlée par son fils : « Tou le mwa li mem ki al sers mo pansion apre li gard kas la ek li. » Elle ne le dit pas, mais on ressent sa peine en apprenant que son fils viendra la voir uniquement pour pouvoir obtenir cette carte.

Tout à coup, elle est à nouveau emballée et espère que son fils reviendra à de meilleurs sentiments et nous demande même de plaider sa cause : « Ou kapav koz ar li ? Dir li, dir li pa les mwa la, dir li pa met so mama dan home, dir li mo pou fer tou louvraz, mo pou get li bien, mo pou netoy so lakaz ek fer so manze, me dir li pa abandonn mwa. Mo sipliye zot vinn sers mwa. » Des paroles tellement difficiles à entendre, qui résonneront longtemps…

Les oubliés des hôpitaux

Patient
Des patients sont abandonnés ou oubliés par leurs enfants.

A l’hôpital Jeetoo, les responsables affirment ne pas pouvoir dire avec certitude qui est là pour les mauvaises raisons. « Bien souvent, en tant que médecins, nous avons des doutes, mais on ne peut refuser de prendre les patients. Cependant, une fois admis, les patients se confient parfois et dévoilent tout. C’est vraiment dommage, surtout quand il s’agit de parents. Ils ne peuvent supporter l’idée de se sentir abandonnés par leurs enfants », explique un infirmier qui compte 20 ans de carrière.

A l’hôpital de Flacq, un vieil homme a lui décidé de ne pas attendre l’arrivée de ses proches. Nous l’avons rencontré sur l’aire de stationnement et il déclare qu’il ne rentrera pas chez lui ce soir-là. « Pa fer nanie si mo vinn enn SDF, zot pale mwa kot zot », dit-il en parlant de ses deux enfants. «Il explique qu’il a un problème de santé et qu’il porte des couches. « Fode ou get mo bane zanfan kuma zot get mwa, zot dir zot gayn  delika. Pourtan, mo mem inn get zot depi zot mama inn ale, zordi zot tourn ledo ar mwa. » Il refuse de nous laisser contacter une association pour lui venir en aide.

Si les témoignages ne manquent pas chez les patients et les infirmiers, les familles elles se rétractent. Nous avons contacté le fils de Parwartee qui avance qu’il n’a jamais abandonné sa mère : « J’ai beaucoup de travail et je m’inquiète pour elle quand elle est seule à la maison », dira-t-il. D’autres personnes n’ont pas voulu nous parler.

Dans tous les hospitaux où nous nous sommes rendus, les décorations de Noël égayent les lieux, sauf que pour beaucoup de ces personnes cela n’a aucune importance, car malgré tous les efforts du personnel, rien à faire, cela n’égaie pas le cœur. Ces personnes abandonnées et volontairement oubliées, débuteront une nouvelle année loin de leurs proches à attendre, à espérer. Souvent en vain.

Dr Ameenah Sorefan, psychiatre : « Brown Séquard n’est ni un centre d’accueil, ni une maison de retraite »

Un hôpital est un lieu pour recevoir des soins.
Un hôpital est un lieu pour recevoir des soins.

La consultante en santé mentale et psychiatre, le Dr Ameenah Sorefan, explique qu’il est important de différencier l’hôpital Brown Séquard des autres, car il y a dans cet établissement hospitalier des patients qui y restent tout au long de leur vie. « Effectivement, nous avons une unité spéciale pour les patients qui sont là pour une longue durée. ll faut préciser que beaucoup de proches ne veulent pas abandonner leurs enfants et d’autres membres de la famille cependant ne sont pas capables de s’occuper d’eux. Mais il ne faut pas non plus jouer à la politique de l’autruche, car il y a aussi des personnes qui sont bien mais dont les proches ne viennent jamais les chercher. Ce n’est pas correct et surtout cela fait tellement de mal à ces personnes qui attendent. Elles le savent, car quand les responsables des salles appellent leurs proches mais personne ne vient. »

Elle ajoute que certains ont besoin de retrouver leur famille : « Il le faut, car c’est le meilleur endroit où ils pourront s’épanouir. Cela les aidera aussi à aller mieux. Puis, il est important de dire que Brown Séquard n’est ni une maison d’accueil, ni une maison de retraite. Il est dommage qu’à Maurice, les gens ne comprennent pas que c’est un lieu pour obtenir des soins et non pas un lieu où on vient quitter une personne quand on ne sait pas que faire d’elle. »

Elle recommande la  formation : « Nous avons un problème de ressources humaines. Des gens qui veulent bien garder leurs proches chez eux ne  trouvent pas de personnes formées pour le faire. Il faut un plan national pour adresser tous ces problèmes. »


Les recommandations de l’Ombudsperson

Rita Vencatasawmy, explique qu’elle est bien au courant qu’il y a certains enfants qui ne devraient pas être à l’hôpital psychiatrique mais qui y sont, dont trois qui viennent des shelters. « Il faut bien faire la distinction entre les enfants qui ont des troubles de comportements et ceux qui ont des problèmes de santé mentale. Il faudrait faire l’éducation du public avant tout pour que les parents soient mieux armés pour faire face aux différents problèmes des enfants. Il faut un encadrement spécialisé et des programmes à domicile pour venir en aide aux parents, car il n’est pas normal qu’un parent qui ne sait pas quoi faire de son enfant turbulent le fasse admettre dans un hôpital psychiatrique. De même pour les shelters, ils ne sont pas tous à blâmer, surtout quand un enfant à des problèmes de trouble mental, malheureusement ils n’ont pas l’expertise pour encadrer ces enfants. Il faudrait des structures spécialisées pour eux. Cependant, pour ceux qui viennent uniquement pour quitter leurs proches dans ces hôpitaux, je pense que les infirmiers et médecins ont raison de taper du pied pour ne pas accepter ce genre de situation. »


440 patients au ‘long stay ward’

Il existe à l’hôpital psychiatrique de Brown Séquard une unité spéciale pour les patients qui ne rentrent pas. C’est le ‘ long stay ward’. On apprend que certains d’entre eux y sont depuis plus de 20 ans. Si pour certains ils ont besoin de soins spéciaux et ont besoin d’être là, pour la plupart ce sont des patients dont les proches ne sont jamais venus les récupérer. Ainsi, parmi ces patients, des enfants qui sont devenus adultes et, qui vivent à l’hôpital Brown Séquard depuis des années et d'autres, des adultes qui savent qu’ils n’en sortiront jamais. Pour beaucoup, cette unité est leur maison. Ils s’y retrouvent. En cette période festive, ils ont tous mis la main à la pâte pour décorer les lieux et, la semaine dernière, ils ont eu droit à une belle fête de fin d’année. Certains ont aussi la chance d’aller passer une journée ou un week-end chez leurs proches, alors que d’autres ne sortent jamais.


Les ONG appelées à la rescousse

Dans tous les hôpitaux, une liste d’associations qui ont des maisons d’accueil est placardée au mur. Elles sont souvent sollicitées pour accueillir des personnes qui n’ont plus besoin de soins mais dont  les parents ne viennent pas les chercher. On avait évoqué il y a quelques semaines le cas du petit Shane Bhuruth de l’hôpital SSRN. Lilette Moutou explique que malheureusement en cette période de décembre, les centres sont aussi remplis : « Nous constatons que pendant les mois de décembre et de janvier, il y a toujours une plus grande demande. Nous aidons autant que possible, mais souvent nous n’avons pas de places. Nous essayons alors de les canaliser. C’est triste de voir toutes ces personnes laissées dans ces hôpitaux. »


Une trentaine de personnes attendent leurs proches

Si pour l’hôpital Brown Séquard, c’est bien plus facile de compter le nombre de patients qui ne rentreront pas chez eux, c’est surtout parce qu’ils y sont depuis tellement longtemps. Cependant, dans les hôpitaux, les responsables expliquent que c’est difficile de dire un chiffre exact. À l’heure où nous mettions sous presse, une trentaine de personnes attendaient de rentrer depuis quelques jours déjà.


L’appel du Dr Kowlessur à la population

Dr Kowlessur

Le Medical Superintendant de l’hôpital A.G. Jeetoo, le Dr Kowlessur, fait un appel au public en cette période de fête. « Un hôpital est un lieu où les gens se soignent, souvent il y a des urgences, n’importe quand et à n’importe quelle heure. Il est très important d’avoir suffisamment de places pour accueillir ces malades et les urgences. Je fais donc un appel à toutes les personnes que nous contactons pour les informer de venir chercher leurs proches. S’il vous plaît, soyez responsables et aidez-nous à offrir le meilleur service à toutes les personnes qui ont besoin de nous. »


Témoignage

Melissa, 18 ans : « J’attends mon papa »

Melissa
Les yeux tournés vers le ciel, elle ne cesse de parler à haute voix et de s’interroger. Elle ne comprend pas pourquoi son papa n’est pas encore venu la chercher, pourtant cela fait 10 jours qu’elle attend. La jeune fille, qui est venue à notre rencontre à l’extérieur de la salle, nous a remis un numéro de téléphone pour appeler son papa. « Mo pa kone ki monn fer li. Mo ti malad me aster li pa pe reponn. » Nous avons appelé sur le numéro qu’elle nous a laissé, mais la ligne n’était pas disponible.

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