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Les risques qui guettent la croissance du pays  

Shaktee Ramtohul, Sanjay Goolab, Ishvind Caleechurn, Saurav Chatterjee, Chief Executive Officer et Manisha Dookhony, Chief Economic Advisor.

Le conflit Iran/Israël

Shaktee Ramtohul : « La guerre engendre toujours une part d’incertitude, se traduisant notamment par une baisse de la confiance des investisseurs sur les marchés financiers. Les tensions géopolitiques en sont les causes principales, et le prix du Brent évoluera malheureusement en fonction de l’intensité du conflit. Les cours du pétrole ont grimpé après que les États-Unis ont bombardé trois sites nucléaires en Iran, avant de reculer à la suite de l’annonce d’un cessez-le-feu entre Israël et l’Iran. Il apparaît évident qu’il sera difficile de naviguer à travers ces incertitudes, car nous restons exposés aux turbulences géopolitiques internationales. Si le conflit se prolonge, entretenant incertitude et inflation, il y aura inévitablement un impact sur la croissance économique, d’autant que Maurice demeure un importateur net. »

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Sanjay Goolab : « La guerre entre l’Iran et Israël, bien qu’éloignée géographiquement, peut perturber les routes commerciales mondiales et aggraver les tensions géopolitiques au Moyen-Orient, avec des répercussions sur les chaînes d’approvisionnement, les prix de l’énergie et la confiance des marchés. La probabilité d’une escalade majeure semble limitée, car un cessez-le-feu est en place et les deux parties semblent faire preuve de retenue et de bon sens pour éviter un embrasement régional. Toutefois, cette situation reste fragile et une reprise des hostilités ne peut être exclue. »

Les fluctuations des cours du pétrole

Ishvind Caleechurn : « Les fluctuations des cours du pétrole sont dues à la volatilité par rapport à la guerre au Moyen-Orient, mais le marché va sans doute se stabiliser et les analyses techniques du marché démontrent que le Brent et le Crude Oil ont connu une correction à la hausse la semaine dernière et vont baisser sur le long terme. »

Sanjay Goolab : « Les fluctuations des cours du pétrole ont un impact direct sur notre facture d’importation énergétique. Étant donné que Maurice importe la quasi-totalité de ses besoins en carburant, une hausse prolongée des prix du baril affecterait les coûts de production des entreprises. Le pouvoir d’achat des ménages sera affecté, ce qui pourrait peser sur la consommation et les investissements. Le prix du baril de Brent, qui avait brièvement dépassé les 90 dollars en avril 2024 en raison des tensions géopolitiques, s’est depuis corrigé. À la mi-juin 2025, le prix du baril se situe autour de 78 dollars, en baisse d’environ 10 % par rapport à son niveau il y a un an (environ 87 dollars en juin 2024). Cette accalmie relative sur les marchés pétroliers permet pour le moment de limiter l’impact inflationniste sur notre économie. Toutefois, le marché pétrolier reste volatil et sensible à tout choc géopolitique ou déséquilibre de l’offre. »

L’inflation

Ishvind Caleechurn : « Il faut attaquer le problème fondamental qu’est l’inflation. Les importations sont devenues des importations obligées qui ne peuvent être remplacées par des produits domestiques. Avec une possible hausse des barrières tarifaires, les prix des produits importés vont forcément augmenter. La politique monétaire est une équation multivariable et l’un des dénominateurs de cette équation est le taux directeur qui est à 4,5 % aujourd’hui. Si l’inflation reste stable jusqu’à l’année prochaine, on pourra baisser le repo rate pour stimuler la croissance économique. C’est un peu l’approche « wait and see » qu’il faut prôner vu la situation géopolitique. Néanmoins, c’est une stratégie très différente par rapport aux dix dernières années, avec un résultat cumulé d’essais et d’erreurs. C’est absolument sidérant, car il est illusoire et dangereux d’espérer régler les problèmes de l’économie par la création monétaire. »

Sanjay Goolab : « L’inflation, tant au niveau mondial que local, est en baisse en 2025 ramenée à 2,6 % en avril selon la Banque de Maurice, mais reste un facteur à surveiller de près. Toute remontée des prix mondiaux des matières premières, des denrées alimentaires ou de l’énergie pourrait raviver des tensions inflationnistes à Maurice. Deux éléments positifs pourraient toutefois contribuer à contenir l’inflation. La mise en place d’un Price Stabilisation Fund de Rs 2 milliards pourrait atténuer les hausses soudaines sur certains produits essentiels. Et si la roupie mauricienne parvient à se stabiliser face aux principales devises, l’impact des fluctuations des prix à l’importation sera limité. En revanche, la récente hausse du taux directeur de 0,5 % par la Banque de Maurice n’a pas produit les effets escomptés sur l’inflation et la stabilisation de la roupie. Elle a, au contraire, renforcé le coût des emprunts pour les ménages, notamment pour les prêts logement, tout en augmentant les charges financières des entreprises, ce qui nuit à leur compétitivité dans un contexte déjà incertain. »

* Pour Sanjay Goolab, chacun de ces éléments représente un risque externe significatif susceptible d’affecter la croissance de Maurice en 2025, notamment en raison de notre fort degré d’ouverture économique et de notre dépendance aux importations.

La volatilité des devises

Sanjay Goolab : « Les fluctuations des devises, notamment de l’euro et du dollar, ont un impact direct sur nos exportations, notre secteur touristique et les flux d’investissements étrangers. Le taux de change reste un facteur clé de compétitivité pour une économie aussi ouverte que la nôtre. Ce qu’il faut viser, c’est une roupie stabilisée, voire légèrement renforcée, mais sans excès. Une roupie trop forte rendrait nos exportations ainsi que notre destination touristique moins attractives à l’international. À l’inverse, une dépréciation prolongée de la monnaie augmente le coût des importations, en particulier pour des postes essentiels comme l’alimentation et l’énergie, alimente les pressions inflationnistes et érode le pouvoir d’achat des ménages. L’idéal serait donc d’adopter une politique de change équilibrée qui concilie stabilité monétaire tout en préservant la compétitivité de nos secteurs tournés vers l’exportation. » 

Ishvind Caleechurn : « En revanche, il y a un manque de devises sur le marché. En six mois, la Banque de Maurice a vendu seulement 85 millions de dollars sur le marché des changes. Et je suis d’avis que nous pouvons et que nous devons avoir une politique monétaire plus agressive pour stabiliser la roupie et pour combattre cette inflation persistante. »

Prévisions revues à la baisse

Ces recommandations pour booster la croissance

Shaktee Ramtohul : « Une hausse de la croissance économique est principalement liée à une amélioration de la productivité. Il est essentiel d’accélérer la transition vers une économie numérique — la Chine constituant à cet égard une référence majeure — tout en développant l’économie bleue et en intégrant l’intelligence artificielle dans des secteurs clés tels que la santé et l’agriculture. Cela encouragera tant les entités publiques que privées à orienter leurs investissements vers ces secteurs émergents, favorisant ainsi la création de nouvelles opportunités d’emploi. Par ailleurs, la transition vers une économie résiliente face au climat est cruciale. Elle implique des investissements dans des infrastructures intelligentes sur le plan climatique ainsi que la promotion d’un tourisme durable. » 

Ishvind Caleechurn : « Pour contrecarrer cette tendance irrésistible de stagnation séculaire, il faut restaurer la compétitivité. Il est prioritaire d’innover et d’investir dans les nouvelles technologies. Les innovateurs sont toujours une minorité et les nouvelles idées sont souvent accueillies avec scepticisme ou méfiance et avancent très lentement. L’économie bleue et l’aquaculture restent notre priorité. Nous avons une Zone économique exclusive de 2,3 millions de kilomètres carrés et nous sommes en train d’importer Rs 12 milliards de fruits de mer chaque année. Il faut sortir d’un système de contrôle étatique paralysant et réindustrialiser notre économie. Il faut inciter fiscalement les entreprises à venir s’installer à Maurice et encourager le commerce intra-firme, car il ne peut y avoir de croissance sans innovation. Il faut inspirer confiance aux investisseurs et encourager la transparence dans nos institutions. Je reste convaincu que Maurice a besoin de créer plus de richesse, car la croissance économique augmente le niveau de vie, contribue à réduire les inégalités et atténue les souffrances sociales. » 

Sanjay Goolab : « Un taux de croissance d’environ 3 % est insuffisant pour permettre une transformation économique profonde et répondre aux attentes sociales du pays. Pour stimuler davantage l’activité économique, il faut à la fois accélérer les réformes déjà engagées et renforcer certains leviers clés. Il est toutefois important de souligner que le Budget 2025–2026 contient déjà plusieurs mesures structurantes allant dans la bonne direction. Parmi les initiatives positives annoncées figurent : un plan d’investissements publics de Rs 128 milliards sur cinq ans, ciblant des secteurs clés tels que les routes, l’eau, l’énergie, le logement et les infrastructures portuaires ; le lancement de pôles de croissance sectoriels dans les domaines de l’énergie verte, de l’économie bleue, de l’industrie créative et de l’agriculture innovante, notamment le ‘vertical farming’ et l’intelligence artificielle appliquée à la production locale. Le Budget prévoit aussi la création d’un National Research and Innovation Institute, doté de Rs 200 millions, pour stimuler la recherche appliquée, ainsi que l’introduction de l’Innovative Mauritius Scheme et d’un AI Innovation Start-Up Programme. On note aussi la modernisation du secteur financier est amorcée, avec des mesures incluant le ‘bullion banking’ et la digitalisation des processus de la Financial Services Commission. Cependant, l’impact réel de ces mesures dépendra fortement de leur mise en œuvre concrète de leur mise en œuvre. Une exécution rapide, rigoureuse et bien coordonnée sera cruciale pour traduire ces annonces en résultats concrets sur la croissance, l’emploi et la compétitivité du pays. » 

L’avis de Care Ratings (Africa)…

Girisha Algoo, Associate Economist, Manisha Dookhony, Chief Economic Advisor, et Saurav Chatterjee, Chief Executive Officer, tous trois de Care Ratings (Africa), partagent leur analyse.

…sur les effets des mesures budgétaires sur la dynamique de croissance

« Le Budget s’inscrit dans une stratégie de consolidation budgétaire, dans un contexte de creusement du déficit public, estimé à 9,8 % du PIB en 2024/25, et d’un endettement public atteignant environ 90 % du PIB. Dans cette optique, le gouvernement concentre ses efforts sur la réduction du déficit et la mise en place d’une trajectoire d’endettement plus soutenable, en adoptant une approche combinant rationalisation des dépenses et mobilisation accrue des recettes.

Sur le plan des dépenses, si une discipline budgétaire renforcée risque de limiter les investissements publics dans les infrastructures, pourtant essentielles à la croissance à long terme, le gouvernement a principalement ciblé les dépenses courantes. Parmi les réformes clés figurent la suppression progressive des allocations liées au régime de la CSG et l’augmentation graduelle de l’âge de la retraite.

Étant donné que les prestations sociales représentent près de 37 % des dépenses courantes totales, ces mesures pourraient contribuer à réduire durablement les pressions sur les finances publiques.

Côté recettes, l’introduction d’une « Alternative Minimum Tax » ciblant certains secteurs tels que l’hôtellerie, l’assurance ou encore les courses hippiques pourrait freiner l’activité dans ces branches stratégiques. Par ailleurs, la mise en place d’une nouvelle taxe sur les transferts de terrains, combinée à l’augmentation des droits d’enregistrement pour les non-citoyens, pourrait peser sur le marché immobilier, qui constitue un secteur porteur et un vecteur important d’investissements directs étrangers.

La suppression des dispositifs incitatifs liés aux Smart Cities pourrait également affecter la dynamique du secteur immobilier.

Dans l’ensemble, bien que l’impact à court terme sur la croissance puisse être modéré, du fait du ralentissement des investissements publics et de la pression sur certains secteurs, ce Budget pose les bases d’une stabilité macroéconomique accrue. Si les marges budgétaires dégagées sont réorientées vers des investissements productifs et bien ciblés, cela pourrait favoriser une croissance plus résiliente et inclusive à moyen terme. »

…sur les facteurs susceptibles de freiner la croissance

« Un conflit Iran-Israël en 2025 serait une onde de choc pour l’économie mondiale – et Maurice en subirait les contrecoups malgré sa résilience. Imaginez le baril de pétrole franchissant le seuil des 150 dollars : une hypothèse hélas crédible si les missiles volent dans le Golfe.

Cette flambée des prix alimenterait l’inflation mondiale, étranglant la croissance des pays dépendants du pétrole comme l’Europe ou l’Inde. Pour Maurice, qui importe 60 % de son énergie, ce serait un double coup dur : renchérissement des transports et des biens importés, érosion du pouvoir d’achat, et tourisme en berne – les voyageurs européens renonceraient aux long-courriers en période de crise.

Même les niches économiques comme la finance offshore trembleraient sous un dollar fort, alourdissant la dette libellée en dollars. Pourtant, cette crise ne tomberait pas du ciel. Comme le souligne amèrement le professeur de Harvard, Rory Stewart, ancien diplomate britannique, le Moyen-Orient est victime de « prophéties autoréalisatrices » : les interventions maladroites de l’Occident, nourries de « démocratisation forcée » ou de calculs à courte vue, ont enkysté les conflits plutôt que de les résoudre.

« Nous avons cru remodeler l’Irak ou l’Afghanistan en ignorant les réalités tribales et historiques », regrette-t-il. Résultat ? Un terreau où la violence se perpétue, et où l’idée même d’une solution militaire au conflit israélo-palestinien relève de l’illusion dangereuse.

Et d’ailleurs, le MAGA crowd ne souhaite pas cet enlisement. Chaque frappe « punitive » renforce les extrémismes des deux côtés, tandis que Téhéran et Tel-Aviv instrumentalisent la menace extérieure pour asseoir leur légitimité.

Dans ce contexte, Maurice jouerait sa survie économique sur un fil. Sa diversification (services financiers, TIC) lui éviterait l’effondrement, contenant la croissance autour de 3 %. Mais cette résilience a ses limites : les « dollars du tourisme » s’évaporeraient avec la psychose sécuritaire, et les exportations de textile vers l’Europe patineraient si la récession guette.

Car il ne faut pas oublier que nous avons maintenant sur le territoire mauricien une base américaine, ce qui devrait redéfinir notre position géostratégique et géoéconomique.

L’analyse de Stewart sonne comme un avertissement : sans désescalade pragmatique incluant même les « parias » (Iran, Hamas), une guerre ouverte deviendrait « un cauchemar absolu ». Il y a semble-t-il un élan de désescalade… mais pour combien de temps ?

Pour une île dépendante des flux globaux, ce scénario n’est pas qu’un risque lointain – c’est une épée de Damoclès. La vulnérabilité mauricienne révèle l’absurdité d’une économie globalisée minée par des conflits que la diplomatie refuse de traiter à la racine.

Maurice croit en sa diversification comme bouclier, mais face à un choc pétrolier de grande ampleur, ses 3 % de croissance ressembleraient à un chiffre en sursis – non par manque d’efforts locaux, mais parce que le monde aura échoué à désamorcer la poudrière dont il dépend tant.

Et n’oublions pas qu’avec la volatilité du dollar, ce sera l’inflation qui suivra. »

…sur les solutions pour doper la croissance

« Pour dépasser une croissance structurelle de 3 %, Maurice doit accélérer sa transformation économique via des réformes ciblées.

Dans le tourisme, une montée en gamme vers l’écotourisme et le tourisme médical, couplée à une simplification des visas pour les marchés africains et indiens, renforcerait sa compétitivité.
Le secteur financier devrait saisir les opportunités de la fintech et de la finance verte (fonds climat, obligations durables), en modernisant sa régulation.

La transition énergétique est également cruciale. Le gouvernement a prévu, dans le Budget 2024/25, d’allouer environ Rs 30 milliards à des projets dans les énergies renouvelables, notamment le solaire et la biomasse.

L’introduction du programme d’investissement « Waste-to-Wealth » complète ces efforts en favorisant une économie circulaire, où les déchets sont transformés en ressources utiles. Ce programme encouragera, entre autres, la création de compost, la production d’énergie à partir de déchets, la transformation de déchets en objets d’art et la réutilisation de matériaux, contribuant ainsi à la réduction de notre empreinte carbone et à l’amélioration de l’efficacité des ressources.

Subventionner l’efficacité énergétique et élargir l’adoption des technologies propres permettraient en parallèle de réduire la vulnérabilité du pays aux chocs pétroliers, tout en renforçant la résilience de l’économie mauricienne.

Parallèlement, des investissements dans les infrastructures physiques et numériques (hub portuaire à Port-Louis, modernisation aéroportuaire, data centers, formation en intelligence artificielle) positionneraient Maurice comme une véritable plaque tournante régionale.

En effet, la Mauritius Ports Authority prévoit d’investir environ Rs 5,4 milliards dans l’extension de la jetée de croisière, la construction d’une jetée pour les barges de soutage, entre autres projets, afin de renforcer la connectivité régionale et la compétitivité logistique.

La diversification des partenariats via la ZLECAf et des accords commerciaux avec l’Asie élargirait l’accès aux marchés, tandis qu’une réforme éducative alignée sur les besoins futurs (logistique, numérique) et l’attraction de ressources humaines par des dispositifs tels que les visas « digital nomad » accroîtraient le capital humain.

Un autre levier de croissance à fort potentiel réside dans l’économie bleue. Maurice dispose d’une vaste zone économique exclusive encore largement sous-exploitée.

Pour en tirer pleinement parti, il faudra mettre en place des politiques incitatives, développer l’économie marine, et attirer les investissements vers des secteurs à forte valeur ajoutée.

L’économie bleue ne devrait pas se limiter aux activités de pêche traditionnelles. Des segments innovants comme l’extraction d’huile de poisson riche en oméga-3, la biotechnologie marine, ou encore l’aquaculture durable offrent d’importantes perspectives de croissance.

Par ailleurs, la reprise de souveraineté sur l’archipel des Chagos renforcerait considérablement les ambitions maritimes du pays en élargissant l’accès à des ressources marines stratégiques.

Enfin, l’innovation sectorielle (aquaculture, biotechnologies, recyclage) permettrait d’exploiter ces avantages comparatifs. Le développement d’une industrie biopharmaceutique marine, s’appuyant sur la biodiversité locale pour produire des produits pharmaceutiques, nutraceutiques et cosméceutiques, contribuerait à positionner Maurice comme un hub régional en matière de biotechnologie. »

 

  • Nou Lacaz

 

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