Interview

Les forces et faiblesses de la loi anti-corruption - Ajay Daby, sur la POCA : «L’idée n’est pas d’absoudre le politicien, mais de viser la maldonne»

les forces et faiblesses de la loi anti-corruption - Ajay Daby, sur la POCA : «L’idée n’est pas d’absoudre le politicien, mais de viser la maldonne»

Qu’est-ce que le procès de Pravind Jugnauth devant le Privy Council a révélé sur les manquements de la Prevention of Corruption Act ? L’ancien Speaker de l’Assemblée nationale, Me Ajay Daby, estime que l’entité responsable d’enquêter sur les délits de corruption devrait plutôt être supervisée par un Parliamentary Commissioner for Administration qui remplacerait le comité parlementaire de l’Icac.

Les plaidoiries de Clare Montgomery et de David Perry ont-elles révélé des failles dans la PoCA ?
Premièrement, je crois que ce procès est le résultat d’une grande confusion. Il y a un manque de maîtrise des implications de cette loi par ceux qui gèrent les affaires de l’État. Si un ministre est de bonne foi, mais se retrouve en situation délicate, c’est essentiellement dû à deux choses : un mauvais conseil ou une méconnaissance des implications de la loi. La première leçon est pour les hommes publics et aspirants candidats. Qu’ils soient bien avisés sur l’exercice du pouvoir public. Il y a un engouement grandissant du public pour plus de contrôle sur l’exercice du pouvoir des élus. La classe politique en fait les frais. Il nous faut une remise en question et un retour aux grands principes. 

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Qu’en est-il de ce qui a été dit de l’article 13 de la PoCA qui traite du conflit d’intérêts ?
L’article 13 est l’un des textes de loi les plus stupides qu’il m’ait été donné de voir ! D’un côté, il y a la volonté d’exclure toute situation de tricherie de la part d’un politicien, ce qui devrait être l’essentiel de cette section. Mais quand je vois toutes les implications de cet article, je me demande si cela ne gène pas le pouvoir de l’exécutif dans son ensemble et le devoir d’un ministre en particulier. À mon avis, pour faire l’objet de censure, il faut qu’il y ait une volonté de tricher.
C’est tout le débat qu’il y a autour du principe de mens rea…

Il faut effectivement qu’il y ait une volonté d’en profiter. C’est le paiement de l’indu, la faveur expresse… On devrait par contre mettre une limite en ce qui concerne une participation routinière, une simple signature. C’est ce qu’il fallait inclure sans cette loi de manière claire. La personne accusée devrait avoir la possibilité de prouver qu’il n’a pas participé à une décision pour offrir un profit indu à un proche.

En gros, le conflit d’intérêts est un délit purement technique selon la PoCA ?
C’est l’article 13 qui fait que les avocats des deux camps voient la même chose de différents angles. L’un voit le chiffre 6, l’autre un 9.

Quelles sont les possibilités pour interpréter ce délit ?
Premièrement, ce serait une mauvaise chose si les cours de justice étaient invitées à faire référence à des rapports de Select Committees. Jusqu’à maintenant, dans notre jurisprudence, pour comprendre une phrase ou une loi qui n’est pas claire, on peut se référer au procès verbal de l’Assemblée nationale pour comprendre l’intention du législateur. Mais depuis quelque temps, les débats à l’Assemblée nationale, vous savez… Par contre, le rapport d’un Select Committee, ce n’est jamais rien que les minutes of proceedings, ce n’est pas la transcription des débats qu’il a pu y avoir au sein du comité. 

Au final, le jugement du Privy Council et la jurisprudence qui en découlera aura-t-il un gros impact sur la manière dont la profession légale abordera le délit de conflit d’intérêt ?
En tant qu’avocat, je vais m’amuser à défendre mes clients après ce jugement, peu importe son orientation. Parce que cela me prouve une chose : il a fallu aller jusqu’en Angleterre pour prouver que c’est une loi scélérate. Si elle est scélérate basée sur l’article 13, je peux prouver qu’elle l’est sur bien d’autres sections encore !

Il a fallu aller jusqu’en Angleterre pour prouver que la PoCA est une loi scélérate"

Il faudrait donc mettre la PoCA à la poubelle ?
Il faut un département aux Line Barracks, comme on a créé l’Adsu pour mener les enquêtes. 

La police a-t-elle l’expertise nécessaire pour enquêter sur les délits de corruption ?
Mais ce sont déjà des policiers qui enquêtent pour le compte de l’Icac.

Et pour les domaines plus techniques ?
Il va sans dire que je parle d’une unité spécialisée, formée pour cela. Jusqu’à ce qu’on décide un jour de nommer le responsable, pas par l’Hôtel du gouvernement, mais par le château du Réduit qui ne serait pas occupé par un vase à fleur. C’est un autre débat ! C’est mieux d’avoir une unité spécialisée dans la police. Avec le même mode de nomination que la police. 

Il y a quand même la perception d’un manque d’indépendance de la police vis-à-vis du Premier ministre. Si le public n’a pas confiance, à quoi bon ?
Je crois que celui à qui cette nouvelle incarnation de l’Icac devrait être redevable, c’est un Parliamentary Commissioner. 

Quelle serait sa responsabilité au juste ?
Le Parliamentary Commissioner for Administration, ou PCA, s’occuperait des excès de l’exécutif, des violations des lois de l’administration publique. Le comité parlementaire de l’Icac ne sert à rien.

Il superviserait les activités des parlementaires ?
De la classe politique. Il faut réfléchir à ce PCA. C’est loin du Commissaire de police et du DPP. Le PCA serait le supervisory body, peu importe que les enquêteurs se trouvent à Réduit ou ailleurs. Ensuite, il pourrait remettre les dossiers au Commissaire de police ou le DPP.

Pour en revenir au jugement sur MedPoint, si le Privy Council estime que le bureau du DPP a raison, cela veut-il dire que les décideurs politiques devront drastiquement changer leur manière de fonctionner ?
Il faudra amender la loi pour viser directement ce qu’on pourrait qualifier de gate-crashing, à savoir l’insistance d’un décideur politique à être présent pour influencer une décision qui profiterait à un proche. La loi doit décider du burden of proof : si j’y étais et que j’ai signé, le burden of proof doit me revenir, je dois dire dans quelles circonstances j’ai signé.

Et si c’est la défense qui l’emporte ?
Il faudra quand même amender. Pile ou face, il faut amender cette loi. Parce que ce n’est pas la dernière fois que cette situation se présentera. L’idée n’est certes pas d’absoudre le politicien, mais de viser plutôt la maldonne. Il faut que cela se dise. L’article 13 ne le dit pas. 

L’Icac met également de plus en plus de ressources dans les enquêtes sur le blanchiment d’argent. Certains ont avancé que ce n’était pas sa vocation. Êtes-vous d’accord ?
Les lois sur la corruption sont assez récentes. Dans les pays où ce genre d’institutions existent, y compris Maurice, elles se sont comportées dans un premier temps comme une Gestapo. Elles croyaient que leur mission était de lyncher les hommes politiques pour la galerie et avoir les applaudissements du public. Il y a eu un changement de comportement et je suis content qu’il y ait une prise de conscience que la loi anticorruption, c’est aussi le profit de la corruption, les biens mal acquis. Il était grand temps qu’ils réalisent l’ampleur de leur travail. 

C’est donc une bonne chose ?
Je vais vous dire une chose : la PoCA est un copier coller de la loi de Hong Kong. Vous savez dans quel contexte elle a été instaurée ? C’est dans celui de la cession par les Britanniques à la Chine. Il s’agissait d’un lobby du secteur privé qui voulait se protéger de l’influence des politiques chinoises. Et c’est cette loi qu’on a reproduit. 

 

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