Jeudi, la nouvelle est tombée comme un secret déjà éventé : Kishore Beegoo, président du Conseil d’administration d’Air Mauritius, a remis sa démission. Une issue qui n’a surpris personne dans les cercles politiques et économiques de Port-Louis. Depuis plusieurs semaines, les tensions entre le Deputy Prime Minister Paul Bérenger et le président de la compagnie nationale étaient devenues explosives.
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Ce départ ne relève ni d’un accident de parcours ni d’une divergence technique : il consacre la fin d’un bras de fer entre deux hommes de caractère, chacun revendiquant son autorité et sa vision de la gouvernance publique.
Le climat entre Paul Bérenger et Kishore Beegoo était devenu explosif. Les deux hommes, au tempérament affirmé et peu enclins aux compromis, ont multiplié les passes d’armes, parfois en public.
Tout a basculé la semaine dernière, après que le Premier ministre par intérim, Paul Bérenger, a publiquement regretté la suspension du vol Air Mauritius vers Madagascar, y voyant un « manque de coordination » et un « préjudice diplomatique et humanitaire » pour les Mauriciens bloqués sur l’île voisine.
La réplique de Kishore Beegoo fut cinglante : dans un communiqué du 16 octobre, il rappela que les décisions d’annulation ou d’ajout de vols relèvent du Conseil d’administration et non du gouvernement, insinuant ainsi que le DPM avait outrepassé ses prérogatives. Ce texte, jugé offensant à l’Hôtel du Gouvernement, marqua un point de non-retour.
La menace de rupture politique
Lors de la réunion du Conseil des ministres du 17 octobre, Paul Bérenger aurait fait part de sa profonde irritation, annonçant son intention d’aborder à nouveau « le cas Beegoo » dès le retour du Premier ministre Navin Ramgoolam, prévu le lundi 20 octobre. Un Senior Minister travailliste aurait alors lancé : « S’il faut le révoquer, qu’on le révoque, car plus d’une fois Navin Ramgoolam lui a demandé de ne pas n'en faire qu'à sa tête et de respecter les membres du gouvernement. »
Effectivement, dès la descente d’avion du Premier ministre, Paul Bérenger aurait remis le sujet sur la table, en insistant sur « l’urgence d’un signal politique fort ». Navin Ramgoolam, soucieux de préserver la stabilité de la coalition, lui aurait demandé de patienter deux semaines. Mais la suite allait précipiter les événements.
La déclaration de trop
Le 22 octobre, dans une interview accordée à Business Magazine, Kishore Beegoo franchit une nouvelle ligne rouge. Il y évoque des projections financières selon lesquelles Air Mauritius pourrait subir des pertes de Rs 6,1 milliards dans le cadre d’un éventuel accord avec Qatar Airways. Problème : ce partenariat avec le Qatar s’inscrit dans un vaste plan d’ouverture du ciel mauricien et d’investissements dans le gaz naturel liquéfié (LNG), un projet piloté par Paul Bérenger. Aux yeux du DPM, cette déclaration publique revenait à saboter une politique gouvernementale stratégique.
Sur ce, Paul Bérenger ne veut plus de compromis ou d’attente. Il a fait savoir à Navin : Enough is enough. Il a clairement fait comprendre qu’il préférait « quitter le gouvernement plutôt que de tolérer plus longtemps l’attitude de Beegoo. »
Le Premier ministre, refusant d’humilier son ami, aurait alors invité Kishore Beegoo à soumettre sa démission, ce qu’il a fait le jeudi 23 octobre.
Une langue trop libre
Ce n’est pas la première fois que Kishore Beegoo s’exprime sans fard. Le 9 août dernier, dans une interview au Défi Plus, il avait déjà envoyé un message à peine voilé à Paul Bérenger qui avait tenu des propos critiques à l’égard d’Air Mauritius : « Le management d’Air Mauritius ne se fait pas selon les caprices ou les humeurs passagères des politiciens. Nous ne gérons pas la compagnie nationale sur la base de déclarations médiatiques ou de calculs politiques, mais dans l’intérêt supérieur du pays. » Cette phrase, prononcée à chaud, est restée en travers de la gorge du DPM.
Le dossier Emirates qui fâche
Selon nos recoupements, Kishore Beegoo est dans le collimateur de Paul Bérenger depuis juin 2025, date du renouvellement du partenariat stratégique entre Air Mauritius et Emirates. Cet accord prévoit un partage de codes réciproque sur plusieurs liaisons au-delà des hubs respectifs des deux compagnies, ainsi qu’une coopération renforcée en matière de programmes de fidélité et de fret aérien.
« Le renouvellement de notre partenariat de longue date avec Emirates représente une étape importante pour Air Mauritius. Emirates est l’un de nos partenaires stratégiques majeurs, et cet accord renforcé illustre le lien étroit qui unit nos deux compagnies », avait alors déclaré Kishore Beegoo.Mais ce rapprochement n’a pas fait l’unanimité au sein du gouvernement. Plusieurs membres de l’Exécutif, dont Paul Bérenger, s’étaient interrogés sur l’opportunité d’un partenariat jugé trop favorable à Emirates, au moment même où l’État cherchait à ouvrir le ciel mauricien à Qatar Airways, dans une logique de coopération élargie avec Doha. Pour certains, cette initiative de Kishore Beegoo aurait été perçue comme un contre-pied diplomatique et stratégique vis-à-vis des orientations portées par le Deputy Prime Minister.
Un historique de frictions anciennes
Mais cette animosité ne date pas d’hier. Elle remonte à 2001, lorsque Paul Bérenger était déjà Deputy Prime Minister et Kishore Beegoo, directeur du département Cargo d’Air Mauritius. À l’époque, ce dernier s’était attiré les foudres de plusieurs ministres en refusant d’accorder des « special packages » pour des importations religieuses. Des organisations socioculturelles se sont plaintes auprès de Paul Bérenger qui n’a pas pu faire grand-chose face à la résistance de Kishore Beegoo.
Quelques mois plus tard, il fut mis à la porte à la suite d’incidents avec les autorités malgaches — une éviction que beaucoup avaient alors interprétée comme une sanction.
Deux décennies plus tard, le scénario semble rejoué, presque à l’identique.
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