Baisse du prix des carburants, Rs 2 500 par tonne de canne aux petits planteurs, revoir la politique de réclamation d’impôts par la MRA, l’extension générale du Metro Express, construction des crèches à travers l’île… Les annonces populistes ont fusé de toutes parts lors des meetings du 1er- Mai. Des professionnels tirent la sonnette d’alarme concernant leurs conséquences sur l’économie.
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Amit Achameesing : « Les Mauriciens veulent des solutions »
L’économiste, Amit Achameesing, ne passe pas par quatre chemins. Les annonces populistes ne séduisent plus une grande partie de l'électorat qui est en quête de solutions. « L'inégalité économique est grande et une grosse majorité de Mauriciens sont endettés. La dette publique est extrêmement élevée. Le taux du chômage tourne autour de 7% depuis les deux dernières décennies et les jeunes luttent pour trouver du travail. Ne parlons pas de l’accès à l'eau potable et encore moins des inondations. Donc, stop aux annonces populistes ! Les Mauriciens veulent des solutions », fait ressortir le fondateur et responsable du programme ‘New Economic Thinking Academy’ aux Seychelles.
Selon lui avec la dette publique qui oscille autour des Rs 350 milliards, c’est clair que la marge de manœuvre de chaque parti reste limité. Tout de même, il lance une mise en garde contre nos leaders politiques. « S’ils concrétisent ces mesures après les élections, cela coûtera encore des milliards de roupies qui engloutiront Maurice dans un marasme économique sans précédent », prévient-il.
Pour Amit Achameesing, les annonces populistes du 1er-Mai sont des mesures palliatives qui ne mèneront pas Maurice à un niveau de pays à hauts revenus. « Notre modèle économique ne marche plus et il faut une rupture économique profonde pour ramener notre pays sur le chemin d'une croissance soutenue. » À son avis, la population préfère que les leaders des partis politiques travaillent sur un plan économique réaliste qui s'attaque plutôt aux vrais problèmes du pays. « Je reste convaincu que le parti qui présentera le meilleur programme économique remportera les prochaines élections. »
Faizal Jeeroburkhan : « Gare à une situation explosive ! »
Faizal Jeeroburkhan de ‘Think Mauritius’ considère les annonces populistes comme un danger potentiel sur le plan économique et social. «Elles démontrent la naïveté et l’irresponsabilité de nos leaders politiques car ils savent pertinemment que plusieurs de nos indicateurs économiques sont déjà dans le rouge et que la paix sociale est menacée. Dans un tel contexte, il serait criminel de leur part de venir avec des telles propositions. Une baisse dans les revenus de l’État et une augmentation dans les dépenses publiques ne sont pas soutenables et ne peuvent que déboucher sur une situation explosive », prévient-il.
Pour notre interlocuteur, certaines de ces annonces telles que réduire l’écart entre les riches et les pauvres et maintenir les subsides sur le gaz, la farine et le riz pourraient être possibles uniquement si on
- réduit les dépenses et les gaspillages dans les domaines publics
- augmente la productivité dans les institutions publiques et privées
- réduit la fraude, la corruption et le népotisme au plus haut niveau de l’État
- fait grossir le gâteau national qu’on partagerait plus équitablement.
Par contre, les autres annonces seront insoutenables dans un contexte économique caractérisé par :
- des dettes publiques de Rs 300 milliards vers la fin de 2019
- un déficit de la balance commerciale de Rs 129 milliards représentant 15% du PIB
- une stagnation au niveau du secteur sucre, du tourisme, de l'offshore
- un contexte international défavorable avec le Brexit en Angleterre et les Gilets Jaunes en France
Faizal Jeeroburkhan se demande où trouver de l’argent pour payer au minimum Rs 2 500 par tonne aux petits planteurs de canne alors que la profitabilité dans ce secteur est à son niveau le plus bas. « Pourquoi baisser le prix de l’essence et du diesel quand nos routes sont très congestionnées et qu’on produit déjà trop de CO2 responsable du changement climatique ? Comment réduire notre déficit budgétaire si on réduit les revenus de la MRA ? »
Concernant les menaces contre le secteur privé, Faizal Jeeroburkhan pense que ce n’est que pour épater la galerie car ces mêmes politiciens dépendent sur ce secteur pour financer leurs campagnes électorales. Au sujet de l’extension du Metro Express à travers l’île, Faizal Jeeroburkhan estime que ce projet est réalisable uniquement à très long terme, le temps qu’on s’acquitte de la dette déjà contractée et qu’on ramène notre dette publique sous la barre de 60% du PIB. « C’est triste qu’on continue à prendre les Mauriciens pour des imbéciles », conclut-il.
Sanjay Matadeen : « Ces mesures offrent des avantages temporaires »
Economiste et chargé de cours au Middlesex University Mauritius Campus, Sanjay Matadeen soutient que quelles que soient les mesures choisies, une analyse des coûts-avantages et une étude de faisabilité sont primordiales. Il explique qu’il faut privilégier des projets qui rapportent le plus d’avantages à la population plutôt que le coût. « Les mesures ne doivent pas impacter négativement sur la dette nationale. C’est pour cela qu’il est impératif d’examiner comment ces mesures seront financées. Il faudra peut-être augmenter les impôts pour financer certaines de ces mesures. »
Selon l’économiste, la plupart des mesures annoncées sont réalisables avec un changement de politique budgétaire. Cependant, il se demande si elles sont souhaitables et économiquement viables. Sur l’annonce concernant les impôts, Sanjay Matadeen préfère que ceux brassant un chiffre d'affaires de Rs 10 millions par an, ne soient pas inquiétés par la MRA au lieu d’un seuil entre Rs 75 millions et Rs 100 millions. «L'écart ne peut être réduit qu'en taxant davantage ceux qui sont riches et en redistribuant ces revenus aux pauvres par des mesures comme la ‘Negative Income Tax’, l’allocation du chômage, la santé et l’éducation gratuite », ajoute-t-il.
Au sujet de l’extension du Metro Express dans les quatre coins du pays, Sanjay Matadeen se demande s’il y a assez de passagers dans toutes les parties de Maurice pour concrétiser ce projet. « Je ne vois que deux trajets logiques. Un, de l’aéroport à Grand-Baie et un second, de Flacq/Belle-Mare à Flic-en-Flac en passant par Réduit/Ebène. Ce serait toutefois un projet à très long terme avec des financements énormes et la modification de la réglementation routière, notamment l’introduction de péages sur nos routes principales afin d’encourager la population à prendre le métro au lieu de leur voiture. »
Sanjay Matadeen estime qu’un grand nombre des annonces sont à très court terme et offrent des avantages temporaires à une partie de la population ciblée. « Cela ne se traduira pas par une croissance économique plus forte pour le pays mais, au contraire, par une détérioration du service public du pays. »
Manisha Dookhony : « Il ne faut pas se mettre le secteur privé à dos »
Membre de ‘Mauritius Renewal Society’ et économiste, Manisha Dookhony souligne que la première chose à laquelle il faut faire attention, c’est notre dette publique qui passera en 2020 à 67,8 % du PIB alors qu’on s’était engagé à le baisser à 60%. « Il faut être vigilants sur tous les gros développements infrastructurels du pays. D’ailleurs, la récente visite du FMI, à Maurice, pointe du doigt notre dette publique qui devient excessive. C’est une bonne chose d’inclure Ebène et Réduit dans les développements du Metro Express car Ebène est la nouvelle ville qui n’est pas inclue dans le tracé actuel et qui a un gros problème de stationnement. Par contre, il faut pouvoir payer cela de nos propres fonds sans passer à nouveau par une augmentation des emprunts extérieurs », dit-elle.
Concernant la menace contre le secteur privé, Manisha Dookhony constate que durant une année d’élection, des politiciens cherchent toujours des boucs-émissaires et trop souvent ils tombent sur le secteur privé. « Ensuite, ces mêmes politiciens iront vers ce même secteur privé pour chercher des financements pour les élections. Il faut qu’ils prennent conscience que le secteur privé est un acteur très important dans la vie économique du pays. Ce n’est donc pas responsable de se mettre le secteur privé à dos », souligne-t-elle.
Concernant l’amendement des lois et l’annonce des réclamations par la MRA ne dépassant pas une année, Manisha Dookhony considère que ce n’est pas une bonne chose parce que les irrégularités surviennent souvent après plusieurs années. Quant aux subsides, elle souligne que faute de nouvelles formules, tous les gouvernements vont les maintenir. « Les prix du pétrole et du diesel sont fixés par un mécanisme déjà préétabli avec un buffer. Ce n’est pas facile de faire des promesses de réduction de prix car pour cela, il n’y aura qu’à diminuer le buffer, quitte à faire remonter le prix dans le futur », ajoute-t-elle. Sur l’annonce de la publication des salaires, Manisha Dookhony estime que ce n’est pas un problème car les grosses entreprises rendent souvent leurs comptes publics. « Je pense que cette mesure devrait s’étendre aux corps paraétatiques, à la Fonction publique et aux conseillers. Pour plus de transparence, il faut aussi inclure les fringe benefits de ces personnes mais cela ne réduira pas l’écart riche/pauvre. Le salaire, c’est le revenu, la richesse, c’est beaucoup plus que le revenu », dit-elle.
L’économiste ne croit pas que le paiement de Rs 2 500 par tonne va vraiment résoudre les problèmes des petits planteurs. « Par contre, il faut repenser ce que nous voulons faire avec nos terres. Y a-t-il des cultures qui seraient plus rentables que de la canne ? Faut-il faire pousser des bâtiments et des maisons pour trouver la rentabilité ? En 2018, le coût de production du sucre était à Rs 17 000 la tonne alors que son prix de vente tourne autour de Rs 8 000-11 000 la tonne. En général, une tonne de canne donne 72 kg de sucre. L’an dernier, les petits planteurs ont reçu autour de Rs 1 450 par tonne de canne (ce qui inclut Rs 600 pour la bagasse et la mélasse). Les petits planteurs militent pour plus d’équité sur les produits dérivés dont la production d’alcool et l’électricité et leurs vrais problèmes, c’est que le manque de main-d’œuvre dans ce secteur est un vrai frein, fait-elle ressortir. Une grande quantité de ceux qui travaillent chez les petits planteurs ont plus de 60 ans. Résultat : il y a presque 20% des terres qui sont maintenant abandonnées et le déclin continue. Il y a eu aussi des problèmes au niveau de l’assurance. »
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