
La consommation de cannabis varie selon les usages et les contextes. Entre bienfaits médicaux, risques d’abus et encadrement légal, le débat s’intensifie.
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Face à l’ampleur alarmante de la consommation de drogues synthétiques à Maurice depuis 2013, une question émerge : le cannabis pourrait-il constituer une solution alternative ? Imran Dhanoo, responsable du centre Dr Idrice Goomany, tempère immédiatement cette idée : « Le cannabis est-il une solution ? C’est une question sur laquelle les autorités et la société mauricienne doivent se pencher afin d’éviter une catastrophe générationnelle. »
Le cannabis est souvent perçu, à tort, comme une substance inoffensive, explique, pour sa part, le psychologue et addictologue Kunal Naïk. Il reconnaît néanmoins que, comparé aux drogues synthétiques, le cannabis présente moins de dangers, même si les études sur ce sujet demeurent peu nombreuses. Les molécules des drogues synthétiques connaissent une évolution rapide, et certains de ces produits peuvent s’avérer mortels.
À Maurice, la consommation personnelle de cannabis était légale jusqu’en 1924 avant d’être complètement interdite, rappelle Imran Dhanoo. Ce n’est que 98 ans après, soit en novembre 2022, que le cannabis médical a été légalisé à Maurice par le biais d’amendements au Dangerous Drugs Act. Sa prescription est strictement réglementée et réservée à des pathologies précises, après échec des traitements conventionnels, précise Imran Dhanoo. Son usage peut avoir des effets bénéfiques sur la santé physique et mentale lorsqu’il est prescrit par un professionnel de santé pour une pathologie précise.
Beaucoup pensent que le cannabis médical pourrait être une solution à la drogue synthétique, mais ce n’est pas le cas»
Ce que confirme le Dr Siddick Maudarbocus, addictologue et directeur de la clinique Les Mariannes. « Le cannabis thérapeutique a des bienfaits dans des cas spécifiques. Certaines personnes atteintes de la maladie de Parkinson ont constaté une amélioration de leur état de santé grâce à son utilisation. De même, des patients souffrant d’un cancer avancé ont trouvé un soulagement en recourant à cette substance. Dans ces cas spécifiques, le cannabis thérapeutique doit être considéré comme un médicament et administré sous la supervision d’un médecin. » Il insiste sur le fait que son usage repose sur une approche scientifique et rationnelle et qu’il devrait être plus accessible aux patients qui en ont réellement besoin.
« Beaucoup pensent que le cannabis médical pourrait être une solution à la drogue synthétique, mais ce n’est pas le cas », poursuit Imran Dhanoo. Il insiste sur la nécessité d’une analyse scientifique et épidémiologique rigoureuse « plutôt que de se fier à des anecdotes ».
Les notions de décriminalisation et de légalisation sont aujourd’hui au cœur des débats. « Ces termes ne signifient pas la même chose », souligne Imran Dhanoo. À Maurice, comme dans de nombreux pays, le régime en place repose sur une approche prohibitive visant à protéger les individus et leur environnement des méfaits des drogues. Dans ce cadre, la possession de substances illicites peut mener à une arrestation et à un casier judiciaire.
Si l’expression d’opinions sur les réseaux sociaux est un début, une analyse plus rigoureuse est nécessaire pour garantir la santé et le bien-être de la population. « Plutôt que de diaboliser les toxicomanes, il faut s’attaquer aux causes profondes : conditions de vie précaires, détresse sociale et misère humaine », fait-il comprendre.
Le cannabis reste une drogue, c’est-à-dire une substance qui agit sur le cerveau, influence le comportement et modifie la perception»
Un modèle de déjudiciarisation et de décriminalisation pourrait apporter des avantages notables : meilleur accès aux soins et aux services sociaux, réduction de la stigmatisation, diminution des conséquences judiciaires et moins de contacts avec les forces de l’ordre. D’ailleurs, l’introduction, en 2006, du programme de méthadone et d’échange de seringues a permis de réduire la propagation du VIH chez les usagers de drogues injectables.
En avril 2024, Maurice a introduit le Drug User Administrative Panel (DUAP), évitant ainsi l’emprisonnement des consommateurs de drogues et leur exclusion du système judiciaire. « Le DUAP constitue une forme de dépénalisation douce », note Imran Dhanoo. Toutefois, il insiste sur la nécessité pour les bénéficiaires de respecter les conditions de soin et de suivre le traitement proposé. Une évaluation de l’efficacité de ce programme sera nécessaire.
Pour lui, l’introduction du cannabis thérapeutique constitue un premier pas, mais une concertation entre les autorités, la société civile et les professionnels de la santé est indispensable. À travers le monde, des pays adoptent des modèles différents. « Nous devons étudier les bonnes pratiques d’autres pays ayant adopté des modèles différents. »
Un débat national sur la politique des drogues, en particulier sur le cannabis, s’avère indispensable, comme le recommandait la commission d’enquête Lam Shang Leen. Pour lui, une société sans drogue est une utopie. « Notre approche doit reposer sur la santé publique, la science et les bonnes pratiques, et non sur une posture moralisante », insiste-t-il.
D’autant que « le cannabis reste une drogue, c’est-à-dire une substance qui agit sur le cerveau, influence le comportement et modifie la perception », souligne l’addictologue Kunal Naïk. Il précise que dans tous les pays ayant légalisé cette substance, des campagnes d’information ont été menées pour sensibiliser la population aux effets à court et à long terme.
Craintes d’une banalisation chez les jeunes
La légalisation du cannabis entraînerait-elle une banalisation chez les jeunes ? Kunal Naïk est nuancé. Au Canada, la consommation a diminué parmi les jeunes après la légalisation, notamment grâce aux campagnes d’éducation. « Ce qui est interdit attire davantage les jeunes. Mais avec une régulation stricte et une information adéquate, le marché noir diminue et les jeunes savent qu’ils pourront consommer légalement et de manière responsable à l’âge requis », explique-t-il.
L’usage récréatif
Bien que le cannabis demeure une substance psychoactive (voir plus loin), la majorité des consommateurs à Maurice et ailleurs en font un usage occasionnel et festif, comparable à la consommation d’alcool. D’ailleurs, l’idée selon laquelle la consommation de cannabis serait anodine gagne du terrain, notamment chez les jeunes. Pour Imran Dhanoo, il est essentiel d’intensifier la prévention et la sensibilisation, en particulier auprès des jeunes vulnérables. D’autant que, selon Kunal Naïk, une surconsommation chez les jeunes peut avoir des effets néfastes sur leur développement cérébral, comme pour toute autre substance psychoactive.
La consommation de substances psychoactives, qu’il s’agisse d’alcool, de cannabis ou d’autres drogues, s’inscrit dans un continuum évolutif, explique Imran Dhanoo. Cette consommation « peut évoluer ou non en fonction de la personnalité et du cadre de vie du consommateur ». Il distingue trois types de consommation : occasionnelle, régulière et problématique.
Une consommation occasionnelle non médicalisée (une fois par semaine ou moins) ne présente pas forcément d’effets néfastes sur la santé ou la vie sociale, sauf en cas d’interpellation par la police. Cependant, une consommation problématique survient lorsque l’usage quotidien impacte négativement la santé mentale et interfère avec les responsabilités scolaires, professionnelles, familiales et sociales. « Dans ce cas, il s’agit d’un trouble lié à l’usage du cannabis, caractérisé par des envies irrépressibles et une incapacité à réduire ou contrôler sa consommation », précise Imran Dhanoo. Ce trouble peut être classé comme léger, modéré ou grave.
Le cannabis thérapeutique : un outil de réduction des risques ?
Le cannabis thérapeutique peut jouer un rôle dans la réduction des risques, en particulier grâce au CBD qui diminue l’anxiété et présente moins d’effets secondaires, estime le psychologue et addictologue Kunal Naïk. Il pourrait même servir d’alternative aux drogues synthétiques. Dans les pays où son usage médical est répandu, la consommation d’opiacés a diminué, ce qui est un atout majeur pour les politiques de santé publique. Cependant, l’accès au cannabis thérapeutique reste très limité pour de nombreuses personnes, déplore l’addictologue.

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