Le temps des chevaux

À Plaine-des-Papayes, au Sofia Ranch, Suhayb Nayeck vit au rythme des chevaux. Entre travail quotidien, transmission à sa fille et ateliers, il construit un espace où l’homme et l’animal se rencontrent vraiment.

À Plaine-des-Papayes, dans le nord de Maurice, un homme vit au rythme du souffle des chevaux. Suhayb Nayeck, 40 ans, n’a pas seulement construit une écurie, le Sofia Ranch : il a mis sur pied un espace qu’il protège et façonne chaque jour. Une histoire simple, mais concrète, où l’amour, la patience et le travail quotidien prennent forme. Pour lui, les chevaux ne sont pas seulement des animaux, ce sont des compagnons et parfois, des professeurs silencieux.

« Depuis mon enfance, je suis passionné par les animaux », raconte-t-il avec un sourire qui laisse deviner des années de souvenirs. Dans sa voix, on entend l’enfant qu’il était : celui qui courait derrière les cabris, les moutons, les chiens et les oiseaux. Parmi tous, un seul l’a toujours fasciné : le cheval. « Akoz li enn zanimo formidab », dit-il, les yeux brillants. Parce que l’animal est sensible, puissant, attentif. Parce qu’il comprend sans parler. Parce qu’il vous observe comme si vos pensées étaient visibles.

Cette fascination l’a suivi toute sa vie, jusqu’à devenir l’un des piliers de son quotidien. Mais posséder ses propres chevaux n’a pas été simple. Les rêves de longue date se heurtent aux réalités matérielles et logistiques, et il a fallu attendre 2022 pour qu’ils deviennent réalité. « Par la grâce de Dieu et par l’aide de Jean Mark Halbwachs, que je remercie du fond du coeur », confie-t-il avec une gratitude sincère. Grâce à ce soutien, il acquiert ses deux premiers chevaux. L’émotion est palpable : c’est une victoire tranquille, fruit d’efforts et d’attente.

Le premier cheval s’appelle The Time Is Now – un nom qui rappelle que certains moments ne peuvent plus attendre. Le deuxième, Domino Rular, deviendra rapidement la mascotte du Sofia Ranch. 

« Zot tou bien kontan li », sourit Suhayb. Avec son caractère affectueux, Domino Rular se fait remarquer par son allure et sa sociabilité, et séduit tous ceux qui croisent sa route.

Les débuts ne sont pas toujours faciles. Il y a des soucis de santé, des ajustements d’horaires, des journées entières à nettoyer box et paddocks. Mais ces complications font partie du processus. Ce sont ces heures passées à apprendre à se connaître mutuellement qui cimentent le lien.

En août 2023, un troisième cheval rejoint le trio : Camps Bay. Chacun a aujourd’hui 8 ans. À eux trois, ils forment un trio harmonieux, complice, presque fraternel. L’énergie et la vitalité des chevaux imposent rythme et discipline : pas de romantisme inutile, juste la vie réelle avec ses contraintes et ses responsabilités.

Suhayb n’a pas eu besoin de longtemps pour trouver le nom de son écurie. « Mo lekiri apel Sofia Ranch », dit-il avec une tendresse évidente. Sa fille de 9 ans partage sa passion, grandissant parmi les hennissements, les sabots qui frappent la terre, l’odeur du foin. Elle apprend à gérer ces animaux imposants, à comprendre leurs réactions, à respecter leur force et leurs limites. C’est un apprentissage exigeant, ponctué de petites réussites et de moments de tension, où chacun doit s’adapter aux autres. Un héritage familial qui se construit. 

« Pena enn zour ki mo kapav res san trouv zot », poursuit Suhayb. Chaque journée commence tôt, parfois avant l’aube, et se termine tard. Il nourrit, brosse, soigne, observe et ajuste. Il connaît leurs humeurs, leurs faiblesses, leurs moments de joie. Il sait quand Camps Bay est impatient, quand Domino Rular a besoin d’attention, quand The Time Is Now préfère le silence. « Le cheval est un animal très affectueux et intelligent », répète-t-il, comme un mantra appris sur le terrain, pas dans les livres.

Suhayb ne garde pas sa passion pour lui. « Mo kontan partaz sa avek bann dimounn », dit-il. Les enfants, les adolescents, les adultes : tous découvrent, avec hésitation parfois, le contact, le geste, le soin. Il organise des ateliers, des événements familiaux, comme FS’Imit Fun, pour que chacun comprenne la patience, le respect et le rythme nécessaires.

Ses chevaux participent également à des mariages ou des anniversaires. Ils deviennent alors des invités d’honneur, souvent les favoris des enfants. Ils apportent une touche de magie, de noblesse, de poésie. « Seval, li amenn lazwa », dit-il simplement. Il suffit de voir les visages émerveillés, les mains qui se tendent timidement, les sourires qui s’élargissent.

Suhayb vit au rythme des chevaux. Dans un monde qui va trop vite, il impose un tempo différent : celui de l’observation, de l’apprentissage, de la patience et de la répétition. « Kan mo avek bann seval, mo santi lape », dit-il. Sofia Ranch est aujourd’hui un espace vivant, imparfait, où l’homme et l’animal coexistent dans le quotidien. Pas un sanctuaire idéalisé, mais un lieu de travail, de transmission, d’attention et de liens réels. 

Et c’est précisément cela qui définit Suhayb : un homme qui a construit sa vie autour d’une passion ancienne, en acceptant ses contraintes et ses joies, et qui, dans le regard de trois chevaux de 8 ans, trouve un sens concret et profond à son existence.