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Le rêve américain se grippe pour les étudiants mauriciens

Le traitement des demandes de visas étudiants a ete suspendue jusqu’à nouvel ordre par les États-Unis.

Les États-Unis ont gelé le traitement des nouvelles demandes de visas étudiants. Résultat : des ambitions en stand-by, des bourses menacées, des parcours interrompus. Pour des milliers de jeunes, dont des Mauriciens, c’est la douche froide.

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«Le rêve américain est devenu un parcours du combattant. » D’emblée, Émilie Soogund plante le décor. Cette étudiante mauricienne, comme tant d’autres jeunes de sa génération, se heurte à une réalité bien éloignée des promesses scintillantes véhiculées par les brochures universitaires américaines.

La récente décision des États-Unis de suspendre le traitement des demandes de visas étudiants (voir encadré) ne fait que raviver une situation déjà tendue. Pour Émilie Soogund et Juan Pierre, un autre étudiant mauricien, c’est un système qu’ils vivent comme lourd, incertain et de plus en plus inégalitaire. Et leurs témoignages convergent vers un même constat : ce qui était autrefois symbole d’opportunité et de réussite s’est mué en une épreuve d’endurance qui épuise avant même d’avoir commencé.

« Même avec une lettre d’acceptation en main, on ne peut jamais être sûr de pouvoir entrer aux États-Unis. Il y a tellement de paperasse à remplir, tellement d’étapes, sans aucune garantie à la fin », confie Émilie Soogund avec lucidité. Derrière les brochures brillantes et les promesses d’avenir, la réalité administrative est souvent kafkaïenne.

Constituer un dossier de demande de visa relève presque de l’exploit : justificatifs financiers, preuves d’attaches familiales, lettres de motivation, tests de langue… Le tout accompagné de délais d’attente interminables. « Le plus difficile, c’est d’investir autant – en temps, en argent, en espoir – et de risquer un refus sans remboursement, même après avoir payé les frais d’inscription ou réservé un logement », déplore-t-elle. Un pari risqué, où l’investissement personnel ne garantit en rien l’issue finale.

Juan Pierre y ajoute une couche, remettant en cause un principe que les États-Unis brandissent volontiers : la méritocratie. « On parle d’un pays qui valorise la méritocratie, mais dans les faits, tout repose sur des ressources : les bons conseils, les préparateurs privés, les frais d’inscription, les cours de langues… Ce sont des investissements énormes, que tout le monde ne peut pas faire », dénonce-t-il.
L’étudiant mauricien s’attarde sur le coût économique. « Un Community college me coûte près de Rs 600 000 par an. Alors que des universités prestigieuses en Europe comme la Sorbonne ou Panthéon coûtent à peine Rs 1 million au total, pour tout le cursus. Est-ce que ça vaut vraiment le coup ? » s’interroge-t-il. Ce décalage financier frappe fort et pousse beaucoup de jeunes à revoir leur stratégie. L’image du modèle américain en sort nettement écornée, fait-il comprendre.

Pression démesurée 

Pour Émilie Soogund, cette inégalité d’accès a aussi une dimension humaine qu’on minimise souvent. « On ne parle pas assez de la charge mentale que cela représente, surtout pour les jeunes qui sont les premiers de leur famille à tenter cette aventure, ou ceux qui traversent des continents à la recherche d’une opportunité », souligne-t-elle. Une aventure vécue dans une certaine solitude, face à l’incompréhension de l’entourage et à l’immensité de la tâche.

Car au-delà de l’administratif et du financier, c’est la pression psychologique qui pèse le plus lourd. Pour la jeune femme, cette pression est tout simplement intenable pour des jeunes à peine sortis de l’adolescence. « Pourquoi attend-on des jeunes de 17 ou 18 ans qu’ils soient déjà accomplis pour mériter une place dans une salle de classe ? » s’exaspère-t-elle. « CV parfaits, engagements associatifs, projets originaux, bénévolat… Tout cela devient presque une exigence de base avant même que ces jeunes n’aient eu le temps de comprendre qui ils sont », regrette-t-elle. 

Juan Pierre partage cette frustration : « À 18 ans, on ne devrait pas être contraint de porter une telle charge émotionnelle et financière pour avoir accès à l’éducation. » 

Même pour ceux qui franchissent tous les obstacles, le soulagement n’est pas forcément au rendez-vous. « Ce qu’on trouve de l’autre côté, ce n’est pas forcément du soutien. C’est souvent le syndrome de l’imposteur, l’anxiété, la peur de ne pas être à la hauteur, de devoir toujours prouver qu’on mérite d’être là », confie Émilie Soogund.

Juan Pierre abonde dans le même sens et pointe un paradoxe : un système qui sélectionne durement à l’entrée, mais qui n’offre pas toujours les structures nécessaires une fois les étudiants sur place. « Le système met la barre très haut pour y entrer, mais une fois admis, il n’y a pas forcément les structures pour accompagner cette pression. »

Repenser la réussite

Chez les étudiants de première génération ou issus de milieux modestes, cette pression devient un poids générationnel. Ils ne portent pas seulement leurs rêves, mais ceux de toute leur famille, font comprendre les deux étudiants. Juan Pierre va jusqu’à questionner sa propre légitimité : « Ce n’est pas juste une question d’intégration académique. C’est une lutte intérieure. On finit par se demander si on a vraiment notre place là-bas… ou nulle part. » Un ressenti partagé par Émilie Soogund : « À force de douter de leur place à l’université, certains finissent par douter de leur place dans le monde. » 

Pour Juan Pierre, le doute s’est installé. « Il y a dix ans, aller aux États-Unis, c’était une promesse de réussite. Aujourd’hui, ce n’est plus aussi séduisant. Il y a trop d’incertitudes, trop de barrières. » Le rêve a perdu de sa brillance, laissant place à une réflexion plus fondamentale.

« Il faut se demander si c’est normal d’imposer autant de critères aux étudiants juste pour qu’ils puissent s’asseoir dans une salle de classe », lance-t-il. Et d’ajouter : « Il s’agit de repenser ce que signifie la réussite, et à quel prix on est prêt à la poursuivre. Le rêve américain, tel qu’on l’a vendu pendant des décennies, mérite aujourd’hui d’être remis en question. »

Ravi : « L’Amérique ne fait plus forcément rêver »

Lui aussi avait envisagé les États-Unis pour poursuivre ses études supérieures. Aujourd’hui, il y réfléchit à deux fois. Ravi (prénom d’emprunt), un jeune professionnel mauricien, suit avec attention l’évolution de la situation depuis l’annonce de la suspension de nouveaux visas étudiants par l’administration américaine. Mais pour lui, cette décision n’est qu’un élément de plus dans une remise en question déjà amorcée : « L’Amérique n’est plus la destination naturelle vers laquelle on se tourne. Il y a désormais trop d’incertitudes. »

Sur le plan social, il observe un climat de plus en plus tendu à l’égard des étudiants internationaux. « On sent une perception plus restrictive de la part de certains locaux, pas forcément au sein des campus, mais dans l’environnement extérieur. Ça pèse », indique-t-il. 

Une impression qui pousse aujourd’hui de nombreux étudiants à reconsidérer leur itinéraire, en se tournant vers d’autres horizons. L’Asie, avec Hong Kong, Singapour ou encore la Corée du Sud, gagne du terrain. « Ces pays offrent une stabilité, une ouverture culturelle et un accueil que beaucoup recherchent aujourd’hui », affirme-t-il.

Et pourtant, les universités américaines, elles, restent engagées. « Les universités montrent un réel intérêt pour les profils internationaux. Elles comprennent l’importance de cette diversité. Le problème, ce n’est pas l’université, c’est tout ce qu’il y a autour », nuance-t-il.

À ce climat pesant s’ajoute une pression économique non négligeable. La dévaluation de la roupie mauricienne face au dollar américain rebat les cartes. « Le coût d’un diplôme américain, sur quatre ans, devient de plus en plus difficile à anticiper. Avec les fluctuations de change, on parle facilement d’une différence de Rs 1,5 million sur la totalité des frais. Ce n’est pas négligeable pour une famille de classe moyenne », souligne-t-il. 

Quant à la procédure de visa, elle n’est pas forcément plus compliquée en soi, mais elle s’inscrit désormais dans une dynamique politique très différente. « Ce n’est pas impossible d’avoir un visa. Mais il faut comprendre les nouvelles règles. Il y a clairement une volonté politique de réduire l’accès, même s’il n’y a pas de fermeture officielle. »

Et puis, il y a ce glissement dans l’état d’esprit des jeunes, de plus en plus palpable. « Beaucoup se demandent aujourd’hui si un diplôme américain a encore autant de valeur, surtout dans un marché du travail saturé et transformé par l’intelligence artificielle. Certains préfèrent entrer directement dans le monde professionnel, opter pour des métiers qualifiés mieux payés ou miser sur des formations plus courtes. »
Le rêve américain, tel qu’on le connaissait, s’effrite lentement mais sûrement. « Ce n’est plus une évidence. On calcule, on compare, et on choisit parfois des chemins plus réalistes », conclut Ravi.

Kaviraj Sukon : « Nous suivons la situation de près »

Sollicité, le ministre de l’Enseignement supérieur, Kaviraj Sukon, a tenu à rassurer la population face à l’inquiétude grandissante suscitée par la décision des États-Unis de suspendre la délivrance de nouveaux visas aux étudiants étrangers. « Nous suivons la situation de près et je tiens à rassurer que nos quatre étudiants actuellement inscrits à Harvard poursuivent leurs études sans encombre. Ils ne sont pas concernés par cette mesure, qui s’applique uniquement aux nouvelles demandes de visa faites après son entrée en vigueur », précise le ministre.

En revanche, pour ceux qui s’apprêtaient à débuter leur parcours académique sur le sol américain, le constat est plus préoccupant. « Les nouvelles demandes sont rejetées. Ces étudiants se retrouvent dans une impasse et sont contraints de chercher des alternatives, que ce soit dans d’autres pays ou, parfois, en révisant totalement leur projet d’études », admet-il.

Face à ces bouleversements, le ministère se positionne comme un point de soutien pour les jeunes. « Nous invitons tous les étudiants concernés à venir au ministère. Nos services sont mobilisés pour les conseiller, les orienter et leur proposer d’autres options académiques ou géographiques », assure-t-il.

Le ministre Sukon s’inquiète également des répercussions de cette décision sur la recherche universitaire : « Certaines collaborations sont interrompues. C’est pourquoi j’invite les laboratoires internationaux à venir investir à Maurice. Nous disposons des infrastructures, des talents et de l’ambition pour devenir un centre régional de recherche, ouvert aussi bien à nos étudiants qu’à ceux venus de l’étranger. »

Décision controversée de l’administration Trump

En mai 2025, le couperet est tombé : l’administration Trump a ordonné la suspension temporaire de la planification de nouveaux rendez-vous pour les visas étudiants – F (étudiants universitaires), M (formation professionnelle) et J (échange) – dans toutes les missions américaines à l’étranger. Annoncée le 27 mai, cette décision s’inscrit dans une politique migratoire de plus en plus restrictive, affichant une volonté ferme de renforcer la sécurité nationale et de filtrer, avec une rigueur inédite, l’entrée sur le sol américain.

Mais derrière cette suspension, c’est tout un climat de crispation politique et idéologique qui refait surface. L’administration américaine justifie sa décision par la nécessité de préparer une extension du processus de vérification des réseaux sociaux des candidats aux visas étudiants. Un câble du Département d’État, signé par le secrétaire d’État Marco Rubio, confirme cette orientation : l’objectif est de mieux évaluer les risques potentiels que pourraient représenter certains étudiants étrangers. Cette surveillance accrue s’inscrit dans une ligne politique assumée par l’administration Trump, qui mise sur l’examen minutieux des empreintes numériques pour prévenir toute menace présumée.

Dans les coulisses, une autre bataille se joue. Le durcissement des règles migratoires intervient alors que les tensions s’exacerbent sur les campus universitaires autour de la liberté d’expression – en particulier lorsque les discours critiques envers Israël s’amplifient. Les manifestations pro-palestiniennes se multiplient, et avec elles, les craintes autour de possibles discours antisémites. Le lien est vite fait : certains redoutent que les nouveaux critères d’exclusion ne visent, en creux, une certaine frange de la jeunesse militante étrangère.

Conséquence directe : des retards massifs à prévoir dans le traitement des visas. Pour de nombreux étudiants internationaux, l’avenir se brouille. Commencer les cours à temps devient incertain. Perdre une bourse, un logement ou une place dans un programme académique prestigieux n’est plus un risque théorique. Et pendant ce temps, les universités américaines – dont la dépendance aux étudiants étrangers représente une manne économique de 44 milliards de dollars et plus de 370 000 emplois, selon la NAFSA (National Association of Foreign Student Advisers, aujourd’hui connue sous le nom d’Association of International Educators) – tirent la sonnette d’alarme.

La riposte ne s’est pas fait attendre. À Harvard, étudiants et professeurs sont descendus dans la rue pour protester contre les nouvelles restrictions. L’université a même vu son autorisation d’inscrire des étudiants étrangers révoquée – une décision aussitôt contestée devant les tribunaux. L’American Immigration Council, entre autres voix critiques, s’inquiète de l’impact durable de cette politique sur l’attractivité des États-Unis comme destination académique.

Harvard résiste

Harvard

Jeudi, la justice américaine a suspendu la mesure du président Donald Trump visant à interdire l’entrée aux États-Unis de nouveaux étudiants internationaux inscrits à l’université d’Harvard. Mercredi soir, Trump avait annoncé cette restriction, ciblant les étudiants étrangers participant à des programmes d’Harvard, qu’il accuse d’être un foyer de « wokisme ». La mesure, applicable immédiatement pour six mois, visait ceux entrant pour commencer leurs études.

Harvard a contesté cette décision en justice, dénonçant une « campagne de représailles » contre son refus de céder aux pressions du gouvernement. La juge Allison D. Burroughs a suspendu la mesure, estimant qu’Harvard risquait un « préjudice immédiat et irréparable » avant une audience complète.

Fin mai, l’administration Trump avait déjà tenté de priver Harvard de sa certification SEVIS, essentielle pour accueillir des étudiants étrangers. La mesure de mercredi prévoyait un examen des étudiants actuels, avec un risque de révocation de leurs visas. Harvard, l’université la plus ancienne et l’une des plus prestigieuses des États-Unis, résiste aux pressions de Trump, notamment en refusant un contrôle de ses programmes et de son personnel pour conserver ses subventions fédérales. Washington a déjà coupé environ 3 milliards de dollars de financements, qualifiés de « représailles » par Harvard. 

 

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