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Le long combat des victimes dépossédées de leurs terres

Le 189e anniversaire de l’abolition de l’esclavage, célébré le jeudi 1er février, est l’occasion de mettre en lumière un combat sans fin, semble-t-il : la dépossession des terres des descendants d’esclaves, mais pas seulement. Des cas de dépossession concernent toutes les couches et composantes de la société.

Clency Harmon prêt à entamer une troisième grève de la faim

Clency Harmon a 27 ans lorsqu’il append, par l’intermédiaire d’une connaissance, que les terrains appartenant à son arrière-grand-père, dont il ignorait jusque-là l’existence, avaient été spoliés. Après vérifications, il se rend compte, grâce sa mère, que la famille possédait un terrain occupé, à leur insu, par une compagnie depuis 1987.

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Âgé aujourd’hui de 64 ans, il tente par tous les moyens de récupérer les biens familiaux ou, au moins, d’obtenir un dédommagement pour l’occupation illégale de ces terres. Cependant, les lourdeurs administratives retardent le processus. Il espère toutefois obtenir justice avant sa mort. Initialement, il forme une association avec plusieurs personnes ayant perdu leurs terrains. Mais les procédures tardent énormément. C’est dans ce contexte que la Commission Justice et Vérité (CJV) est instituée. Plus d’une décennie après, les choses ne semblent toujours pas avancer selon les recommandations de la CJV ou prennent trop de temps à se mettre en place. « J’ai une affaire devant la cour depuis 2007 qui n’a pas encore été traitée sur le fond », déplore Clency Harmon. Il affirme qu’une fast track a été demandée afin d’accélérer les choses, mais tout semble encore au point mort, estime-t-il. 

« J’avais 27 ans quand j’ai commencé mes recherches, et cela m’a pris quatre ans pour découvrir que le terrain familial avait été ‘volé’. Aujourd’hui, j’en ai 64 et toujours rien », regrette-t-il. Il affirme détenir tous les titres de propriété du terrain qu’une compagnie prétend être le sien. Depuis, un combat juridique a été entamé, mais peine à aboutir.

C’est l’amertume d’un combat qui ne semble pas aboutir qui le conduit à entamer une première grève de la faim en 2019, lorsque les promesses gouvernementales n’ont pas été tenues. Il en a également effectué une seconde. Évoquant ses deux grèves de la faim, Clency Harmon soutient que cela n’a guère été facile, surtout les trois premiers jours de sa grève en 2019. Cependant, il tient bon pendant 16 jours et met fin à son mouvement lorsque les autorités affirment qu’elles allaient débloquer la situation avec la création d’une Law Reform Commission.

Mais il constate que les choses n’ont pas évolué dans la direction espérée. Un an plus tard, Clency Harmon entame une nouvelle grève de la faim qui dure une dizaine de jours. Au rythme actuel des événements, il se dit prêt à entamer une nouvelle grève, si nécessaire, car au fil des années, il vieillit et se demande s’il pourra jouir de son terrain avant de fermer définitivement les yeux. « Peu importe l’échéance, je vais entamer une troisième grève de la faim si les choses n’aboutissent pas », affirme-t-il.


Danielle Tancrel : «Justice delayed is justice denied»

L’histoire de la dépossession des terres de la famille Tancrel est complexe, comme celle de beaucoup d’autres. Elle concerne des terrains situés sur une propriété sucrière dans l’est du pays. Selon le dossier présenté devant les tribunaux, la famille possède un terrain du côté de Camp-de-Masque. Après enquête et documents à l’appui, la famille a découvert qu’un de ses ancêtres, qui avait eu des enfants avec une esclave à l’époque de l’esclavage, a été spolié des terres qui lui revenaient. Ainsi, cette situation complexe représente un cas typique de dépossession par une propriété sucrière d’une terre appartenant à un colon français qui avait eu des enfants avec une esclave.

Dans son rapport, un arpenteur affirme qu’une portion du terrain, faisant partie du lot initial de la famille, ne figure ni dans le registre hypothécaire de la compagnie sucrière ni dans ses titres de propriété. De plus, cette portion de terrain n’a fait l’objet d’aucune mutation de propriété à ce jour. Il a donc conclu que le plan de la concession Tancrel correspond à la carte LAVIMS du ministère du Logement et des terres.

Danielle Tancrel rappelle que le Volume 2 de la CJV est entièrement consacré à la dépossession des terres des descendants d’esclaves et des travailleurs engagés. Une des recommandations de la commission était la création d’un Specialised Tribunal, un tribunal des terres destiné à réparer l’histoire, souligne-t-elle. Ce n’est qu’après des années de lutte qu’une Land Division est votée le 28 août 2020 et finalement mise en œuvre le 10 mai 2023, déplore-t-elle.

Cependant, malgré sa création, les déposants de la CJV ont aujourd’hui perdu confiance en cette institution, estime Danielle Tancrel. « Les accapareurs de terres profitent des lacunes des procédures judiciaires pour échapper à la justice », déclare-t-elle. Elle lance un appel aux juges de la Land Division, à la chef juge, au gouvernement et au Premier ministre pour que cette cour, recommandation de la CJV, soit efficace.

Elle fait remarquer que parmi les déposants de la CJV, nombreux sont ceux qui sont tombés malades ou décédés après avoir attendu désespérément que justice leur soit rendue. Avec la nomination d’un Project Manager à la Land Research and Monitoring Unit, l’espoir est cependant permis. Il faudra toutefois s’attendre à ce que davantage de cas de dépossession des terres de la CJV soient portés devant la cour.

Pour l’instant, personne n’a obtenu réparation, d’après elle. « Justice delayed is justice denied », réaffirme Danielle Tancrel.

 

 

 

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