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Le coeur battant de nos villes

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Il existe des visages et des petits commerçants qui marquent à jamais notre mémoire collective, après avoir consacré des décennies à servir les citadins. Rencontre avec certains d’entre eux à l’occasion des municipales.

Alouda Pillay : l’institution du marché central

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Le fondateur d’Alouda Pillay a confié les rênes à sa belle-fille, Anjalee Kadressa Pillay.

Évoquer le marché central, à Port-Louis, c’est immédiatement penser à Alouda Pillay. Impossible de manquer ce stand : c’est toujours le plus fréquenté, bien qu’il y ait juste à côté un autre commerce proposant le même produit de base, l’alouda, et encore une dizaine d’autres à quelques pas. 

Pour rivaliser avec Alouda Pillay, les concurrents emploient des « rabatteurs » dont l’unique mission est d’attirer les clients. Particulièrement les pressés qui ne peuvent se permettre d’attendre longtemps.

Cette entreprise familiale s’est établie au marché central en 1930 par Kadressa Pillay, le père fondateur. Puis, il a cédé les rênes à sa belle-fille, Anjalee Kadressa Pillay. « Je suis derrière le comptoir dès 10 h et ma journée s’achève à 17 h. Ce travail ne me permet pas de m’asseoir, car il faut servir les clients, tenir la caisse et contrôler la qualité de nos produits. Nous avons une réputation à défendre, construite depuis près d’un siècle », nous confie cette jeune femme d’une énergie remarquable.

Samedi, vers 11 h 30, devant son stand, elle peut à peine nous parler tant l’affluence est grande. Certains achètent leur alouda à emporter, par litres ou en petit format, d’autres viennent se désaltérer après avoir fait le plein de légumes et d’épices.

Quel est donc le secret du succès d’Alouda Pillay ? Anjalee Kadressa Pillay répond : « Nous accordons une attention particulière à la qualité de l’eau utilisée pour produire l’alouda. Nous avons investi dans des équipements haut de gamme qui filtrent l’eau du robinet pour obtenir une pureté comparable à celle de l’eau embouteillée. C’est ce qui confère cette saveur distinctive à notre produit, certifié Halal. Nous proposons également une version diabétique, sans sucre. »

Coowar : de père en fils, la passion du cerf

Pendant et hors saison de chasse, il n’existe qu’un seul endroit où vous pouvez vous procurer du cerf tout au long de l’année, et ce depuis plus d’un demi-siècle.

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La renommée de Coowar a dépassé les frontières de Curepipe.

Installé à l’intérieur du marché de Curepipe, le boucher Feroz Coowar a pris la relève de son père, qui avait lui-même repris l’étal de son grand-oncle.

Feroz Coowar est fier de la réussite de son commerce. « Je me réveille très tôt pour la prière, puis je me prépare pour aller travailler. C’est devenu une passion pour moi, non une corvée. J’exerce ce métier depuis une quarantaine d’années et mes clients apprécient la qualité de ma viande. Certains viennent de très loin, sachant qu’ils trouveront une qualité irréprochable chez Coowar », nous confie-t-il avec un sourire radieux.

Comment parvient-il à proposer de la viande de cerf fraîche même hors saison ? Il nous explique : « Autrefois, on ne vendait du cerf que durant la saison de chasse, qui s’étend de juin à octobre. Nous avons constaté que les clients en demandaient tout au long de l’année. C’est alors que nous avons décidé de nous approvisionner auprès de la Meat Authority en cerf d’élevage. Ce privilège n’est pas accordé à tous, mais nous avons établi une convention avec les autorités pour en disposer en permanence, même en dehors de la période de chasse. »

Si Feroz Coowar reconnaît que les prix varient selon les parties de l’animal, il précise qu’il paie lui-même un prix élevé pour cette viande très prisée par sa clientèle et les Mauriciens de passage à Curepipe. C’est pourquoi, ajoute-t-il, sa renommée dépasse largement les frontières de sa ville natale pour s’étendre à l’ensemble de l’île. « Du cerf hors saison, on n’en trouve que chez Coowar », affirme-t-il avec une fierté à peine dissimulée.

Gool : la légende nocturne de Beau-Bassin

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Le neveu des gérants a repris le flambeau.

Les noctambules le savent : vers 2 heures du matin, une petite fringale vient inévitablement les tenailler. À une époque pas si lointaine, un lieu s’imposait alors comme une évidence : Gool, à Beau-Bassin.

Derrière sa vitrine toujours éclairée, un spectacle alléchant s’offrait aux yeux : des tikkas encore fumants, des currys variés accompagnés de pain maison, des brioches moelleuses, du beurre dans une imposante boîte en métal, du cheddar en tranches, des bananes, des mines bouillies et frites, du riz-curry... Le tout servi avec du thé ou du café brûlants, versés généreusement depuis une grande théière en aluminium.

À l’intérieur, rien de luxueux : quelques tables, des chaises et un serveur à l’efficacité rodée. Et pourtant, le snack ne désemplissait jamais. Gool n’avait ni portes, ni rideaux métalliques – à quoi bon, puisqu’il était ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ?

Même lors des cyclones, les gérants s’efforçaient de maintenir le cap. À la hâte, ils posaient des tôles galvanisées pour protéger leur commerce des vents violents. Et dès la levée de l’alerte, l’équipe était de retour aux fourneaux, accueillant les premières livraisons de pain et de journaux pendant que le thé chauffait déjà. Il fallait faire vite : les premiers clients, souvent des travailleurs prenant les tout premiers autobus, affluaient déjà.

Les années ont passé, et l’activité n’a cessé de prospérer. Aujourd’hui, c’est un imposant bâtiment, le Gool Building, qui s’élève à la même adresse, abritant non seulement le célèbre snack, mais aussi des commerces variés : un opticien réputé, une boutique de matelas, un magasin de vêtements, entre autres.

Situé stratégiquement au cœur de Beau-Bassin, face à un arrêt de bus très fréquenté, Gool reste un point de passage obligé. On y trouve désormais des pains-tikka revisités, des paninis, des « minn », des crêpes à la noix de coco, des gâteaux patate, ainsi que des snacks en sachets, des boissons, des jus, des cigarettes… Le service de fritures est aujourd’hui assuré par des Bangladais, sous la supervision d’un Mauricien.

Seule différence notable : Gool a mis fin à son service continu. Les rideaux, désormais flambant neufs, se baissent à 1 heure du matin. Mais dès le lever du soleil, le snack reprend vie, fidèle à son esprit d’origine.
Car même si ses lumières s’éteignent un peu plus tôt, l’âme de Gool, elle, veille toujours.

Vona Corona : la magie glacée au goût d’enfance

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La recette de la célèbre glace Vona Corona est transmise de père en fils, confie Shyam Jewon.

Depuis 80 ans, Vona Corona fait partie du paysage mauricien. Toujours reconnaissable à son tricycle aux couleurs vives où dominent le jaune et le rouge, et à sa clochette qui signale sa présence aux clients, particulièrement aux enfants.

Cette histoire d’amour entre la famille Jewon et cette glace, conservée dans un grand récipient en aluminium lui-même placé dans un bac à glaçons pour préserver sa fraîcheur et éviter qu’elle ne fonde en une simple soupe sucrée, s’est tissée au fil des décennies.

« C’est mon grand-père qui a eu l’idée de commencer à préparer de la glace et d’aller vers les clients plutôt que d’attendre qu’ils viennent à nous. Cela fait maintenant 80 ans que cette entreprise perdure, transmise de mes grands-parents à mes parents, puis à nous, frères et sœurs », raconte Shyam Jewon.

On aperçoit des vendeurs Vona Corona un peu partout, et certains utilisent ce nom pour commercialiser leurs propres produits. Car pour concurrencer Vona Corona dans les villes sœurs, il faut vraiment se lever tôt ou ne pas dormir du tout.

Les tricycles Vona Corona sont omniprésents, que ce soit sous les arcades Sunnassee ou dans les rues des quartiers adjacents au centre-ville, mais surtout au Plaza après le dîner, où hommes et femmes, grands-parents, parents et enfants font la queue. Même en hiver, malgré le vent froid qui souffle constamment sur le Plaza.

« Nous sommes patients et conscients que les ventes ne peuvent pas toujours être excellentes. Il y a des jours creux, mais nous nous y sommes habitués », confie Shyam Jewon tout en servant un client, puis une cliente. Ce vendredi-là, la chaleur était particulièrement accablante.

Et la recette qui n’a rien perdu de sa magie ? « C’est une recette traditionnelle transmise de père en fils, c’est notre secret, mais la préparation de cette glace demande beaucoup de travail », précise-t-il. Reste-t-il debout de 10 h jusqu’à tard dans la nuit à servir sans relâche ? « Nous fonctionnons par roulement, en famille », dit-il.

Lorsque nous jetons discrètement un coup d’œil dans son récipient, nous voyons Shyam Jewon extraire avec une cuillère des couches de glace multicolores, y ajouter de la mousse finement écrasée, parfumée à l’essence de fraise, puis saupoudrer le tout d’un zeste de noix de coco. Face à cette maîtrise, les concurrents ont encore du chemin à parcourir. Et les clients se régalent.

De Mike à Noodle Snack : une histoire de saveurs

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Alex a repris le flambeau de son frère Mike après son décès.

Tous ceux qui voulaient échapper à la chaleur ou combler un petit creux se pressaient chez Mike. Ce snack est situé en face des arcades Sunnassee, à côté de la rue La Reine, à Rose-Hill.

Habituellement, l’établissement accueille ses premiers clients à partir de 10 h, non pour l’apéritif, mais pour ce que les habitués appellent des « bouche-trous » : des en-cas comme des croquettes, des ailes de poulet croustillantes et d’autres spécialités telles que du « wantan », diverses boulettes en bouillon ou en salade, du bouillon de meefoon, entre autres. Les bières et autres boissons alcoolisées ne sont servies qu’à l’heure légale.

Mais depuis quelques années, Mike, sans doute épuisé malgré son abstinence de tabac et d’alcool, a vu sa santé décliner progressivement jusqu’à son décès. Son frère Alex a repris le flambeau et a rebaptisé Mike Snack en Noodle Snack. « C’est une entreprise familiale, il ne fallait pas qu’elle disparaisse, pour Mike comme pour nous. Notre établissement est connu depuis des années », explique-t-il.

En réalité, Alex a transformé le snack en y apportant une touche plus personnelle et professionnelle. Il est secondé dans cette tâche par ses proches parents. Le menu, bien présenté, l’agencement modernisé et l’espace désormais agrandi témoignent de cette évolution.

La clientèle, elle, continue d’affluer, séduite par le renouveau. D’ailleurs, à une table voisine, un jeune couple, Tracy et Mathieu, semble apprécier leur riz frit spécial. « Nous avons entendu parler du Noodle Snack, nous avons voulu essayer et c’est excellent », nous confie Tracy.

À court d’essence, mais jamais d’humanité : l’héritage des Sookhee

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Pravind Sookhee est le dernier représentant de cette dynastie.

S’il existe une station-service qui aurait fait sensation à l’ère des réseaux sociaux, c’est bien celle de la famille Sookhee. Ce lieu emblématique représentait le dernier espoir pour les automobilistes dont le réservoir flirtait dangereusement avec le niveau zéro.

Qui, à Maurice, ne connaît pas la station des frères Sookhee à Ambrose, Rose-Hill ? Cette famille visionnaire avait introduit un concept novateur : proposer un ravitaillement en carburant accessible à tous, notamment aux conducteurs circulant de nuit et soudainement à court d’essence.

Nombreux sont les souvenirs de conducteurs confrontés à un réservoir désespérément vide ou à un voyant d’alerte clignotant. Peu importait si le malheureux chauffeur devait marcher sur plusieurs kilomètres après avoir abandonné son véhicule sur le bas-côté, avec femme, enfants et grands-parents à ses côtés, tous de retour d’une réunion familiale festive.

Pravind Sookhee est le dernier représentant de cette dynastie. Âgé de 70 ans et ayant subi de multiples interventions chirurgicales aux poumons notamment, il reste fidèle au poste, assis à l’extérieur de la petite boutique de la station, où l’on peut encore s’approvisionner pour la route, sans alcool toutefois.

« Cette station-service existe depuis trois générations. Nous étions quatre frères et deux sœurs, et aujourd’hui il ne reste que ma sœur, un fils et moi-même. J’ai traversé de nombreuses épreuves dans ma vie. J’ai tout donné, comme l’ensemble de la famille Sookhee », confie-t-il avec émotion.

Il évoque alors une époque révolue : « Savez-vous qu’à l’époque, pour faire le plein, il fallait pomper manuellement le fioul depuis un baril ? Ce n’était pas une tâche aisée, mais le système fonctionnait parfaitement. »

Pourquoi avoir opté pour un service continu, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ? « Nous ne courions pas après l’argent. Notre vocation était d’assister les véhicules en panne sèche. Imaginez-vous l’angoisse que cela provoque ? Mais avec l’âge, ce rythme n’est plus soutenable. Nous sommes épuisés, mais nous restons debout pour l’honneur des Sookhee », conclut-il avec dignité.

La station-service des Sookhee emploie aujourd’hui principalement du personnel extérieur à la famille. La philosophie, elle, demeure inchangée : porter secours à ceux qui se retrouvent en panne d’essence. Le service n’est plus ininterrompu : les pompes ferment désormais à 1 heure du matin. Passé ce délai, il faudra patienter jusqu’au lendemain.

 

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