
Le premier Budget de l’Alliance du Changement suscite des réactions nuancées de la part des économistes Gérald Lincoln, Georges Chung et Azad Jeetun. S’ils reconnaissent une orientation globalement positive, ils pointent aussi des absences.
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Comment qualifiez-vous ce premier Budget de l’Alliance du Changement ?
Georges Chung : « De nombreux points doivent être soulignés de manière forte. Premièrement, le Budget vient officialiser la détresse de notre économie. Un niveau de dette de 90 % du PIB est du jamais vu. Un déficit budgétaire actuel de 9,8 % ou encire un déficit commercial de Rs 203,7 milliards sont sans précédents. En sus de cela, le fonds pour la Contribution Sociale Généralisée (CSG) est en faillite, ce qui est extrêmement grave. Par ailleurs, le plan de pension reste largement déficitaire. Tout cela nous plonge dans une situation de précarité économique sans précédent. Le deuxième élément très notable que nous observons dans ce Budget, c’est le rôle que jouera l’intelligence artificielle. Elle sera le point central de la stratégie économique des prochaines années. Bien sûr, notre pays accuse un retard de plus de cinq ans par rapport à cette grande innovation technologique mondiale. La grande question reste de savoir comment et quand l’IA pourra être déployée, en particulier dans les secteurs productifs du pays, à savoir le tourisme, les services financiers, l’offshore et l’exportation. Ce qui frappe également dans le Budget, c’est le système fiscal progressif, qui frapperait particulièrement ceux qui sont appelés à investir, c’est-à-dire les entreprises, les banques et les salariés à hauts revenus. C’est un peu de la contradiction de voir un catch-22. Ce sont eux-mêmes qui sont appelés à casquer le prix des dettes. »
Georges Chung : Ce Budget vient officialiser la détresse de notre économie
Gérald Lincoln : « Les intentions sont bonnes. Cela donne une direction intéressante, mais en même temps, cela manque de concret. Au lieu de proposer des mesures bien définies, le Budget parle de l’élaboration des Blueprints, des commissions qui seront mises sur pied pour étudier telle ou telle question, entre autres. Il semblerait que le gouvernement n’a pas eu le temps de travailler sur certains détails. »
Azad Jeetun : « Je pense que c’est le mieux que nous puissions faire dans un contexte difficile. Le Premier ministre n’est pas économiste, mais il présente un Budget qui s’inscrit dans une logique et une philosophie économique. C’est un Budget qui vise à encourager l’investissement tout en réduisant les inégalités dans le pays pour améliorer ce qu’on appelle en anglais « l’income distribution ». Les mesures fiscales sont bien ciblées afin de ne pas encourager l’inflation. »
L’âge de la retraite (basic retirement pension) sera poussé progressivement de 60 ans à 65 ans sur les cinq prochaines années. La CSG sera remplacée. Les allocations de la CSG sont réduites par phrase jusqu’à la suppression complète. Ces décisions étaient-elles inévitables ?
Gérald Lincoln : « Oui ! Tout d’abord, l’âge de la retraite est de 65 ans et le paiement de la pension est de 60 ans. Cela ne faisait pas de sens. Il est donc logique d’harmoniser ces deux seuils en les alignant. Pour la CSG, je m’attendais à son remplacement, mais aucune précision n’a été donnée sur le dispositif qui viendra la remplacer. On est un peu dans le flou à ce niveau. Pour ce qui est des allocations CSG, ce ne sera pas stopper d’un coup. On a l’impression que ce sera mieux ciblées et qu’elles iront vers ceux qui sont dans le besoin. »
Gérald Lincoln : Un Budget d’austérité qui freine les dépenses et augmente les revenus de l’État
Georges Chung : « Cela me semble tout à fait logique. L’âge de la retraite à 65 ans fait gagner du temps. De même, comme les salariés vivent plus longtemps, cela me semble une décision rationnelle. Quant à la CSG, ce sera plus qu’un mauvais souvenir qu’on essaiera d’oublier. Ce sont-là des exemples du changement. »
Azad Jeetun : « C’est une anomalie qu’il fallait à tout prix corriger. Le gouvernement a eu le courage de le faire. En même temps, c’est une mesure qui s’espace sur une période de 5 ans. Ce qui est une bonne chose. Certaines personnes travaillent et touchent en même temps une pension. Ce n’est pas correct. On ne peut pas se permettre ce luxe tout le temps. Pour ce qui est de la CSG, j’ai été très critique dessus depuis le départ alors que certains syndicats ont trouvé que c’était une bonne mesure. Or, la CSG n’a jamais été un plan de pension. Ce sont les travailleurs – et non le gouvernement- qui finançaient les pensionnaires. Arrivés à l’âge de la retraite, ces travailleurs n’auraient jamais eu une pension additionnelle contrairement au National Pensions Fund qui en fait provision. Ce qui est bien ce que le Premier ministre a annoncé qu’il va améliorer le système. C’est une bonne chose pour les travailleurs. Quoi qu’il en soit, la CSG a toujours été une question très politisée. »
Ce Budget fixe l’objectif du gouvernement de réduire la dette publique d’ici à trois ans. Peut-on y arriver ?
Azad Jeetun : « Oui, je pense que nous pouvons y parvenir. Tout dépend de la croissance économique. Le gouvernement est réaliste de dire que le pays ne va pas diminuer drastiquement sa dette en une année. Cela dit, ce Budget marque une véritable rupture avec le passé et pose les bases d’un nouveau modèle économique. Je pense que cela suscitera beaucoup de confiance chez les investisseurs et contribuera à la croissance. Le Budget évoque également le partenariat privé-public. C’est ce qui stimulera la croissance. »
Gérald Lincoln : « Je suis certain que nous pouvons y parvenir. C’est un Budget d’austérité qui freine les dépenses et augmente les revenus de l’État. Réduire la dette à 75 % du PIB en trois ans est réalisable, mais est-ce nécessaire. C’est une autre question. »
Georges Chung : « Je pense que le gouvernement s’est donné un délai de trois ans afin d’avoir plus de flexibilité au vu des résultats obtenus la première année et d’en faire des changements au cours des deux années suivantes. Par exemple, si l’objectif n’est pas atteint la première année, il y aura une deuxième cascade d’augmentations au cours de la deuxième voire de la troisième année. Cependant, si leur objectif est atteint, cela leur donnera une marge de manœuvre vers la fin de leur mandat. Cela semble logique. »
Les entreprises profitables et les plus aisés devront payer plus de taxes. Vos commentaires ?
Gérald Lincoln : « De nombreux points restent à clarifier. On manque de précisions sur l’Alternative Minimum Tax, notamment sur les secteurs concernés et le taux d’imposition qui sera appliqué. Depuis 15 ans, Maurice applique une stratégie de « tax friendly regime ». Nous assistons dans ce Budget à une cassure. Il y a un manque de clarté dessus. Le risque, c’est que les gens n’investissent plus, car les retours sur investissement sont calculés après les impôts. »
Georges Chung : « Ceux qui investissent le plus seront les plus lourdement taxés. Reste à voir dans quelle mesure cela influencera leurs décisions d’investissement. »
Azad Jeetun : Un Budget qui marque une véritable rupture avec le passé...
Azad Jeetun : « Je pense que ceux qui réalisent des profits doivent contribuer davantage dans un contexte économique difficile. C’est une mesure non inflationniste, car elle ne touche pas directement les produits. De même, l’impôt sur les particuliers, qui devient un système assez progressif, est aussi sans effet inflationniste. Les contribuables qui touchent des revenus de Rs 10 millions/Rs 12 millions ou plus peuvent faire un effort supplémentaire. Ce Budget protège les plus vulnérables tout en sollicitant une contribution accrue de ceux qui en ont les moyens. Cela permettra une meilleure répartition des revenus. »
Qu’est-ce qui manque, selon vous, dans ce Budget ?
Georges Chung : « Il manque des mesures fiscales fortes pour attirer les investissements étrangers dans les secteurs que le gouvernement souhaite mettre en œuvre, à savoir l’économie verte et l’économie maritime. Il faut des mesures extrêmement attrayantes pour attirer ceux qui connaissent le plus ces deux domaines, à savoir de gros investisseurs chinois, japonais et surtout américains. »
Gérald Lincoln : « Je trouve que le Budget est léger sur les nouvelles perspectives (idées, nouveaux secteurs, etc.). De quoi l’avenir sera-t-il fait ? Qu’en est-il du tourisme de demain ? Le maitre-mot du Budget reste l’austérité. »
Azad Jeetun : « Ce qui manque dans ce Budget, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de mesures sur la productivité. »
Il A DIT
Kevin Teeroovengadum, économiste : « Réformer ou ne pas réformer : Telle est la question... Comment redresser une économie qui, lentement mais sûrement, se dirigeait vers un naufrage et se rapprochait dangereusement de la cote « junk » ? Étape 1 : Reconnaître la réalité. Il est encourageant de voir le Premier ministre, qui détient également le portefeuille des finances, reconnaître enfin l’état réel de l’économie. Pendant trop longtemps, le déni et le faux confort ont prévalu au sein des gouvernements, des conseillers, des analystes et même parmi les amis du secteur privé. Ce chapitre est clos. .»

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