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Laurent Recoura : «Je suis une victime collatérale d’un mouvement clanique»

Actuellement à Oslo en Norvège, l’ancien Chief Commercial Officer (CCO) et Officer-in-Charge d’Air Mauritius revient sur sa décision de démissionner. Depuis mai, il était suspendu de ses fonctions. Il devait faire face à un comité disciplinaire cette semaine, mais a quitté le pays. Air Mauritius a par ailleurs porté plainte auprès de la Financial Crimes Commission pour demander l’ouverture d’une enquête à son encontre. Laurent Recoura affirme, pour sa part, être victime d’une “vendetta politique”. 

Comment a commencé ce litige avec Air Mauritius ?
À la base de tout, c'est une rivalité clanique ou un motif politique. Il y a une guerre interne entre l’Airport Holdings Ltd (AHL) et certaines personnes. Moi, je suis une victime collatérale du mouvement clanique. Je suis venu comme professionnel, recruté par un chasseur de têtes et validé par le board. Avant de venir à Maurice, je ne connaissais personne. J’ai fait mon travail et je l’ai fait bien. Il y a eu des profits records et un chiffre d'affaires record, le plus gros de l'histoire de la compagnie. Fin juillet, on n'a toujours pas oublié les chiffres de l'année fiscale précédente, mais je sais que le bilan est positif. Dès que le nouveau CEO a pris le pouvoir, j’ai fait comprendre je n'étais pas là pour quelqu'un ou pour Ken Arian, mais pour Air Mauritius qui est mon patron et pour qui je partage mes compétences et mon expertise. 
Il y a eu une chasse aux sorcières. Des personnes proches de l’AHL ont été menacées, suspendues, transférées. J'ai subi du harcèlement, on a changé mon scope of work pour le réduire. Le 19 mai, j'ai été convoqué pour faire pression sur moi pour que je démissionne. On m'a dit : "Je n'ai pas confiance en toi, tu es proche de Ken Arian. Soit tu démissionnes, soit c'est le comité disciplinaire". Il (faisant référence au CEO) ne montre aucune preuve contre moi. Les charges retenues contre moi ne sont même pas valables. J’ai refusé de démissionner. À partir de là, tout s'emballe.

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Après votre suspension, il semble que des négociations étaient en cours avec MK ?
On avait commencé des négociations pour une séparation à l'amiable avec un package, mais pas ‘gros’. Le CEO était contre ça. Il avait juré de ne pas le permettre. Il a créé une affaire et l’a portée à la FCC en m'accusant d'avoir donné un billet à un journaliste suisse et m’accuse de trafic d'influence, de corruption, et de « using office for gratification », ce qui est une calomnie.

Un exercice marketing avec MK et la MTPA a eu lieu en septembre dernier à Genève sous le haut patronage de l'ambassadeur de Maurice en Suisse. Il s'agissait d'une soirée pour des professionnels, des agences de voyage et des journalistes, avec un tirage au sort pour des billets. Voilà comment le journaliste a eu son billet. Tout cela s'est passé avant que Charles Cartier n'arrive. L'affaire avec la FCC n'a pas de fondement.

Par rapport à cela, comment je réagis ? Je vois que le CEO a une vendetta personnelle contre moi. J'ai dénoncé le harcèlement et j'ai été auditionné, mais bizarrement, je n'ai jamais eu les résultats de cette audition. J'ai porté plainte pour harcèlement moral, mais il n'y a pas eu de suite.

Donc, vous prenez la décision de quitter Maurice ?
J’ai vu la menace de convocation de la FCC. Sauf que je devais faire une visite privée en Norvège. Ce n'était pas une fuite, juste quelques jours. Entre-temps, j'ai démissionné. Dans la lettre que j’ai envoyée à la direction, j'explique que je suis contraint de démissionner à cause des agissements du CEO. Il y a tant de choses qui ont été diffusées contre moi qui sont diffamatoires. L'affaire avec la FCC repose sur des faits infondés, calomnieux et faux. Les billets étaient offerts dans le cadre d'opérations commerciales et marketing, une pratique courante pour des journalistes, et bien documentée dans le cadre de missions commerciales.

Maintenant que vous avez démissionné, quelle est la marche à suivre ?
Je prévois de porter plainte pour licenciement abusif. Je dois maintenant m'assurer que ma carrière continue ailleurs, car il n'y a plus d'avenir chez MK pour moi. Il y avait eu une ouverture pour des négociations. Je ne réclamais rien de particulier ; c'était une offre de MK, mais elle était sous-estimée. Je cherchais un accord plutôt qu'un mauvais procès. Mon voyage en Norvège a été divulgué dans la presse dès le lendemain, tout cela orchestré pour nuire à ma réputation, avec l'ultimatum : soit je démissionne, soit ma réputation est ruinée. J'étais dans une logique d'apaisement, mais le CEO a exacerbé la situation. 

Quels sont les souvenirs que vous gardez de votre séjour chez MK ?
Quand je suis arrivé chez MK, la compagnie était à genoux. Je suis venu alors que la compagnie sortait de l’administration volontaire. J’ai travaillé pour remotiver l'équipe et relancer le système. J'ai relancé presque toutes les routes : Perth, Kuala Lumpur, Cape Town, Chennai, Genève, Gatwick. Historiquement, MK n'avait pas de vol quotidien vers l'Angleterre. Grâce à mes contacts personnels et à mon expertise, nous avons pu mettre en place une fréquence de trois vols par semaine et un vol quotidien. Air Mauritius avait besoin d'une relation quotidienne avec l'Angleterre. Ce vol a été salué par l'ensemble des acteurs de la profession et a contribué à redynamiser la compagnie, avec un chiffre d'affaires record.

Les vols vers Rome ont été suspendus, car la direction affirme qu’il n’y a pas eu d’étude de marché, que répondez-vous à cela?
Ce projet a été abandonné sous prétexte de manque d'étude, mais il s'agit plutôt de mensonges. La compagnie n'a pas accédé à ce projet sans une étude de marché préalable. L'étude a été soumise au board pour approbation. Rome représentait une bonne route. L'Italie est l'un des dix principaux pays émetteurs pour Maurice, avec environ 70 000 visiteurs par an. Ce chiffre était tombé à moins de 10 000 en raison de vols de correspondance via Dubaï et Turkish. Le vol vers Rome était destiné à redynamiser cette route. Lors du salon de Milan, les opérateurs étaient enthousiastes, reconnaissant le potentiel énorme du marché italien. Il fallait lancer cette route maintenant, surtout avec 2025, une année sainte, qui entraînerait un fort mouvement et une forte demande en provenance de Maurice, de La Réunion et d'Afrique du Sud. La compagnie aurait pu en bénéficier. Beaucoup qui sont concernés par ce projet se sentent trahis par MK. Beaucoup de places avaient été vendues, et les gens avaient payé en avance. La réputation de MK est en jeu. Pourquoi ne veulent-ils pas opérer ce vol ?

Avez-vous des regrets ?
Je respecte profondément les institutions et les gens de Maurice. J'étais très heureux de servir le pays et de redynamiser la compagnie. Mon travail a été apprécié par l'écosystème autour de l’aviation. Maintenant, je quitte le pays avec ma réputation ternie par MK qui, semble-t-il, a perdu du terrain par rapport à ses objectifs. Le CEO semble avoir une vendetta personnelle contre moi, au détriment des bienfaits pour la compagnie. Je laisse une compagnie bénéficiaire à fin mars, avec des chiffres positifs et financièrement stable. Il y a de nombreux projets en cours pour continuer à revitaliser la compagnie. Nous verrons quel sera l'état de la compagnie dans quelques mois ; cela devrait donner des réponses. Je pars avec un bilan positif, malgré les difficultés rencontrées.

Un parcours d’excellence dans l’aviation

Laurent Recoura, âgé de 60 ans ce lundi, est un Toulousain dont le destin semble avoir été tracé dans le monde de l’aviation dès sa naissance. « Je suis né dans les avions, ou presque », aime-t-il à dire, en évoquant ses racines familiales profondément ancrées dans ce secteur. Son grand-père travaillait pour Sud-Aviation, contribuant à la construction d’avions, tandis que son père était employé chez Airbus.

Baignant dans cet environnement depuis son plus jeune âge, Laurent Recoura a naturellement suivi cette voie, entamant une carrière de 20 ans au sein de compagnies américaines. Son parcours professionnel l’a ensuite mené à travailler en France, en Inde, aux Émirats arabes unis, aux Philippines, en Malaisie, à Oman et à Maurice. Cette expérience internationale a forgé chez lui une compréhension approfondie des dynamiques globales de l'aviation.

Respectueux de ses employés, Laurent Recoura se définit comme un « leader by example » et un « hardworker ». Il met en avant sa grande honnêteté morale et sa probité, des qualités qui lui ont permis de gagner le respect et l’admiration de ses équipes à travers le monde. Sur le plan personnel, Laurent Recoura est marié et père de deux enfants. Sa fille aînée, Alice, est vétérinaire dans le Sud de l’Angleterre, tandis que son fils Luca étudie l’économie en Italie.

Recoura envoie une lettre annonçant qu’il démissionne

C’est dans une lettre adressée au responsable des Ressources humaines d’Air Mauritius que Laurent Recoura annonce sa démission. Il affirme que les faits et circonstances ne lui laissent pas d’autre choix que de se considérer comme ayant été licencié de « manière constructive ».

« Je n'avais pas d'autre choix que de considérer d'autres avenues pour ma carrière et ma réputation. À partir de maintenant, je ne suis plus un employé de MK et, par conséquent, je n'ai pas l'intention de fournir d'explications concernant les accusations portées contre moi par MK, étant entendu que je réfute toutes les accusations portées contre moi car elles sont malveillantes, sans fondement, gratuites et fausses. Il en est de même pour la plainte déposée auprès de la FCC », peut-on lire dans la lettre.

Atma Bumma : « À chacun de juger la véracité de Laurent Recoura »

Au niveau d’Air Mauritius, on confirme avoir reçu la lettre de Laurent Recoura. « Il ne se considère plus comme un employé d'Air Mauritius. La première chose qu'il a voulu faire, c'était de négocier pour trouver un départ à l'amiable, mais nous n'étions pas enclins à négocier. Nous avons accepté de négocier et trouvé un accord à l'amiable », indique le responsable de communication, Atma Bumma.

Atma Bumma ajoute que Laurent Recoura devait recevoir six mois de salaire, mais il aurait jugé cela insuffisant. Le responsable de communication chez MK souligne que c'est « absolument faux » de dire que Charles Cartier avait une vendetta contre l’ancien COO. « Charles Cartier lui a proposé de travailler au département commercial. À aucun moment, il n'a été question que Charles Cartier le renvoie. C'est lui qui a créé ses propres conditions de départ », dira-t-il.

Atma Bumma déclare aussi que Laurent Recoura a eu l’occasion de s’expliquer devant le comité disciplinaire, mais a choisi de partir. « Nous avons organisé un comité disciplinaire où il devait prouver son innocence. Il en a eu l'occasion – mais au lieu de cela, il a pris un billet aller simple et est parti. À chacun de juger de la véracité de Laurent Recoura. Nous croyons en la justice. Pourquoi n'est-il pas venu se défendre devant ce comité disciplinaire ? A-t-il quelque chose à se reprocher ? », s'interroge-t-il.

Selon lui, Laurent Recoura était au courant des témoignages accablants contre lui. « Pour nous, ce dossier est clos. Le Conseil d'administration prendra les décisions nécessaires en temps et lieu », rétorque notre interlocuteur.

 

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