La santé n'a peut-être pas de prix pour certains, mais elle entraîne des coûts qui auraient pu être évités. La perception générale veut que si les patients sont couverts par une assurance médicale, certains n'hésitent pas à faire gonfler la note. Un constat que fait également l'American Hospital Association (AHA), mais réfuté par des spécialistes. Le point.
La perception veut que lorsqu'un médecin du privé et/ou pratiquant dans une clinique privée sait que son patient est couvert par une assurance maladie, il profite de la situation. C'est ainsi que des analyses diverses sont prescrites et qui coûtent les yeux de la tête. Et quand les factures atterrissent dans les compagnies d'assurance, elles casquent sans broncher.
À qui profite le crime ? La question reste posée, car les avis divergent, dont ceux des patients directement concernés par la batterie de tests à subir et les laboratoires qui se frottent les mains. Car qui dit analyses dit aussi rentrée d’argent. Sans oublier le fait que les compagnies d’assurance doivent casquer, sans broncher.
Est-ce qu’il y a un abus d’analyses de la part de certains médecins ? Y a-t-il une entente qualifiée de « délictueuse » entre médecins et laboratoires privés ? Est-ce qu’il y a des médecins qui pratiquent la médecine préventive juste pour s'assurer de la médication à administrer à leurs patients ?
Il est intéressant de noter que l’étude menée par l’American Hospital Association (AHA) tire la sonnette d’alarme sur l’abus de tests médicaux et l'utilisation d’antibiotiques, entre autres, dans des cliniques privées afin de faire gonfler la fracture du client, surtout s’il est couvert par une assurance maladie. Tous les prétextes sont alors bons pour soutirer davantage d’argent des assurances, à travers des patients.
Dans le rapport publié en 2013 intitulé Appropriate Use of Medical Ressources qui fait suite à une étude qui a duré cinq ans, l'AHA fait état de l’augmentation du coût de la santé qui est très inquiétante. Le rapport indique que des cliniques privées ont tendance à augmenter les coûts des soins de santé en surdiagnostiquant et surutilisant des traitements qui n'ont pour effet que de faire gonfler la facture du patient.
Dans un article publié dans les Archives de médecine interne en 2011, les chercheurs ont déconseillé l'utilisation de l'imagerie pour la douleur lombaire dans les premières six semaines (sauf si certaines conditions sévères étaient suspectées). Cette contre-indication est justifiée par le fait que l'imagerie de la colonne lombaire avant six semaines n'améliore pas les résultats mais augmente les coûts.
Plus récemment, les centres pour le contrôle et la prévention des maladies ont fait état du fait qu'environ la moitié de toutes les ordonnances antibiotiques sont soit inutiles, soit utilisées de manière inappropriée. Cette pratique expose les patients à des problèmes inutiles avec des effets secondaires et peut augmenter la prévalence de bactéries résistantes aux médicaments.
AHA recommande l'utilisation des ressources médicales appropriées en réduisant l'utilisation de soins non bénéfiques et d'œuvrer vers un triple objectif : l'amélioration de la santé, une expérience de qualité du patient et des coûts réduits.
Parmi les autres abus que dénonce l'AHA, il y a l'utilisation d'unités de soins intensifs (ICU) pour les patients atteints de maladies terminales imminentes qui ont considérablement augmenté au cours de la dernière décennie. Quelle est la position des cliniques privées locales et des médecins qui leur sont rattachés ?
Tests obligatoires ou pas ?
L’abus d’examens en laboratoires privés et cliniques privées est dénoncé par Ravin*, infirmier dans le service public. De nombreux patients se sont plaints des services d'une clinique privée. « On a demandé aux patients de subir divers examens pour connaître la source de leurs problèmes de santé. Au final, ceux-ci se sont avérés des astuces pour faire grossir la note du patient », affirme-t-il. Jason*, un autre membre de la profession médicale, renchérit en disant que d'autres patients dans la région de Port-Louis ont fini par se rendre compte qu'un médecin spécifique prescrivait les mêmes analyses médicales à presque tous ses patients.
Ce patient serait l’exemple concret de ces « abus » de tests en laboratoire et il en est tout remonté. « Les diverses analyses médicales qu'on m'a fait faire n'ont pas permis de comprendre mon problème médical. J'ai préféré arrêter, car j'avais le sentiment de dépenser mon argent pour rien », explique Sailesh*. Le témoignage de Marie* est un autre exemple : « J'ai payé plus de Rs 130 000 en une année dans une clinique privée pour divers examens et analyses sans qu'on puisse me guérir ou m'expliquer la nature de mon problème de santé. En cinq minutes, lors d'un examen de routine chez mon gynécologue, j'ai su ce que j'avais. »
Pour cette dernière, il y a clairement eu « arnaque », car alors qu'elle était soumise à diverses analyses médicales et des examens de radiologie pour des douleurs au bas du ventre, il n'a fallu que quelques minutes à son gynécologue pour diagnostiquer son mal. « À la clinique, on a évoqué la possibilité que le problème provienne de mes reins, mais je n'ai jamais eu plus d'éclaircissements », dira Marie. Ce qui l'irrite le plus, c'est qu'on lui a administré diverses injections et des antibiotiques qui, selon elle, auront peut-être des effets néfastes sur sa santé à l'avenir.
« Chaque fois, j'ai dépassé le plafond de ma limite pour l'assurance. Heureusement que j'avais l'option '‘catastrophe'’ incluse dans ma police d'assurance. Ce qui fait que je n'ai pas eu à débourser de ma poche. Mais le revers de la médaille c'est, qu'indirectement, mes collègues de bureau doivent payer un surplus pour leurs mensualités à la compagnie d'assurance qui a augmenté sa prime envers la compagnie », déplore Marie.
Sailesh évite d'utiliser le mot arnaque. Il a cependant le sentiment de n'avoir pas eu pour son argent et d'avoir perdu son temps. « Comme il y a des antécédents familiaux de thalassémie, de thyroïde et divers autres problèmes de santé, j'ai voulu faire un bilan de santé général quand j'ai commencé à ressentir des problèmes à l'estomac et à la gorge ». Soumis lui aussi à divers examens, il fait face toujours à son problème de santé.
Ces cas ne seraient pas isolés. Les divers témoignages que l'on a pu recueillir de part et d'autres l'attestent en tout cas. Ils proviennent de professionnels de la santé et de patients qui ont été « victimes » de prescriptions pour des analyses médicales jugées « inutiles » que leur médecin traitant leur ont fait faire. Ces patients qui témoignent n'ont pas pour autant retrouvé la santé, en dépit de toutes les investigations effectuées.
*prénoms modifiés.
Analyses nécessaires
Dans le milieu médical, on soutient que certaines pratiques sont impossibles mais que des brebis galeuses existent comme dans toutes les professions. C'est ce qu'explique le Dr Ishaq Jowahir, vice-président de la Private Medical Practitionners Association (PMPA). « Je ne crois pas qu'il y ait des pratiques abusives de la part des médecins. Pour faire un bon diagnostic, des analyses médicales s'avèrent nécessaires parfois afin de confirmer les examens cliniques », dit-il. Un avis que partage le Dr Yasheel Aukhojee, médecin généraliste exerçant dans le privé. « Ces analyses sont effectuées pour confirmer un diagnostic clinique mais, dans certains cas, les médecins ne savent même pas de quelle maladie souffre le patient », reconnaît-il. Pour lui, certains médecins pratiquent la médecine défensive et font faire des analyses pour se rassurer.
Anand Daby : «Un laboratoire se doit de confirmer un diagnostic»
Les laboratoires ont poussé comme des champignons. Mais gare à la tromperie, fera ressortir Anand Daby, vice-président de l'Association des directeurs des laboratoires.
Anand Daby est catégorique : « Il y a une recrudescence de laboratoires mais il ne faut pas faire d'amalgame. Derrière une enseigne peut se cacher simplement un dépôt et non un laboratoire avec tous les équipements nécessaires. Il n'y a que des employés qui ne font que délivrer les résultats. » Pour lui, il faut faire attention aux résultats qu'ils délivrent.
Cependant, Anand Daby ne voit pas d'un mauvais oeil cette augmentation de laboratoires. « Le but d'un laboratoire est de confirmer le diagnostic d'un médecin ou de l'orienter vers un nouveau traitement par rapport aux résultats obtenus », dit-il. Il est d'avis que la population est plus avertie concernant sa santé et a pris conscience de l'importance d'un bilan de santé régulier. C'est ce qui fait qu'ils sont nombreux à se diriger vers les différentes enseignes avec ou sans prescription.
Contrairement à ce que certains pensent, Anand Daby ne croit pas qu'il puisse y avoir exagération des analyses médicales prescrites par les médecins. « C'est lui qui décide par rapport à son examen clinique. Le rôle du laboratoire est d'aider à donner une nouvelle orientation au diagnostic en présentant des résultats fiables ».
Selon quelques employés de différents laboratoires que Le Défi Plus a interrogés, sous le couvert de l'anonymat, il est difficile d'affirmer que certains médecins font subir à leurs patients des analyses qui ne sont pas nécessaires. « La plupart des prescriptions que nous recevons concernent des analyses pour le diabète, le cholestérol ou la recherche du taux des hormones T3, T4 ou TSH par rapport aux problèmes liés à la thyroïde », a expliqué une employée.
Quelques fois, ce sont les patients eux-mêmes qui demandent des bilans de santé, dira un autre. « Quand ils se présentent dans un laboratoire ils ne savent pas vraiment quelles sont les analyses médicales qu'ils peuvent ou doivent faire. Les laborantins leur conseillent à ce moment-là », a déclaré Anand Daby.
Ce qui rebute ce dernier, ce sont les promotions et packages que proposent certains laboratoires. Selon lui, un laboratoire n'a pas le droit de faire de la publicité : « Il ne peut qu'indiquer le nom du laboratoire et les heures d'ouverture. » Et d'ajouter qu'en ce qui concerne les packages, il y a une éthique à respecter.
Une politique de rentabilisation pratiquée par certaines cliniques ?
Un responsable d'une clinique des Plaines-Wilhems dit être au courant des examens médicaux parfois « superflus » que certains médecins et cliniques exigent. Aveu de taille : parfois cela fait même partie de la politique de la clinique pour rentabiliser ses services :
« Si cette pratique un peu malhonnête existe, il y a certains cas qui nécessitent plusieurs examens et analyses médicales en vue de confirmer un diagnostic », a-t-il confié.
Il a souligné que tout dépend également de l'état de santé du patient et l'expérience du médecin. « Si c'est un médecin qui a de longues années d'expérience, il va demander des examens spécifiques car il sait ce qu'il recherche exactement. D'autres vont demander une dizaine de tests alors que trois seulement sont requis, surtout si les précédents se sont révélés négatifs », a-t-il dit.
Tout dépend de la maladie du patient, a ajouté ce responsable qui compte de nombreuses années de métier. Et de préciser qu'on ne peut parler de gaspillage de ressources car tout examen peut apporter un éclairage sur l'état de santé du malade. Sauf si ce sont les mêmes examens qui sont demandés systématiquement.
Médecine défensive
Le président de l'Association des cliniques privées, le Dr Dawood Oaris, ne croit pas dans la médecine défensive mais pense que certains médecins la pratiquent parce qu'ils n'ont pas eu une bonne formation. Il en est de même des médecins qui prescrivent divers médicaments pour traiter un seul et même problème. « Un médecin bien formé doit connaître la pharmacologie et connaître les effets d'un médicament sur un patient », a-t-il souligné.
Selon le Drs Aukhojee et Oaris, à travers l'historique médicale du patient, les questions précises qui lui sont posées et les examens médicaux effectués, il est possible d'établir un diagnostic. Ce qui fait que les analyses médicales ne sont pas nécessaires dès la première consultation mais elles sont nécessaires lors d'une deuxième visite, par exemple, si le traitement administré la première fois n'a pas donné les résultats escomptés.
Un des doyens de la profession médicale qui a tenu à garder l'anonymat a expliqué que la médecine préventive ne requiert pas une batterie de tests : « Dans certains cas, les médecins peuvent se retrouver avec des résultats d'analyses qui ne vont pas servir et dont ils ne sauront quoi faire ». Le Dr Aukhojee n'est pas de cet avis. Pour lui, aucune analyse médicale n'est superflue. « Ces résultats peuvent servir de référence pour un suivi médical ultérieurement », dit-il.
Et d'ajouter qu'elles sont rarement inutiles et que certains patients ne comprennent souvent pas leur importance. Il reconnaît toutefois qu'il est inutile de faire des analyses médicales trop souvent. « La fréquence est une fois l'an en moyenne pour les patients en bonne santé et deux à trois fois l'an pour ceux qui souffrent d'une maladie chronique », a-t-il ajouté.
Dr Maydhavruttji Ancharaz, Registrar Medical Council : «Aucune plainte reçue à ce jour»
Selon le Registrar du Medical Council (MC), le Dr Maydhavruttji Ancharaz, l'Ordre des médecins n'a reçu aucune plainte à ce jour pour ce qui est des « abus » de la part de certains médecins concernant les analyses médicales. Pour lui, les patients qui remarquent de telles pratiques devraient faire part de leurs doléances au MC avec preuves.
Le Dr Maydhavruttji Ancharaz dira que si le MC est mis en présence de telles allégations, le médecin concerné sera notifié de la nature de la plainte. Ce dernier, la personne qui a déposé la plainte ou des témoins peuvent être appelés par le MC pour une audience devant le comité d'enquête du MC. Une fois l'enquête terminée, le comité d'enquête présentera l'affaire devant le conseil d'administration du Conseil médical qui décidera, par la suite, des mesures à prendre.
Témoignage
Shalima : «Certaines cliniques ne font que du business»
Shalima, 41 ans, habite la capitale. Elle a pris récemment une assurance médicale en pensant être à l'abri pendant une année en cas de maladie. Mais elle a vite déchanté.
Elle s’est présentée dans une clinique privée pour des douleurs aux reins. On lui a administré du sérum par voie intraveineuse avant de lui faire une radiographie. (X-ray). « On m'a ensuite fait comprendre que je devrais être admise pour un examen de CT-scan car on avait décelé un caillou dans un de mes reins », relate Shalima.
Consciente qu'elle est couverte à 100 % par son assurance médicale, elle accepte l'admission. Mais l'examen de CT Scan n'a rien révélé et elle a été autorisée à rentrer chez elle. Mais elle a eu un choc quand on lui a présenté la note. Alors qu'elle n’est couverte que pour Rs 12 000 annuellement pour les consultations médicales et les analyses, la note s'élevait à plus de Rs 15 000. Elle a dû puiser de ses poches pour payer la différence. Pour Shalima, certaines cliniques ne feraient que du business pour tirer le maximum des patients, en particulier ceux qui ont une assurance maladie.
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