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La situation perdure depuis des années - la dette : un boulet aux pieds de l’hôtellerie

hôtel La majorité des demandes de financement concernent les projets de rénovation.

Maurice atteindra un nouveau palier record sur le plan des arrivées et des recettes. Même si l’embellie devient pérenne, de grands groupes hôteliers ont toujours un niveau d’endettement élevé à gérer. Tour d’horizon.

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Les facilités bancaires au secteur touristique ont augmenté de 228 % en dix ans. Elles sont passées de Rs 17,88 milliards en juin 2007 à Rs 40,75 milliards en juin 2017. Aujourd’hui, sur chaque Rs 1 000 que les banques ont avancée au secteur privé (particuliers inclus), Rs 118 ont été canalisées vers l’industrie du tourisme. Et, de ce montant de Rs 118, les hôtels et gestionnaires d’établissements ont eu presque Rs 108.

Dans le sillage de la crise financière de 2008, les groupes hôteliers ont multiplié les initiatives pour réduire leur niveau d’endettement : levée de fonds avec l’émission de nouvelles actions à la Bourse de Maurice et de bons, nomination d’une nouvelle équipe dirigeante et négociations avec les créanciers pour rééchelonner la dette sur une plus longue période.

Le ralentissement a surpris quelques groupes qui avaient beaucoup investi dans les rénovations et les expansions. D’autres ont été plus prudents.

Peut-on dire que le secteur croule sous le poids de la dette ? Le ministre du Tourisme, Anil Gayan, abonde dans le sens opposé : « L’industrie est résiliente et je n’y trouve aucun problème. » Philippe Espitalier-Noël, Chief Executive Officer de Rogers, président du conseil d’administration du groupe hôtelier VLH et membre du conseil d'administration de New Mauritius Hotels Limited (Rogers est actionnaire de Beachcomber), tient à relativiser, prenant comme point de départ la crise financière. « Le ralentissement a surpris quelques groupes qui avaient beaucoup investi dans les rénovations et expansions. D’autres ont été plus prudents. Ils ont passé la crise de manière plus aisée que certain », a-t-il dit dans un entretien accordé le jeudi 24 août. « On est en train de sortir de la crise depuis un moment déjà. Petit à petit, la qualité des bilans de l’ensemble de l’hôtellerie se rétablit de manière assez certaine. Certains (groupes) sont encore en train de faire des efforts pour rattraper le retard », dit-il.

Certes, l’industrie-clé qu’est le tourisme est en croissance, avec des arrivées estimées à 1,36 million et des recettes proches de Rs 59 milliards pour 2017, selon les estimations publiées par Statistics Mauritius le jeudi 24 août.

Eu égard aux récentes annonces sur le site de la Bourse de Maurice et les commentaires dans les bilans financiers, on peut affirmer que tout est pour le mieux dans les comptes des principaux groupes.

Exception faite du groupe LUX* Island Resorts qui a été le premier à prendre le taureau par les cornes avec le soutien de son actionnaire de référence (désormais connu comme IBL Limited), peu après la crise financière. En cinq ans, à partir de 2010, LUX* Island Resorts a remboursé Rs 2,4 milliards de dettes. La situation s’est améliorée depuis.

Ce qui n’est pas le cas pour d’autres groupes. Aujourd’hui, des opérateurs incontournables dans le paysage touristique, tels que Sun Limited et New Mauritius Hotels Limited - ce dernier étant le premier groupe touristique du pays en termes de revenus et de capitalisation boursière - ont toujours du pain sur la planche pour réduire leur niveau d’endettement. Au 30 juin 2016, le montant de la dette de Sun a été de Rs 9,3 milliards. Et au terme de son année financière 2015/2016, la dette de New Mauritius Hotels a été de Rs 17,6 milliards.

À l’opposé des grands groupes, des opérateurs de taille moindre comme Veranda Leisure & Hospitality (VLH) - propriétaire de sept établissements dans le pays - sont mieux lotis.

L’émission de bons : un moyen d’éponger les dettes

Entre fin décembre 2016 et fin juin 2017, la dette du secteur touristique a chuté de Rs 2,2 milliards. On pourrait attribuer cette baisse aux initiatives telles que l’émission de bons ou la vente et cessions-bails des murs. Est-ce qu’on pourrait dire que cette baisse est également due au fait que les banques sont réticentes à accorder davantage de crédit au secteur hôtelier ?

Interrogé à cet égard, Philippe Espitalier-Noël, CEO du groupe Rogers, dira d’emblée qu’il faut d’abord regarder les sujets au cas par cas. Et de préciser qu’il ne voit aucune réticence ou d’hésitation des banquiers mauriciens et financiers « à soutenir de manière plus que raisonnable les besoins de l’industrie ». Il fait ressortir que ces institutions sont très solidaires et accompagnent leurs clients. Ceux qui ont recours à des financements alternatifs ont fait leurs calculs et ont pensé pouvoir faire un arbitrage favorable par rapport à ce que les banques leur offrent.

Sur ce volet, le CEO de VLH (faisant partie du conglomérat Rogers), François Eynaud explique que son groupe a contracté des emprunts en euros qui permettent de diminuer les frais financiers. Il admet, cependant, que beaucoup de grands groupes sont encore un peu trop endettés. « Ils font ce qu’il faut actuellement», dit-il.


Pourquoi les hôtels s’endettent-ils ?

Rs 26,9 milliards. C’est le montant de crédit accordé aux hôtels par les banques commerciales à fin juillet 2017. Pourquoi les établissements hôteliers se tournent-ils vers les banques ?  Projets d’acquisition, travaux de rénovation, projets d’extension sont autant de raisons avancées.

Selon la cellule de communication de la Mauritius Commercial Bank (MCB), les projets de financement pour la construction de nouveaux hôtels sont peu nombreux de nos jours. « Des financements sont plutôt demandés pour la rénovation des hôtels existants », soutient-on. C’est le même son de cloche auprès de la State Bank of Mauritius (SBM). « Avec la croissance que connaît notre secteur touristique, nous comptons un nombre satisfaisant de prêts aux hôtels. La majorité des demandes de financement concerne les projets de rénovation et d’extension », indique le Chief Executive Banking, Raj Dussoye. Et d'ajouter que la banque peut aussi considérer des prêts en devises étrangères ainsi que des financements pour des projets aux plans régional et international.

Les montants accordés

Fareed Soobadar, Divisional Head - Corporate Banking à la Bank One, partage le meme avis. « D’ailleurs, nous avons récemment décaissé un prêt de Rs 260 millions pour un grand groupe hôtelier », a-t-il souligné. À la MauBank, il y a une croissance de la demande pour des prêts, que ce soit auprès des grands hôtels ou encore des petits hôtels. «  Les prêts sont octroyés principalement pour financer les travaux de rénovation des hôtels », soutient Anouchka Saddul, Head of Corporate Affairs.

Selon le bilan financier se terminant au 30 juin 2016, le montant octroyé par le Groupe MCB au secteur touristique dans son ensemble s’élevait à Rs 12 milliards. À la SBM, le niveau d’endettement des hôtels était de 13 % en décembre 2016.

La MauBank, pour sa part, a octroyé des prêts au-delà de Rs 2 milliards au secteur à juin 2017. À la Bank One, le portefeuille pour le secteur hôtelier se chiffre à Rs 1,2 milliard, selon le dernier bilan financier audité. Actuellement, les emprunts du secteur hôtelier représentent 7.3 % de l’ensemble du portefeuille de prêts à la Bank One.

Pas de directives de la BoM

Il n’y a pas de directives spécifiques imposées aux  banques commerciales sur le taux autorisé pour l’octroi des prêts aux hôtels, selon la Banque de Maurice (BoM). « Le taux est libéralisé. Les banques sont libres de décider du taux qu'elles veulent pratiquer aux hôtels », soutient-on auprès de la Banque centrale.

En sus du financement, la banque offre un accompagnement aux clients, notamment dans le domaine de la gestion de la trésorerie, les cartes bancaires, les services de paiement et les projets IHS (Invest Hotels Scheme), entre autres.

Le montant de prêts accordés

Tourisme Rs 40,7 millards
-segments  
Hôtels Rs 26,9 milliards
Tour-opérateurs & agences de voyages Rs 412,2 millions
Titulaires de certificats de développement d'hôtels Rs 1,2 milliard
Titulaires de certificats de service de gestion hôtelière Rs 10,3 milliards
Restaurants Rs 629 millions
Magasins hors-taxe Rs 16,2 millions
Autres Rs 1,3 milliard
   
Source : BoM  

Le niveau d’endettement des grands groupes hôteliers

À combien s’élève la dette des établissements hôteliers ? Font-ils parallèlement des pertes ou des profits ? Gros plan sur leur performance financière. 

Constance Hotels Services Ltd : Dettes de Rs 6,36 Mds

  • Nombre d'hôtels : sept (deux à Maurice, deux aux Seychelles, deux aux Maldives et un à Madagascar) : Constance Prince Maurice et Constance Belle Mare Plage par exemple.
  • Chiffre d’affaires : Rs 3,63 milliards en 2016 contre Rs 3,75 milliards en 2015
  • Profits : Rs 2,88 millions en 2016 contre Rs 229,9 millions en 2015. Cet écart s’explique par des pertes de Rs 170,78 millions au trimestre se terminant au 30 juin 2016.
  • Niveau d’endettement : Rs 6,36 milliards en 2016 contre Rs 5,71 milliards en 2015
  • Actifs : Rs 10,3 milliards en 2016 contre Rs 10,32 en 2015
  • Levée de fonds : non communiqué

Attitude Property Ltd : Dettes de Rs 962,47 M

  • Nombre d'hôtels : Trois : Ravenala Attitude, Récif Attitude et Tropical Attitude
  • Chiffre d’affaires : Rs 158,6 millions en 2015-16 contre Rs 101,97 millions en 2014-15
  • Profits : Rs 84,48 millions en 2015-16 contre Rs 26,08 millions en 2014-15. La compagnie ne donne pas d’explications sur cette hausse.
  • Niveau d’endettement : Rs 962,47 millions en 2015-16 contre Rs 2,3 milliards en 2014-15. La compagnie ne donne pas d’explications sur cette baisse.
  • Actifs : Rs 2,63 milliards en 2015-16 contre Rs 2,31 milliards en 2014-15. La compagnie possède trois hôtels qu’elle loue à Attitude Hospitality Ltd.
  • Levée de fonds : Rs 820,2 millions en entrant à la Bourse de Maurice en septembre 2015 pour diminuer son endettement.

Tropical Paradise Co Ltd : Dettes de Rs 603,53 M

  • Nombre d'hôtels : quatre - Labourdonnais Waterfront Hotel, Le Suffren Hotel & Marina, Hennessy Park Hotel et Port Chambly Hotel
  • Chiffre d’affaires : Rs 647,81 millions en 2015-16 contre Rs 570,66 millions en 2014-15
  • Profits : Rs 19,25 millions en 2015-16 contre Rs 6,06 millions en 2014-15. Cette augmentation est attribuée à la réouverture du Labourdonnais Waterfront Hotel et la progression du Hennessy Park Hotel.
  • Niveau d’endettement : Rs 603,53 millions en 2015-16 contre Rs 585,71 millions en 2014-15. Le groupe ne donne pas d’explications sur cet endettement.
  • Actifs : Rs 2,2 milliards en 2015-16 contre Rs 2,18 milliards en 2014-15.
  • Levée de fonds : Rs 125 millions sous la forme d’actions numéraires en 2015 pour la rénovation du Labourdonnais Waterfront Hotel et pour diminuer son endettement.

New Mauritius Hotels Limited : Dettes de Rs 17,6 Mds

  • Nombre d'hôtels : 10 (Royal Palm Beachcomber Luxury, Paradis Beachcomber, Trou-aux-Biches Beachcomber, Beachcomber French Riviera (gestion).
  • Chiffre d’affaires : Rs 9,6 milliards en 2015/16 contre Rs 9,16 milliards en 2014/15
  • Rentabilité : Pertes de Rs 967 millions en 2015/16 contre des profits après impôts de Rs 181 millions en 2014/15. Ces pertes s’expliquent par le fait que le conseil d’administration de NMH a adopté une position prudente à l’égard de la valeur comptable de l’investissement immobilier et hôtelier au Maroc et un nombre additionnel d’éléments exceptionnels.
  • Endettement : Rs 17,6 milliards en 2015/16 contre Rs 15,5 milliards en 2014/15
  • Valeur des actifs : Rs  25,06 milliards
  • Levée de fonds : Rs 4 milliards à travers la création de Beachcomber Hospitality Investments pour rembourser les créanciers vers la fin de 2016

Sun Limited : Dettes de Rs 9,27 Mds

  • Nombre d’hôtels : sept (cinq sous la marque Sun Resorts, dont Long Beach, et deux sous forme d’actifs, dont Shangrila’s Le Touessrok Resorts & Spa).
  • Chiffre d’affaires : Rs 5,01 milliards en 2015/16 contre Rs 6,3 milliards en 2014/15
  • Rentabilité : Pertes de Rs 369 millions contre des profits de Rs 405 millions en 2014/15 suite à des travaux de rénovation, de la fermeture des hôtels et des charges financières
  • Endettement net : Rs 9,27 milliards en 2015/16 contre Rs 6,92 milliards en 2014/15
  • Valeur des actifs : Rs 15,88 milliards
  • Levée de fonds : Rs 5 milliards en novembre 2016 et Rs 1,9 milliard mi-2017, l’argent servant à restructurer la dette et consolider les assises financières

LUX* Island Resorts : Dettes de Rs 4,64 Mds

  • Nombre d’hôtels : 18 (possède 7 établissements, dont le LUX* Belle-Mare, et gèrerait 11 hôtels selon son dernier rapport annuel)
  • Chiffre d’affaires : Rs 5,16 milliards en 2015/16 contre Rs 5,66 milliards en 2014/15
  • Rentabilité : Rs 418,48 millions contre Rs 384,05 millions, suite à une hausse dans le taux d’occupation et des dépenses par chambre
  • Endettement : Rs 4,64 milliards contre Rs 4,21 milliards en 2014/15
  • Valeur des actifs : Rs 8,52 milliards
  • Levée de fonds : Rights Issue de Rs 1 milliard en 2010. De 2010 à 15, des excédents de trésorerie aidant, le groupe a repayé Rs 1,4 milliard additionnels.

Sen Ramsamy, directeur général de la Tourism Business Intelligence : «L’endettement des hôtels, une suite logique»

L’hyper-connectivité des touristes oblige les hôteliers à se réinventer et, donc, à s’endetter. Tel est l'avis de Sen Ramsamy, directeur général de la Tourism Business Intelligence (TBI).

Quelles sont les raisons de l’endettement des hôtels ?
La nouvelle génération de voyageurs est très connectée, très informée, et donc très exigeante sur l’offre hôtelière. La demande est en constante évolution et le secteur hôtelier est obligé de rénover et d’innover pour pouvoir rester compétitif. De ce fait, l’investissement dans le produit devient primordial. Avec les prix bas pratiqués par les hôtels en général, presqu’une braderie de la destination Maurice, sans compter le rôle de la parahôtellerie et les nouvelles tendances de l’hébergement comme Airbnb, les revenus sont en baisse alors que les coûts opérationnels restent élevés. L’endettement des hôtels devient une suite logique.

Le concept "tout compris" ne vient pas arranger les choses, car il tue la destination Maurice lentement. »

Pourquoi leur niveau d’endettement reste élevé malgré des ventes d’actifs ?
En termes d’arrivées touristiques, la destination Maurice est sur une courbe ascendante. Cependant, je suis le seul à tirer la sonnette d’alarme depuis longtemps, car l’accent est mis sur le volume des arrivées touristiques alors que la priorité devrait être la rentrée en devises étrangères. Si on incitait chaque touriste à dépenser US 200 (Rs 6 615) en moyenne par jour, avec 1,3 million de visiteurs, on aurait atteint l’objectif de Rs 100 milliards cette année. Malheureusement, ici on reçoit beaucoup de touristes qui dépensent peu alors qu’il serait plus sage d’avoir moins de touristes qui dépensent plus. Le concept « tout compris » ne vient pas arranger les choses, car il enrichit les tour- opérateurs étrangers et tue la destination Maurice lentement. Ce qui compte le plus pour moi dans le tourisme, c’est l’investissement, les revenus, le nombre d’emplois et la valeur ajoutée. La croissance du nombre de visiteurs chez nous n’est qu’un mirage qui plaît à certains.

Dans quelle mesure les hôtels misent sur les levées de fonds pour éponger leurs dettes ?
Il y a plusieurs façons de financer un hôtel, à commencer par les fonds propres, les actions et les emprunts auprès des banques. L’émission d’obligations pour une durée déterminée à un taux raisonnable devient aussi une pratique courante chez les hôteliers. Cette formule permet aux hôteliers d’investir et d’agrémenter leurs offres sans avoir à emprunter davantage auprès des banques. Il y a encore une autre formule qui arrive à Maurice, mais qui est déjà une pratique très courante ailleurs dans le monde. C’est le contrat de gestion. Il vient alléger considérablement le fardeau de la dette de l’hôtelier et lui permet de se focaliser sur sa mission première, c’est-à-dire la gestion professionnelle et les opérations quotidiennes. Les hôteliers se retirent comme propriétaires des murs mais ils gardent l’enseigne et la gestion de l’hôtel. Il y a plusieurs formules de gestion et cette stratégie permet aussi l’exportation de la marque et du savoir-faire de l’hôtelier.

La levée de fonds est-elle une nouvelle stratégie des hôteliers ?
Par ailleurs, c’est toujours mieux de lever des fonds et d'avoir de l’argent pour innover ou s’agrandir sans s’endetter lourdement auprès des banques. Je connais des banques qui imposent jusqu'à 6,5 % d’intérêt sur des emprunts en euro à Maurice. Dans quelle situation se retrouve un investisseur qui a pris déjà de gros risques pour stimuler l’économie locale, créer de la richesse pour le pays et des emplois pour nos jeunes ? Je pense que le gouvernement aurait dû imposer un plafond sur les taux pratiqués par certaines banques sur les operateurs économiques, surtout pour le seul secteur qui maintient fidèlement et durablement la croissance économique de notre pays.

 

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