Ils sont aujourd’hui environ 38 000 détenteurs d’un « work permit » qui opèrent dans divers secteurs d’activités à Maurice. Hormis de combler la pénurie de main-d'œuvre, ces travailleurs étrangers contribuent également à la croissance de l’économie locale. Dans quelle mesure ? Le point.
Consommation et commerce : Une clientèle avec un pouvoir d’achat élevé
L’économiste Takesh Luckho, pour sa part, soutient que les travailleurs étrangers sont aussi des consommateurs. Ils achètent des produits et services dans les supermarchés et les restaurants. « Bien que leur nombre soit inférieur à celui de la population locale, ils contribuent à l'économie en payant la TVA sur les biens et services qu'ils consomment », dit-il.
De son côté, Suttyhudeo Tengur, président de l'Association pour la protection de l'environnement et des consommateurs (APEC), souligne que tout travailleur étranger embauché dans n'importe quel secteur économique a deux besoins fondamentaux : se procurer de la nourriture et avoir un endroit où vivre. « Avec un plus grand nombre de travailleurs étrangers dans le pays, il va de soi que le rythme de consommation prend un coup d’accélérateur. De plus, comme l’homme ne vit pas que du pain, les étrangers cherchent aussi des moyens pour se divertir et entrent ainsi dans le circuit de socialisation dans le pays », ajoute notre interlocuteur.
Un avis que partage Claude Canabady, porte-parole de la Consumers' Eye Association. « Étant donné que les travailleurs étrangers séjournent dans le pays sur une longue période, ils dépensent de l'argent quotidiennement pour couvrir leurs besoins de base. Les professionnels expatriés qui disposent d'un pouvoir d'achat élevé ont également tendance à consacrer une part significative de leurs dépenses aux loisirs locaux », explique-t-il. Par ailleurs, on constate que les grandes surfaces et les commerces se sont implantés dans des régions où les étrangers sont nombreux à résider, notamment à Tamarin, Rivière-Noire et Grand-Baie, entre autres. Une responsable de magasin à Tamarin explique : « Les professionnels étrangers représentent une clientèle ayant un pouvoir d'achat considérable, c'est pourquoi nous avons choisi de répondre à leurs besoins, ce qui contribue à augmenter notre chiffre d'affaires ».
Impôts : Les professionnels étrangers y contribuent
Les travailleurs étrangers qui gagnent un revenu imposable à Maurice sont tenus de payer l'impôt sur le revenu, tout comme les contribuables mauriciens, indique-t-on au niveau de la Mauritius Revenue Authority. La contribution fiscale dépend donc du niveau de revenu de chaque travailleur étranger. À Maurice, ce sont principalement les professionnels et les chefs d’entreprises étrangers qui payent des impôts. L’économiste Pierre Dinan affirme, cependant, que dans la plupart des cas, les salaires des travailleurs étrangers ne restent pas dans le pays. « Dans le secteur manufacturier, par exemple, les ouvriers envoient la majorité de leurs salaires dans leurs pays d’origine, d’où la fuite de revenus », dit-il. Néanmoins, il concède que dans le cas des professionnels qui paient des impôts, c’est le gouvernement mauricien qui gagne en termes de revenus.
Productivité : Un effet positif sur le PIB
François de Grivel, un entrepreneur industriel, soutient que les étrangers, en particulier dans le domaine manufacturier, viennent à Maurice dans le but de gagner un revenu supplémentaire qu'ils enverront ensuite à leur famille dans leur pays d'origine. « Dans cette optique, ils sont enclins à effectuer des heures supplémentaires, allant au-delà de la limite de 45 heures par semaine, dans l'espoir de recevoir des primes supplémentaires », fait-il comprendre. Du coup, les entreprises en sortent gagnantes. « Nous arrivons ainsi à respecter et à livrer les commandes dans les délais impartis. Par ailleurs, grâce à cette rapidité, nous sommes en mesure de maintenir une relation favorable avec nos clients et de conclure de nouvelles commandes » explique notre interlocuteur. Au final, dit-il, c’est l’économie en général qui en bénéficie. « Avec de nouvelles commandes, les exportations augmentent, ce qui génère davantage de revenus à l’économie », fait-il ressortir.
Nasser Moraby, président de l'Association des propriétaires de boulangeries, abonde dans le même sens. « Il faut compter quelque 2 000 étrangers qui travaillent dans les boulangeries dans le pays actuellement. Si les Mauriciens arrivent à avoir leurs pains tous les jours et même pendant les jours fériés c’est grâce à ces travailleurs étrangers », indique-t-il. Selon lui, ces personnes ne sont pas seulement régulières, mais également productives. « Et la réussite d’une économie repose sur la productivité », soutient-il.
C’est le même son de cloche dans le secteur des TIC. Jenny Chan, présidente de l’Outsourcing and Telecommunications Association of Mauritius (OTAM), affirme que le savoir-faire et les compétences des travailleurs étrangers ont le potentiel de dynamiser l'innovation, d'accroître la productivité et de renforcer la compétitivité dans plusieurs domaines. « Cette contribution peut alors exercer un effet bénéfique sur le Produit intérieur brut (PIB) en favorisant la croissance économique », précise-t-elle.
L'économiste Pierre Dinan partage la même opinion. « Pour qu’une économie prospère, la productivité doit primer », appuie-t-il. Selon lui, les travailleurs étrangers contribuent énormément à la richesse du pays.
Immobilier : La location des biens gagne du terrain
Si les opérateurs étrangers dans les usines optent pour les dortoirs offerts par leurs employeurs, les professionnels, toutefois, logent dans des appartements, des maisons de luxe ou encore des villas. La demande auprès des étrangers stimule ainsi la croissance dans le secteur de l’immobilier. « La clientèle étrangère demeure de plus en plus importante pour nos activités. Les professionnels n’hésitent pas à investir dans la location des biens de luxe pour leur confort durant leur contrat à Maurice. Ils sont disposés à payer plus en sus du budget offert par leurs employeurs pour la location », confie un agent immobilier à Quatre-Bornes.
Selon lui, les professionnels indiens sont nombreux à louer une maison à Sodnac, même si les tarifs dans cette région sont plus élevés. Pour sa part, Suttyhudeo Tengur soutient que la présence des travailleurs étrangers exerce une pression certaine sur l’immobilier. « Chaque employeur doit garantir un lieu où ces étrangers peuvent manger et dormir au moins sans crainte. Ainsi, si les loyers augmentent demain, cela ne devrait pas être une surprise », fait-il remarquer.
La main-d'oeuvre étrangère coûte-t-elle moins cher ?
Il existe souvent une perception selon laquelle les travailleurs étrangers, en particulier dans le secteur manufacturier et de la production, sont considérés comme une main-d'oeuvre bon marché. Cependant, dans le domaine professionnel, cette notion est fermement rejetée.
François de Grivel : « D’abord, les lois du travail à Maurice, comme dans de nombreux autres pays, définissent les normes de rémunération minimale, les avantages sociaux et les droits des salariés. Les travailleurs étrangers sont soumis aux mêmes lois du travail que les employés locaux. Par ailleurs, le recours à la main-d’œuvre étrangère coûte plus cher à une entreprise. « Il faut compter une série de coûts, notamment au niveau du déplacement des travailleurs, l’hébergement et les factures », indique-t-il.
Nasser Moraby : « Dans la boulangerie, un Bangladais touche entre Rs 800 et Rs 900 par jour pour huit heures de travail. C’est le même salaire proposé aux Mauriciens. Pour employer un Malgache par exemple, un employeur doit débourser au moins Rs 28 000 par tête. Cela comprend le frais de déplacement, le frais d’application et les frais de ‘work permit’, entre autres. En outre, l’employeur doit prévoir un budget important pour l’hébergement et les factures mensuelles ».
Jenny Chan : « Dans certains secteurs, comme le TIC, les entreprises sont souvent contraintes de chercher des profils à l’étranger en raison de la pénurie de ressources sur le marché local. Parfois, la situation n'est pas tant liée au coût qu'à la viabilité, lorsqu'il devient essentiel de dénicher les ressources humaines requises dans les délais prescrits, pour satisfaire les exigences des clients et prévenir la perte de projets. Dans le secteur des TIC, les étrangers perçoivent une rémunération équitable selon leurs compétences et leurs expériences individuelles. À cela, s'ajoutent d'autres avantages tels que des indemnités et la prise en charge du logement. Cela engendre donc des coûts supplémentaires pour l'entreprise ».
Pierre Dinan : « Les autorités doivent s’assurer que les étrangers touchent les mêmes salaires que les Mauriciens. C’est une question de réputation pour le pays. Si les travailleurs sont surexploités, des impacts économiques négatifs peuvent être attendus ».
Reaz Chuttoo : « Maurice progresse grâce à la contribution de la main-d’œuvre étangère »
Reaz Chuttoo, de la Confédération des Travailleurs du Secteur Privé (CTSP), met en avant le rôle incontournable des travailleurs étrangers dans le progrès économique de Maurice. Selon lui, leur apport est essentiel pour combler le déficit croissant de main-d’œuvre que connaît le pays depuis au moins trois ans. Cette pénurie, soutient-il, s’explique par le choix des Mauriciens de se tourner vers la migration, entraînant une diminution de la main-d’œuvre disponible. Cette situation crée une compétition inégale entre les travailleurs locaux et les travailleurs étrangers pour les emplois disponibles.
Reaz Chuttoo insiste ensuite sur le fait que « la contribution des travailleurs étrangers est cruciale pour le développement du pays et que leur présence est nécessaire pour éviter la paralysie économique ». Le syndicaliste de la CTSP affirme que Maurice devra toutefois s’ouvrir à l’immigration, et dans ce contexte, le terme « travailleurs étrangers » devra être repensé.
Notre intervenant met en lumière l’importance cruciale de la main-d’œuvre étrangère dans le développement de l’économie mauricienne. Faizal Ally Beegun, représentant syndical des travailleurs étrangers, renforce cette perspective en mettant en avant les multiples façons dont la main-d’œuvre étrangère contribue à l’avancement économique du pays. Il rappelle, par ailleurs, que cela fait maintenant trois décennies que les travailleurs étrangers sont recrutés à Maurice et qu’au fil des années, « leur contribution a été inestimable ».
« L’emploi de travailleurs étrangers en tant que renfort dans certaines industries revêt une importance cruciale. Leur présence contribue de manière significative à la stabilité et à la pérennité des entreprises locales », souligne, pour sa part, Eddy Jolicoeur, consultant en ressources humaines. Ce dernier fait ressortir que « sans la main-d’œuvre étrangère, de nombreux secteurs tels que la construction et le commerce n’auraient jamais pu prospérer ».
Faizal Ally Beegun souligne également que ces ressortissants étrangers, qui ont passé de nombreuses années à Maurice, ont contribué à l’économie locale en payant leurs impôts et en participant au fonds de pension nationale, la défunte NPF (National Pension Fund). Il insiste sur le rôle vital de la main-d’œuvre étrangère dans le succès de la zone franche et explique que les travailleurs étrangers sont présents dans de nombreux secteurs d’activité, y compris l’industrie manufacturière, l’élevage, la boulangerie, la pâtisserie, la restauration, la construction, la mécanique, la coiffure, ainsi que dans les salons de massage, entre autres. « Cette diversité d’industries qui emploient des travailleurs étrangers reflète leur impact significatif sur l’économie et la société mauriciennes », souligne Faizal Ally Beegun.
Productivité - Faizal Ally Beegun : « Ce sont de véritables bosseurs »
Une question qui revient fréquemment : les travailleurs étrangers sont-ils plus productifs que leurs homologues mauriciens ? Selon Reaz Chuttoo, de la CTSP, la réponse est oui. Il souligne que ce sont des travailleurs acharnés, prêts à consacrer jusqu'à 20 heures par jour à leur travail, que ce soit en semaine, le week-end ou les jours fériés. Pour eux, l’expression « time is money » n’est pas vaine. Reaz Chuttoo estime que « cette détermination est compréhensible » et dresse un parallèle avec le cas des Mauriciens qui partent travailler au Canada ou en Australie. « Ces expatriés se donnent à fond pour gagner un maximum d’argent afin de revenir au pays le plus tôt possible avec des économies substantielles », dit-il.
Faizal Ally Beegun partage aussi cet avis. « Ce sont de véritables bosseurs, prêts à doubler leurs services et à faire des heures supplémentaires. Certains travailleurs étrangers cherchent même du travail supplémentaire, comme jardiniers ou peintres, chez des particuliers pendant leur temps libre », ajoute-t-il. Le syndicaliste souligne toutefois que malgré leur dévouement au travail et leurs contributions à l’avancement du pays, les conditions de logement des travailleurs étrangers demeurent inchangées. « Les visites fréquentes des officiers du ministère du Travail n'ont pas entraîné d’amélioration significative », affirme Faizal Ally Beegun. Abordant la question des salaires, Bhooshan Ramloll, le CEO de RBRB Construction, fait, remarquer que « ce n’est pas vrai de dire que les travailleurs étrangers touchent moins que les Mauriciens ». « Ils perçoivent le salaire minimal, mais nous devons toutefois nous acquitter des frais de déplacement par avion ainsi que du logement. Au fait, la main-d’œuvre étrangère coûte 10 % à 15 % plus cher que la main-d’œuvre locale et la performance est meilleure. Ils acceptent de faire des heures supplémentaires, travaillent durant le week-end et les jours fériés. En tant que contracteurs, nous avons des engagements. Nous n’avons pas d’autres choix que d’avoir recours aux étrangers », explique Bhooshan Ramloll. L’économiste Georges Chung soutient, cependant qu’il est primordial que « l’ouvrier étranger ait aussi une vie sociale en dehors de ses horaires de travail ». L’employeur, souligne-t-il, doit s’assurer qu’il bénéficie de toutes les facilités prévues dans la loi.
Georges Chung, économiste : « L’émigration des Mauriciens va persister »
L’économiste Georges Chung analyse la tendance en matière d’émigration des Mauriciens. Selon lui, « le nombre de Mauriciens émigrant vers des pays comme Dubaï, Singapour, le Canada ou l'Australie continuera d’augmenter, tant que ces destinations n’auront pas atteint leur plein potentiel en termes de développement économique ». « L’émigration des Mauriciens va persister. C’est un sujet qui continuera d’être observé de près, en raison de ses implications sur la démographie et l’économie de l’île Maurice », dit-il.
Il souligne que Dubaï et Singapour, bien que relativement petits en termes de territoire et de population, ont des économies très avancées et des plans de développement ambitieux. « Ils dépendent en grande partie de la main-d’œuvre étrangère pour poursuivre leur croissance », dit-il. Georges Chung révèle qu’environ 40 % de la population singapourienne est composée de travailleurs venant de pays voisins tels que le Vietnam et l’Indonésie. Selon lui, cette dépendance à l’égard de la main-d’œuvre étrangère devrait s’accentuer au fil des années.
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