Interview

Kugan Parapen : «L’élite économique est trop égoïste et conservatrice à Maurice»

Porte-parole des questions économiques à Rezistans ek Alternative, Kugan Parapen brosse à grands traits les points saillants de la situation économique à Maurice. Il pointe du doigt notre modèle de développement économique, aborde le projet Metro Express ainsi que le secteur des PME, entre autres.

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À quelques semaines du Budget 2017-2018, quel est votre analyse de la situation économique à Maurice ?
En 2016, selon les estimations de MCB Focus, la croissance se situait à 3,7 %, largement en-dessous de nos espérances. Le modèle économique mauricien est excessivement dépendant du monde extérieur et depuis un certain temps déjà, nous, chez Rezistans ek Alternativ, tirons la sonnette d’alarme sur cette dépendance sur l’extérieur et les chiffres relatifs aux événements mondiaux nous donnent raison.

Le plus important à savoir, c’est que nos exportations sont tombées de 5,2 % en 2016. Le plus gros contributeur à cette mauvaise performance est la Grande-Bretagne, notre principal marché d’exportation. Pour 2017 et les prochaines années, il est très probable que l’économie britannique connaîtra des turbulences assez importantes, en raison des retombées du Brexit. Il est aussi important de s’attarder sur la qualité de la croissance, car en 2016, une grande partie de celle-ci est à mettre au compte du développement foncier, qui est non-productif et spéculatif. Le problème avec ce type de développement est qu’il n’est pas éternel, car la terre n’est pas en superficie illimitée. Lorsqu’on en aura fini avec ce type de développement dans un but commercial et résidentiel, ce modèle ne marchera pas.

Que peut-on attendre de la relance du secteur des PME, avec la publication d’un MasterPlan échelonné sur 10 ans ?
En qu'il s’agit des PME, beaucoup de personnes prennent pour acquis qu’une culture entrepreneuriale se développe du jour au lendemain, et on est convaincu que c’est le seul accès aux capitaux qui conduira un entrepreneur à bon port. Ce n’est pas suffisant. Un entrepreneur, c’est un peu comme un jongleur qui traite plusieurs facteurs en même temps. C’est un talent qui s’apprend, et c’est un peu dans le sang. Très souvent, le budget destiné aux PME est canalisé vers les proches du pouvoir et leurs acolytes.

Pravind Jugnauth, comme Premier ministre, a-t-il, selon vous, créé cet élan de confiance dont certains lui prêtent ? Ses proches parlent de lueur…
Il faut se garder  d’évaluer Pravind Jugnauth sur ces derniers 100 jours, mais plutôt depuis qu’il est ministre des Finances, qui remonte à 2016. Quant à la lueur, elle doit certainement passer par l’imposte… Plus sérieusement et jusqu'à preuve du contraire, l’accession de Pravind Jugnauth au poste de Premier ministre n’a fait aucune différence avec ce qui existait déjà. À part d’être un gouvernement voué au service du grand capital et des bailleurs de fonds, ce gouvernement a laissé totalement de côté les attentes de la population. Il a choisi de se concentrer sur le Metro Express, mais il est étrange que personne ne s’est pas encore attardée sur la stérilité économique de ce projet.

En général, lorsqu’un gouvernement s’engage dans un grand chantier, celui-ci a pour mission de booster une économie en panne. Le Metro Express fait partie, à priori, de cette catégorie de projet. Mais lorsqu’on décortique les détails du projet, on se rend compte de la supercherie et de l’ingéniosité des Indiens. L’Inde a accordé au gouvernement mauricien plus de Rs 10 milliards en contrepartie de l’annulation du Traité de non-double imposition. Mais, subtilement, à travers le financement du Metro Express, l’Inde reprend la majorité de cet argent. Les Rs 10 milliards  qui sont rentrées dans le circuit monétaire mauricien vont ressortir aussi vite qu’elles sont rentrées avec la signature du contrat du Metro Express par les firmes indiennes.

Pour pousser le bouchon un peu plus loin, il est fort possible que la majeure partie des travaux soient entrepris par des travailleurs étrangers. Au final, on verra zéro investissement dans l’économie domestique et aucune création d’emploi direct. L’Inde a su habilement se jouer de nous. Le gouvernement mauricien peut toujours fanfaronner qu’il a fait du pays un vaste chantier, mais la réalité des choses est un peu plus nuancée.

À chaque Budget de ce gouvernement, l’Inde apporte des milliards. Ne sommes-nous pas sous perfusion ?
Maurice a toujours obtenu des prêts bilatéraux à des taux préférentiels des pays dits amis, mais comme on le sait, ‘There is nothing like a free lunch’. L’Inde et la Chine ont des intérêts impérialistes, et au sein de Rezistans ek Alternative, nous trouvons dommage et préoccupant que Maurice, comme État souverain,  se prête à ce jeu. Nous aurions dû rechercher nos finances auprès des marchés financiers internationaux et non auprès des autres pays, qu’ils soient amis ou pas.

Est-ce que l’État mauricien est-il proche d’un endettement insoutenable ?
Maurice subit ce qu’on désigne comme un Dual Deficit Syndrome, c’est-a-dire un déficit du compte courant et aussi budgétaire. Cela de manière chronique. Sur le long terme, son impact fragilisera notre économie et sera une entrave à l’épanouissement de la population. Il faut savoir que la dette découle directement du déficit budgétaire. Pourquoi un pays s’endette-t-il ? C’est le fait qu’il dépense plus qu’il reçoit. À Maurice, il existe une irresponsabilité plus que déplorable du secteur privé, car celui-ci ne contribue pas aux coffres de l’État d’une manière responsable. D’ailleurs, en ce moment, des lobbies du secteur privé s’activent pour ramener la taxe sur les profits à 5 ou 10 %, contre 15%. Si cela arrive, le grand perdant seront les coffres du gouvernement et par extension la qualité de vie des citoyens mauriciens.

Le gouvernement a annoncé une série de projets créateurs d’emplois. Seront-ils effectivement réalisés ?
Dans l’immédiat, si l’on s’en tient au discours de Soodhun, c’est l’hôtel du Groupe Currimjee à La Cambuse et une vague de projets hôteliers dans le Sud qui seraient porteurs d’emplois. Si on suit la logique de Soodhun, il faudra bientôt expulser les Mauriciens pour créer de l’espace pour les touristes. Faut-il lui rappeler que Maurice n’est qu’un pays parmi 196 pays dans ce monde où la majorité d’entre eux ne possèdent pas un secteur touristique comme pilier de leur économie. Comment font-ils ? À Maurice, notre problème est que les partis traditionnels ne savent ni se réinventer ni réinventer l’économie. Ceux qui contrôlent l’économie ne laissent que des miettes à la population et aux petits entrepreneurs. Or, en élargissant l’espace de production et en réduisant leur mainmise, la chance serait donnée à plus de personnes et d’entreprises, et par la même, on relancera la croissance, grâce à la production et la consommation. Mais l’élite économique est trop égoïste et conservatrice à Maurice.

 

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