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Kugan Parapen: «Le ministre des Finances a de la marge pour présenter un Budget populaire»

Kugan Parapen

À quelques heures de la présentation du Budget 2023-2024, Kugan Parapen, économiste et porte-parole des questions économiques de Rezistans Ek Alternativ, livre une série de réflexions et d’interrogations sur les enjeux économiques et sociaux, dans un contexte encore très marqué par la pandémie et le conflit militaire en Ukraine. 

À l’approche de la présentation du Budget 2023-24, quelle est la marge dont dispose le ministre des Finances pour répondre aux attentes économiques des classes populaires et moyennes ?
Comparée aux années précédentes, la situation économique s’est largement améliorée en 2023. On pourrait même parler de normalisation de l’économie mauricienne dans le contexte actuel. Il coule de source que le ministre des Finances dispose de plus de ressources en marge de la présentation de son Budget. La base de n’importe quel Budget demeure les revenus et dans le cas d’un Budget national, essentiellement les recettes fiscales. 

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Les recettes pour la période 2022-23 ont dû être très bonnes, surtout du côté des taxes indirectes avec une inflation à deux chiffres en 2022. La hausse généralisée des prix a dû galvaniser les ponctions comme la TVA et les autres taxes similaires. Ainsi, on peut dire que le ministre des Finances a de la marge pour le Budget 2023-24. Et il devrait, selon toute probabilité, présenter un budget populaire, vu que les élections générales approchent à grands pas. 

Est-ce qu’il serait tenté de jouer pleinement la carte sociale dans un contexte marqué par des revendications et des attentes tous azimuts ?
Les observateurs politiques sont aux aguets, car le Budget qui va être présenté le 2 juin donnera une claire indication du timing des élections générales. Est-ce que le Budget 2023-24 va être le dernier Budget de Padayachy ? Si oui, attendons-nous à un budget 

« fer labous dou ». Je pense que ce gouvernement ne sera pas motivé par le contexte social, mais se laissera guider uniquement par le calendrier politique. Sinon, il aurait depuis longtemps œuvré pour faire baisser le prix des carburants.  

L’économie mauricienne est-elle en bonne voie en termes de reprise en 2023 ?
La reprise est certainement là, comme le démontre la profitabilité record de nombreuses entreprises listée sur la Bourse. Malgré un contexte économique international assez morose, l’économie mauricienne bénéficie grandement de la reprise du tourisme. Alors qu’à la même époque l’année dernière, le secteur touristique commençait à peine à retrouver son rythme de croisière, ce n’est pas le cas maintenant. Les opérateurs touristiques affichent complet aujourd’hui et ont une visibilité extrêmement positive pour le reste de l’année. Nos exportateurs se refont aussi une santé, principalement grâce à la faiblesse de la roupie. 

La reprise dans le secteur du tourisme, qui compte beaucoup pour les hôteliers et le gouvernement, n’atteindra pas le chiffre de 1 300 000, comme prévu. Swan Securities avance même qu’il n’y a pas de diversification de marchés dans ce secteur, entre autres. Le chiffre revu à la baisse aura-t-il des conséquences sur notre économie ?
Maurice surfe sur la normalisation de son économie post-Covid-19. Ainsi les chiffres économiques reluisants, surtout par rapport à la croissance, sont à prendre avec des pincettes pour la bonne et simple raison qu’on revient de loin. Le recul du PIB qu’a connu l’économie locale en 2020 et 2021 est la pire performance économique de l’île Maurice indépendante. Autant dire qu’en comparaison, n’importe quelle autre performance économique va forcément être vue comme fantastique. 

Il ne faut pas se leurrer. Dans un contexte plus large, le pays va mal. Les problèmes structurels de l’économie sont loin d’être réglés, n’en déplaise au ministre des Finances. La barre des 1,3 million de touristes qui n’a pas été atteinte s’insère dans ce constat plus général. Nos piliers économiques s’essoufflent et c’est principalement le secteur immobilier qui s’accroît de nos jours. D’ailleurs la vente du pays aux étrangers est devenue une de nos principales sources de devises. Au-delà de 2023, les défis qu’aura à relever l’économie mauricienne sont colossaux. 

Dans quelle mesure la consommation a-t-elle repris pour pouvoir prétendre être le « moteur de la croissance » ?
La consommation est indéniablement le moteur de toute économie. Ne dit-on pas qu’on évolue au sein d’une société de consommation ? Toute activité économique est liée de près ou de loin à la consommation. À bien des égards, la consommation pendant la pandémie n’a pas nécessairement diminué, mais s’est plutôt métamorphosée. L’être humain a repensé son mode de vie. Ainsi, certaines activités comme les sorties aux restaurants, les concerts et les pique-niques à la plage ont été remplacées par les repas à la maison, les jeux de société et la méditation. Ce n’est pas dans notre nature de laisser un vide dans notre emploi du temps. 

Cette métamorphose a cependant eu un effet négatif sur l’économie, car la valeur ajoutée des activités « indoors » était bien moindre que celle des activités « outdoors ». Aujourd’hui, on retrouve progressivement notre routine de vie pré-Covid-19, ce qui a un impact économique positif. Selon les prévisions, les économies des ménages liées à la Covid-19 devraient s’épuiser dans la seconde partie de 2023.  

Le secteur financier, notamment les banques, aurait été résilient face aux deux crises successives, la pandémie et le conflit militaire en Ukraine. À quoi doit-on cette résilience ?
Si on regarde le contexte local, les banques doivent une fière chandelle à la Mauritius Investment Corporation (MIC). C’est cette compagnie, qui est sous l’égide de la Banque de Maurice, qui a « bail out » les groupes hôteliers. Sans la MIC, de nombreuses institutions bancaires auraient enregistré des pertes par milliards à cause des « non-performing loans » du secteur hôtelier. 

Sur le plan monétaire, la hausse fulgurante des taux bancaires, dans l’environnement inflationniste post-conflit, a aussi été bénéfique pour les banques. Et finalement, l’activité bancaire contemporaine ne se résume plus uniquement aux dépôts et prêts traditionnels. L’activité offshore des banques représente une partie de plus en plus importante des revenus bancaires. Et avec une roupie qui a perdu plus de 30 % de sa valeur durant les dernières années, on peut imaginer les « windfall gains » pour certaines banques. 

Cependant, la hausse des taux a dû impacter de façon violente l’évaluation des obligations que détiennent les banques sur leur bilan. Aux États-Unis, certaines banques ont dû déposer le bilan. Ce qui ne risque pas d’arriver chez nous, vu la capitalisation conséquente des banques et leur situation oligopolistique. 

Quel a été l’impact de l’inscription de Maurice dans la liste noire et la liste grise des pays considérés comme paradis fiscaux ou possédant des régimes fiscaux douteux ? Sommes-nous tirés d’affaire ?
Dans le secteur de la gestion d’actifs dans lequel j’évolue, l’impact a été important par rapport à la relation avec nos partenaires stratégiques. Certains ont simplement mis un terme à notre collaboration. D’autres ont été plus pointilleux par rapport aux exercices de conformité. Finalement, notre processus d’investissement est devenu plus compliqué et aussi plus long. Ce qui n’est pas plaisant. 
Aujourd’hui, avec le retrait du pays de la liste noire et grise, la situation s’est améliorée bien que certains opérateurs continuent de traiter notre juridiction avec précaution. La situation retournera à la normale si l’offshore mauricien n’est pas mêlé à d’autres scandales. Ce qui sera difficile.  

Les banques locales aident-elles suffisamment en termes de crédit et autres soutiens aux petites entreprises ?
Les banques offrent aujourd’hui des solutions financières aux PME, selon leur particularité. Cette offre répond-elle aux attentes de ces petites entreprises ? Probablement pas totalement. Je pense qu’un audit national des banques commerciales est nécessaire pour évaluer les manquements, mais aussi les abus. Beaucoup de personnes pensent que les banques abusent de leur positionnement oligopolistique pour faire des profits anormaux sur le dos de leurs clients. Je ne pense pas que ce soit entièrement vrai ni complètement faux. Mais sans un exercice précis et objectif, il est difficile de faire le procès du secteur bancaire.  

Depuis l’apparition de la Covid-19 en 2020 et ses conséquences sur l’économie, le social et l’environnement, la question de revoir notre modèle de développement a été évoquée. Comment y parvenir ?
Revisiter notre modèle de développement est un vaste chantier. Le résultat final est tributaire de la vision de l’architecte. Sur une même portion de terrain, on peut construire des maisons « low-cost », une maison coloniale, un bloc d’appartement ou une villa pour milliardaire. Ce qui montre que la réponse à la question sur le modèle de développement à mettre sur pied peut être n’importe quoi. 
Je pense qu’il est important de se poser les bonnes questions pour trouver la réponse adéquate. À qui doit bénéficier le modèle de développement ? Aux propriétaires de capitaux ou aux personnes au bas de l’échelle sociale ? Car le modèle de développement aura un impact certain sur la société qui en découle. Veut-on recréer la société plantation qui s’est développée autour de la canne à sucre ou peut-on aspirer à quelque chose de différent ? 

Une bonne approche serait de déterminer les objectifs à atteindre et ensuite réfléchir à la manière d’y parvenir. Car il est important de rappeler à tout un chacun que l’île Maurice n’a pas été bâtie sur un concept sociétal qui fait rêver, mais sur un modèle colonial d’exploitation. 

La tentation des compétences locales d’émigrer préoccupe les autorités. Comment le gouvernement et le secteur privé doivent-ils traiter cet enjeu ?
L’émigration de jeunes professionnels a atteint son paroxysme et c’est une situation des plus préoccupantes. On a longtemps estimé que les ressources humaines du pays étaient un atout. La fuite en avant de la jeunesse mauricienne est une preuve incontestable du mal qui ronge le pays. Cette jeunesse jette l’éponge et préfère aller chercher un meilleur avenir ailleurs. De quoi alarmer les 
autorités ? Non. 

L’État semble à l’aise avec cet exode. Comme si ce phénomène l’arrangeait. Certains observateurs parlent même de tentative délibérée de fragiliser la société mauricienne à des fins géopolitiques obscures. À qui profite ce crime ?  

La question de l’insuffisance de manque de main-d’œuvre locale est souvent mise en avant par le patronat, qui souhaite plus de main-d’œuvre étrangère, est-ce un véritable défi ?
La main-d’œuvre étrangère est perçue comme étant plus productive et moins chère que celle locale. Et les entrepreneurs sont plus ou moins unanimes sur ce sujet. « Mil fwa travayer etranze. » Et c’est peut-être vrai dans pas mal de situations. Et c’est certainement un phénomène qui se propage aux quatre coins de la planète. Que faut-il faire ? 

Encore une fois, je pense qu’il est important de se poser les bonnes questions. Prenons l’hôtellerie par exemple. C’est une industrie qui occupe les plus beaux endroits de l’île. Cependant, dans le débat, l’argument de la création d’emplois a tout le temps été mis en avant pour justifier la pertinence de l’hôtellerie. Aujourd’hui, un employé sur trois n’est plus mauricien. Imaginons que dans un futur pas si lointain, une grosse majorité des employés de ce secteur soient des étrangers. Quelle sera alors la pertinence de ce secteur hormis la maximisation des profits pour les actionnaires ? 

Les entrepreneurs et actionnaires doivent prendre conscience de leur vulnérabilité si leurs activités économiques ne génèrent plus d’emplois pour la société dans laquelle elles évoluent. Et encore une fois, posons-nous la question de savoir quel est l’objectif primaire d’une économie : le travail pour tous ou la marge de profits de certains ? En tant que citoyens de ce pays, devons-nous être d’accord de sacrifier les emplois pour les locaux, afin que le capitaliste augmente sa marge ? Il y a une nuance entre trouver de la main-d’œuvre étrangère qui serait complémentaire à la main-d’œuvre locale et trouver des étrangers pour remplacer les Mauriciens. Il y a un équilibre à trouver.

 

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