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Kris Valaydon : «Un nouveau leader politique ne tombe pas du ciel du jour au lendemain»

Si le pays veut véritablement avancer sur les plans politique, démocratique et de la bonne gouvernance, une série de réformes profondes s’impose, estime Kris Valaydon, juriste, analyste politique, consultant international et ancien haut fonctionnaire international. Cela commence par une bonne réforme électorale et institutionnelle.

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Un sondage récent réalisé par Synthèses-Maurice montre que les partis parlementaires ne sont pas très populaires auprès des électeurs, mais que les partis extraparlementaires le sont encore moins. Le MSM obtient 19,7 % des intentions de vote, contre 11 % pour le PTr, tandis que l’alliance gouvernementale recueille 24,8 % des suffrages, contre 36 % pour l’alliance PTr/MMM/PMSD. Les partis extraparlementaires ne séduisent que 3 % des électeurs. Comment expliquer ce phénomène ?
Tout d’abord, il y a la notion du vote utile. On constate que cette tendance persiste, surtout parce que les élections sont très polarisées à Maurice, comme peut-être ailleurs dans le monde. Bien sûr, dans certains pays, on évolue ou l’on a évolué vers une troisième, voire une quatrième force, avec l’arrivée des mouvements écologistes, par exemple. 

Quand il y a une dose de proportionnelle dans un système électoral, cela favorise l’émergence d’autres forces et va à l’encontre de la polarisation politique traditionnelle. Mais à Maurice, le phénomène ne s’est pas produit et l’électorat a tendance à se diviser en deux, ce qui peut schématiquement être résumé entre ceux en faveur du gouvernement et ceux qui sont contre. Évidemment, chez ceux qui sont contre le pouvoir, il y a parfois une division, comme on l’a constaté en 2019, lorsque les partis de l’opposition étaient divisés en deux blocs. 

Dans un tel phénomène de polarisation, les indépendants et les nouveaux partis ont bien du mal à se frayer un passage. Puis, outre les die-hards qui voteront aveuglément pour tel ou tel parti traditionnel, les électeurs indécis optent pour le parti qui a le plus de chances de remporter les élections. Se laissant gagner par une logique de vote utile, ils optent pour des candidats qui émanent des partis ayant le plus de chances de remporter les élections. 

La perception qu’ils sont en train de faire le jeu du gouvernement est au désavantage des petits partis. Car bien qu’ils critiquent le gouvernement, ils puisent dans le réservoir des votes des partis de l’opposition traditionnelle. Dans la conscience populaire, les petits partis sont vus comme des trouble-fêtes. 

Et là, ce n’est pas seulement une question de perception, puisque la réalité des résultats des élections précédentes a démontré qu’une élection peut se gagner sur une poignée de votes, et que la division dans l’électorat profite à celui que l’on veut combattre. L’appétit des petits partis pour le pouvoir est aussi décrié, peut-être de manière injustifiée, lorsqu’ils prétendent qu’il leur est impossible de se joindre aux partis traditionnels, sans pour autant qu’ils disent en quoi leurs programmes sont différents. Les petits partis font une campagne sur leur programme peut-être avec des nouvelles idées, mais ne disent pas en quoi ce qu’ils proposent est vraiment différent de ce que proposent les partis traditionnels. 

Donc, en absence de perception de réelle nouveauté par les électeurs, il est difficile d’agir sur la conscience de l’électeur et lui offrir un vrai choix. Si les petits partis proposent plus ou moins la même chose qu’un parti traditionnel, et que la logique du vote utile est dominante, le vote des partis traditionnels paraît acquis.

L’électeur mauricien fonctionne par rapport au leader. Il investit le leader politique d’une fonction de sauveur. Il aime être guidé et cherche donc quelqu’un à suivre»

On constate aussi une certaine lassitude des Mauriciens par rapport aux leaders des grands partis. Pourtant, ils ne se retrouvent pas dans les autres leaders. Où est-ce que le bât blesse ? 
On revient encore une fois au poids politique des leaders de partis dans la conscience populaire. L’électeur mauricien fonctionne par rapport au leader. Il s’associe fortement au leader. Il a besoin d’un maître pour le diriger plus ou moins. Il lui voue une allégeance, une admiration. Il investit le leader politique d’une fonction de sauveur. L’électeur aime être guidé et cherche donc quelqu’un à suivre. C’est un phénomène universel. 

Ce phénomène de vénération du leader politique traditionnel s’explique par une série de facteurs liés à l’histoire politique personnelle du leader et à la probabilité de ce leader d’accéder au pouvoir. Et intervient, ici encore, la notion du vote utile. 

Compte tenu de la domination, depuis plusieurs décennies, des grands partis parlementaires, et le système électoral, est-ce qu’un nouveau leader, qui pourrait prétendre au poste de Premier ministre, doit finalement provenir de ces grands partis ? Comment changer cela ?
Un nouveau leader et un nouveau parti politique ne s’installent pas du jour au lendemain dans le panorama politique d’un pays. Il n’y a pas de sauveur qui tombe du ciel pour venir mettre de l’ordre et régler tous les péchés du monde. 

Pour imposer un nouveau parti, un nouveau leader, il faut un travail laborieux de conscientisation du peuple, car c’est lui qui décide qui il portera sur ses épaules jusqu’à l’Hôtel du gouvernement. Et cette conscientisation ne se fait pas en un jour. 

C’est un travail de longue haleine, quoique la durée de ce travail de conscientisation puisse être réduite par des événements, par le pourrissement de l’environnement social, ou par les méfaits d’un régime totalitaire. 

Mais à eux seuls, ces éléments ne suffisent pas à faire émerger un nouveau leader ou un nouveau parti. Il faut toujours que le peuple se sente gagnant et qu’il épouse la philosophie de ce nouveau leader ou parti, et qu’il décide de s’approprier la lutte pour faire progresser sa société. 

Le Premier ministre a indiqué, il y a quelques mois, son intention de présenter une nouvelle loi sur la réforme électorale et sur le financement des partis politiques, après l’échec de 2019, avant les élections générales prévues l’année prochaine ? Est-ce un nouvel échec qui se profile à l’horizon ? 
Une nouvelle loi sur la réforme électorale, perso-nnellement je n’y crois pas, et surtout pas une réforme qui ajouterait une dose de proportionnelle pourtant nécessaire pour rendre le présent système moins injuste. Mais admettons qu’une telle loi soit proposée et même adoptée, cela m’étonnerait qu’elle soit applicable pour les élections de 2024. 

Le système que nous connaissons actuellement a permis au gouvernement de remporter les élections précédentes, et plus particulièrement celles de 2019 avec 67 % des électeurs n’ayant pas voté pour lui. Et demain, s’il y a une lutte à quatre, avec moins de 25 % des voix, il aura une majorité confortable au Parlement, et peut-être même tous les sièges. On ne voit pas pourquoi un gouvernement qui a bénéficié d’un système électoral injuste, bancal, et qui lui a permis avec une minorité de voix d’avoir une majorité de sièges, changerait le mode électoral.

Quant au financement des partis politiques, ce n’est pas pour être défaitiste, mais compte tenu de l’environnement politique du pays et de la force de l’argent, et de la manière dont les millions atterrissent dans la machinerie d’influence des votes, une loi sur le financement politique relève du bluff. C’est faire abstraction de la réalité mauricienne et des puissants lobbies intéressés, pouvant bénéficier des largesses du parti politique qui contrôlerait l’appareil de l’État, que ce soit en termes d’octroi de contrats, de terrains au bord de mer, de permis de construction de cliniques ou d’autres structures, ou encore de prêts pratiquement non-remboursés. 

Tout ça nous montre que la loi sur le financement des partis ne changera rien dans la donne, ni dans le degré de corruption qui sévit dans le panorama électoral mauricien.

Concernant Agaléga, le Mauricien connaît les raisons politiques, ainsi que les raisons d’avantages personnels et partisans qui en découlent, et qui sont liées fortement à la survie politique»

Quels changements sont absolument nécessaires dans notre système électoral ? 
Le mode électoral a été le sujet de plusieurs études et analyses. Plusieurs propositions de changement ont été faites au fil des décennies pour atténuer la nuisance du first-past-the-post. Malheureusement, toutes ces propositions sont en sommeil dans des tiroirs. Car, elles sont confrontées à un problème, c’est-à-dire à la logique des partis au pouvoir qui se disent pourquoi changer un système qui sert leurs intérêts. C’est aussi une logique politicienne qui fait que ce n’est que lorsque l’on est dans l’opposition qu’on souhaite changer un système, et qu’on trouve que les règles du jeu électoral sont faussées et qu’il faut les changer.

Le besoin de transparence dans la gestion des affaires du pays est une demande de plus en plus forte au niveau de la population. Pensez-vous que le gouvernement a la volonté de répondre à ce vœu ? Est-ce qu’au vu des discours de l’alliance PTr/MMM/PMSD, celle-ci pourra, si elle se fait élire aux prochaines élections, apporter cette transparence voulue ?
Il faut avant tout se rendre compte d’une évidence : le système politique mauricien est caractérisé par la concentration du pouvoir dans l’exécutif, dans le parti ayant remporté les élections générales, voire entre les mains d’une seule personne. Dans un tel système, toute transparence voulue, tout dysfonctionnement que l’on voudrait régler, ne va dépendre que de celui qui détient le pouvoir et qui contrôle toutes les institutions, à quelques exceptions près. 

De quelle transparence peut-on parler alors que tous les pouvoirs ont une source unique ? Aussi longtemps que le pouvoir est concentré entre les mains du Premier ministre, il va être impossible d’instaurer la transparence. 

Il va falloir commencer par déconcentrer ce pouvoir qui a imposé un mode de fonctionnement des institutions et leur a enlevé leur indépendance. Il faut régler le problème de la mainmise de l’exécutif sur le Parlement, régler le problème du rapport entre un gouvernement et le judiciaire. Il y a tellement de conditions qui doivent être remplies avant que cette transparence soit effective dans la réalité.

Une autre réalité à laquelle Maurice fait face en ce moment, c’est l’exode des Mauriciens. Beaucoup de gens envisagent leur avenir ailleurs. Qu’est-ce qui peut, selon vous, les inciter à partir, et est-ce qu’il faudrait essayer de renverser la tendance ? Si oui, comment faire ?
Il faut dire que l’émigration des Mauriciens n’est pas un phénomène nouveau, mais l’émigration des jeunes Mauriciens, après leurs études secondaires, prend des proportions telles ces temps-ci que le phénomène est devenu la règle. Celle-ci veut que pour se construire un avenir, il faut partir. 

Il y a évidemment plusieurs facteurs qui expliqueraient le phénomène. Et quelles que soient les causes de l’exode, toute stratégie que l’on peut imaginer pour retenir ces jeunes ici est, dès le départ, vouée à l’échec. 

Par contre, si l’on ne peut inverser la tendance, on pourrait penser à des mesures pour atténuer les effets de cet exode et transformer ce qui nous paraît comme un problème en une opportunité. Mais pour cela, il faut que les dirigeants du pays fassent preuve d’intelligence. En l’absence de toute politique de migration, on peut s’attendre à ce que le pays s’enlise pour des années encore dans ce phénomène d’exode. 

Aussi longtemps que l’on se réfugie dans un sommeil en faisant croire que le problème n’existe pas, il sera plus difficile de tirer profit de cette situation et de la transformer en opportunité. Des dirigeants politiques intelligents accepteraient qu’il y a un problème quelque part et auraient suffisammment de volonté pour le régler, puisque personne ne pourra empêcher l’exode.

Une nouvelle loi sur la réforme électorale, personnellement je n’y crois pas, et surtout pas une réforme qui ajouterait une dose de proportionnelle pourtant nécessaire pour rendre le présent système moins injuste»

L’autre sujet d’actualité est le projet d’hôtel 5-étoiles qui pourrait voir le jour sur une bonne partie de la plage publique d’Anse-la-Raie. Les contestataires de ce projet insistent pour que les plages publiques ne soient plus rongées par des projets hôteliers et autres, pour des raisons sociaux et environnementaux. D’autres avancent que le développement économique doit avoir la préséance sur les autres considérations. Des contestations ont aussi lieu par rapport au projet de « smart city » de Roches-Noires. Y a-t-il une certaine lassitude de la part de la population ? 
Nous sommes en présence d’une autre expression, d’un autre exemple de la phase de déchéance politique dans laquelle est plongé le pays. Nous avons là un problème structurel, avec un territoire mauricien ne dépassant pas 2 000 kilomètres carrés, Rodrigues compris. L’espace est restreint, tout comme l’est le nombre de plages accessibles au public. D’autre part, il y a une politique de construction de plus d’hôtels et de villas de luxe dans certains smart cities sur un espace terrien exigu. 

Il y aura forcément des conflits entre les divers intérêts. Et c’est là où la compétence d’un gouvernement doit se manifester, dans sa planification du territoire et du développement économique, dans sa compréhension des enjeux, dans sa réponse aux revendications de la population pour un environnement à protéger, et aux lobbies puissants qui font peu de cas de ces revendications. 

Quant au peuple, à part les groupes qui protestent pour des raisons écologiques, il se sent moins concerné par la révolte, bien que, de temps en temps, lorsque l’accès lui a été interdit à une plage, il va être vexé. Mais lui demander de participer à une action collective, c’est une toute autre affaire !

Par rapport à la guerre entre le Hamas et Israël, un regroupement d’associations locales, mené par Lalit, demande que le gouvernement emboîte le pas à certains pays et coupent les liens diplomatiques avec Israël. Qu’en pensez-vous ? Est-ce que vous pensez que la position adoptée par Maurice jusqu’ici sur la question est la bonne ?
Il nous faut saluer toute initiative locale pour démontrer notre position sur ce qui se passe dans ce conflit et dénoncer qu’au-delà de la dimension politique de l’occupation, il y a plus qu’une tragédie. Il s’agit d’un crime que commet l’État d’Israël, une violation du droit international et une violation du droit humanitaire. 

Je pense que le peuple mauricien dans son ensemble condamne sévèrement. Je ne vois pas comment on peut justifier le massacre d’enfants et de civils innocents dans le plus grand hôpital de Gaza. 

Malheureusement, le gouvernement mauricien a son agenda propre, dicté par des considérations politiques qui le mettent en porte-à-faux avec ce que peut penser le peuple sur la question. Nous sommes dans une situation où la position du gouvernement en matière d’affaires étrangères ne correspond pas au souhait du peuple et à son humanisme.

Par rapport aux infra-structures financées par l’Inde à Agaléga, que pensez-vous des dénégations du gouvernement mauricien devant l’insistance de la presse indienne à parler de base militaire ? 
L’opacité a toujours été la caractéristique du dossier Agaléga. Cette opacité ne se justifie pas sur le plan du droit, surtout avec un gouvernement qui ne nous dit pas non plus de quelle manière des informations sur le contrat qu’il a conclu en catimini pour lier Maurice à l’Inde peuvent porter atteinte à la sécurité du pays. 

Mais le mauricien n’est pas dupe. Il est informé, et ceci grâce à la presse indienne, qui nous dévoile en long et en large ce que le gouvernement mauricien avait l’obligation de dire à son peuple. Le Mauricien connaît les raisons politiques, ainsi que les raisons d’avantages personnels et partisans qui en découlent, et qui sont liées fortement à la survie politique. 

En parlant d’opacité, il est étonnant de voir que ce n’est que récemment que le gouvernement a sorti l’argument de la protection des zones maritimes de Maurice à partir de la base d’Agaléga. Pendant des années de critiques et de questionnements, il y a eu le silence éloquent du gouvernement sur la question, et voilà que soudainement, il sort du chapeau cet argument, ce qui confirme encore plus l’opacité volontaire. 

Cette question met en lumière le système politique mauricien, un système de concentration du pouvoir, une absence de garde-fous contre les excès et les abus, les opacités injustifiées, et l’omnipuissance du politicien lorsqu’il s’approprie l’Hôtel du gouvernement. Une fois dans l’Hôtel du gouvernement, le politicien pense qu’il n’a de comptes à rendre à personne !

  • defimoteur

     

 

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