Khushal Lobine : «Le pays a bien besoin d’une Cour constitutionnelle» 

Dans cette interview, Khushal Lobine, député de la circonscription n° 15 (La Caverne/Phœnix) et dirigeant de Nouveaux Démocrates, se prononce sur les récentes évolutions politiques, notamment les critiques de son ancien parti ainsi que les déclarations de Xavier-Luc Duval. Il aborde aussi les controverses entourant la nomination d’Adrien Duval comme Speaker. 

L’opposition parlementaire a voulu faire un coup d’éclat en évoquant des entorses légales par rapport à la nomination d’Adrien Duval comme Speaker. Mais ces arguments ne semblent plus tenir la route après que plusieurs légistes et anciens Speakers ont affirmé que toutes les procédures légales ont été respectées. Au final, l’opposition ne perd-elle pas de sa crédibilité dans toute cette controverse ? 
La nomination d’Adrien Duval comme Speaker est avant tout un arrangement politique entre le PMSD (Parti mauricien social-démocrate ; NdlR) et le MSM (Mouvement socialiste militant ; NdlR). Xavier-Luc Duval ne cache pas que dans les semaines à venir, il mènera ce qui reste du PMSD – qui est « redevenu » le PMXD (Parti Mauricien Xavier Duval ; NdlR) qu’il avait créé après avoir été expulsé du PMSD le 10 septembre 1997 – vers une alliance électorale avec le MSM.

Nous sommes à la veille des élections générales. Ce gouvernement en fin de règne a perdu toute crédibilité aux yeux du peuple. Avec cette crédibilité ébranlée, l’opposition PTr-MMM-ND, qui représente plus de 60 % des électeurs ayant voté lors des dernières élections générales de 2019, fait entendre la voix d’un peuple qui attend avec impatience la dissolution de l’Assemblée nationale. Sur les réseaux sociaux, au sein de la population et parmi la société civile, l’opposition PTr-MMM-ND bénéficie d’un soutien populaire pour prendre en main ce pays et apporter les changements systémiques nécessaires à un avenir meilleur. 

En ce qui concerne les diverses interprétations des articles de la Constitution entourant la nomination de Duval fils comme Speaker, seule la Cour suprême aurait pu statuer sur ce cas. Cependant, avec notre procédure juridique dans sa forme actuelle, cela prendrait au moins quelques années pour obtenir une interprétation de la Cour suprême. 

Il y a d’ailleurs au moins trois cas constitutionnels d’Arvin Boolell, de Patrick Assirvaden et de Shakeel Mohamed concernant les dérives de l’ancien Speaker Sooroojdev Phokeer qui sont toujours devant la Cour suprême. Le temps que des verdicts soient rendus, tout jugement à ce sujet sera caduc et académique. 

Cela me donne raison de dire, en toute humilité, et depuis quelques années déjà avec d’autres juristes, que notre pays et notre démocratie parlementaire ont bien besoin d’une Cour constitutionnelle qui serait amenée à statuer, dans des délais raisonnables, sur toute interprétation ou sur tout cas où la Constitution ferait l’objet de débats.

Dès sa prise de fonction, Adrien Duval a renversé deux décisions de son prédécesseur, tout en s’engageant à superviser personnellement le tirage au sort des questions parlementaires. N’est-ce pas un bon début pour arranger les relations entre l’opposition et le Speaker ? 
Au risque de me répéter, il ne nous reste que quelques séances avant que les parlementaires n’aillent en congé début août, comme cela a toujours été le cas. Les travaux reprendront alors normalement vers la mi-octobre. En novembre, de toute évidence, d’après les dispositions de la Constitution, l’Assemblée nationale sera automatiquement dissoute. 

Je partage l’opinion de nombreux observateurs qui pensent qu’il n’y aura pas d’élection partielle le 9 octobre. En septembre voire début octobre, alors que le Parlement devrait être toujours en congé, on pourrait bien assister à la dissolution du Parlement, évitant ainsi la partielle. Nous nous dirigerions alors directement vers des élections générales dans un délai minimal d’un mois. Cela laisserait trop peu de temps au nouveau Speaker pour trouver ses repères. Zayid Nazurally, le Deputy Speaker qui a su se faire respecter durant les cinq dernières années, aurait été bien mieux placé à occuper le poste de Speaker pour les quelques séances restantes. 

S’il y a bien eu plusieurs critiques contre l’ancien Speaker et le gouvernement concernant la démocratie parlementaire, l’opposition l’a été tout autant pour ses expulsions et ses « walk-outs ». Mardi dernier, lors des travaux parlementaires, elle a joué aux abonnés absents. Il n’y a donc pas eu de Private Notice Question. Cela fait-il du bien à la démocratie parlementaire ? 
Notre démocratie va mal depuis 2015. Et ce n’est pas l’opposition qui le dit, mais bel et bien le peuple à travers plusieurs sondages. Afrobarometer a récemment indiqué dans son dernier rapport que seulement 39 % des Mauriciens sont satisfaits du fonctionnement de notre démocratie. En 2012, lorsque le Dr Navin Ramgoolam était Premier ministre, 72 % de la population était satisfaite du fonctionnement de la démocratie. 

Ces statistiques donnent raison et crédibilisent les actions de l’opposition PTr-MMM-ND, qui représente la voix du peuple et qui est en symbiose avec la société civile. Celle-ci veut des changements en profondeur dans le fonctionnement de notre démocratie parlementaire, ainsi que dans la gestion et la mise en place d’une société républicaine et démocratique digne de ce nom. 

Venons-en à vous. Vous avez été particulièrement ciblé par Xavier-Luc Duval lors d’une de des dernières conférences de presse. Il a évoqué le fait que vous avez déjà été membre du Parti travailliste (PTr), du PMSD, et aujourd’hui de Nouveaux Démocrates. Que répondez-vous aux arguments suggérant que vous n’avez pas de crédibilité politique ? 
C’est navrant de constater que Xavier-Luc Duval sombre, à la fin de sa carrière politique, dans l’arrogance et les menaces envers ses adversaires politiques, la presse ainsi que les radios privées. Le pays a été choqué par ce nouveau visage qu’il arbore et qui ne lui fait pas honneur. On a vu avec quelle arrogance il est intervenu sur Radio Plus pour faire des insinuations gratuites et préjudiciables à l’encontre de l’honorable Dr Farhad Aumeer. 

Je refuse de faire de la politique de bas étage en m’attaquant à la vie privée des gens et en faisant des menaces personnelles. Je ne fume pas, je ne consomme jamais de boissons alcoolisées et ma vie n’est pas comme un feuilleton de télénovela. Quand je me réveille tous les matins, je peux regarder ma femme et mes enfants avec honneur et dignité. 

Oui, j’ai toujours été animé par les valeurs travaillistes dès mon plus jeune âge, et ce même quand j’étais en Angleterre pour mes études de droit. Je faisais partie de la Young Fabian Society, qui était rattachée au « think tank » du Parti travailliste britannique. Je continuerai ma vie politique avec ces valeurs qui prônent la justice sociale. 

Le PMSD a été le premier parti politique que j’ai rejoint en 2017 pour faire de la politique active. C’était après que le parti a quitté le gouvernement qu’il composait avec le MSM en guise de contestation à l’introduction d’un Public Prosecution Bill à l’Assemblée nationale. En avril de cette année, nous avons fondé Nouveaux Démocrates, qui regroupe et accueille chaque semaine des adhérents, mais surtout beaucoup de jeunes et de personnes déçus de ce qui reste du PMSD. 

Ma crédibilité repose sur l’électorat de la circonscription n° 15 (La Caverne/Phœnix). En dépit des attaques personnelles contre ma personne et ma famille que j’avais subies en 2019 et que Xavier-Luc Duval continue de véhiculer honteusement et malicieusement, cet électorat m’a élu en tête de liste lors des dernières élections générales de 2019. 

C’est cela ma crédibilité. Et si Dieu le veut, je serai candidat à nouveau au n° 15. Le soutien et la voix des électeurs de cette circonscription seront la voix de Dieu. Ce sont eux qui décideront si je suis crédible ou non politiquement. 

Quel est l’état de votre relation avec Navin Ramgoolam, car plusieurs s’accordent à dire qu’il n’a toujours pas digéré le fait que vous ayez, dans le passé, renié le PTr pour le PMSD ? Ne craignez-vous pas qu’il finisse par vous rendre la monnaie de votre pièce ? 
Excusez-moi, mais je ne comprends pas la pertinence et la portée de cette question. Elle est mal cadrée et ne reflète pas la réalité pour la bonne et simple raison que c’est le Dr Navin Ramgoolam qui m’a fait confiance. C’est lui qui, en tant que leader de l’alliance PTr-PMSD en 2019, m’a donné la chance d’être candidat. C’est lui qui a accepté et qui a dit à Xavier-Luc Duval que je devrais être candidat, et ce bien que le PMSD n’avait pas d’assise politique dans la circonscription n° 15. 

N’en déplaise à certains, j’ai toujours eu et j’ai encore une très bonne relation avec le Dr Navin Ramgoolam. Nous, Nouveaux Démocrates, sommes en alliance avec le PTr et le MMM (Mouvement militant mauricien ; NdlR). Nous proposerons un projet de société réaliste, moderne et innovant qui propulsera notre pays vers un avenir meilleur. Un avenir où la jeunesse, l’écologie, l’innovation, la création de la richesse à travers des investissements sains et durables, et avant tout la méritocratie, seront les maîtres mots. 

Votre ancien leader a menacé de divulguer des dossiers personnels relatifs à la vie privée des membres de l’opposition si vous continuez à vous attaquer à son fils. Comment interprétez-vous ces menaces ? D’éventuelles « révélations » de Xavier-Luc Duval ne nuiraient-elles pas à l’opposition ? 
Au contraire, cela fait beaucoup de tort à ce qui reste du PMSD et à l’image de Xavier-Luc Duval. Ses menaces et son arrogance le mèneront, politiquement parlant, vers la descente aux enfers. S’il continue dans cette voie, il perdra toute sa crédibilité. Comme je l’ai dit auparavant, je ne compte pas tomber dans cette bassesse politique en ciblant la vie privée des gens. Pour moi, tout n’est pas possible en politique. 

La population a découvert un père qui veut à tout prix, comme dirait l’Anglais, « by hook or by crook », sauver la carrière politique de son fils. Il y a mieux à faire. La population souffre. La roupie poursuit sa dégringolade. Le coût de la vie prend l’ascenseur. L’économie va mal. La drogue fait des ravages. La jeunesse perd confiance. Il est urgent de recentrer les débats sur les vrais problèmes de notre société. C’est cela l’objectif de notre alliance PTr-MMM-ND ; proposer des solutions durables et réalistes à ces problèmes. 

En constatant les conflits internes au sein de l’opposition et la manière dont Xavier-Luc Duval se comporte sur la scène politique, ne pensez-vous pas que cela renforce le désenchantement de la jeune génération envers la politique ? 
Oui. Comme je l’ai mentionné précédemment, je ne reconnais plus le Xavier-Luc Duval d’antan. Cette politique de bas étage, où on menace et où on attaque la vie privée des gens, est précisément ce qui alimente le dégoût des jeunes pour la politique. Je suis de tout cœur avec cette jeunesse qui aspire à une politique différente. Je suis convaincu qu’aux prochaines élections, elle sanctionnera sévèrement les politiciens arrogants, menaçants et irrespectueux de la vie privée des individus.

Quel sera, selon vous, l’apport de Nouveaux Démocrates aux prochaines élections ? Pensez-vous que Richard Duval et vous avez des chances électorales équivalentes maintenant que vous avez quitté le PMSD ? 
Nouveaux Démocrates – Richard Duval, Véronique Leu Govind, moi-même et toute l’équipe, en symbiose avec le PTr et le MMM – remportera les prochaines élections générales haut la main et confortablement. Nous sommes avec la population et nous sentons venir cette vague de changement. La victoire de l’alliance PTr-MMM-ND marquera un tournant décisif dans l’histoire politique de notre pays. 

La relation entre Bérenger et Ramgoolam continue de susciter du scepticisme en raison de leur incapacité à se mettre d’accord sur le long terme. Qu’est-ce qui vous fait penser que cette association fonctionnera aujourd’hui ?
L’alliance entre le PTr, le MMM et Nouveaux Démocrates a rendez-vous avec l’histoire. Navin Ramgoolam et Paul Bérenger, ayant tous deux occupé le poste de Premier ministre, sont des patriotes engagés, des fils du sol. Ils sont entourés d’une équipe de femmes et d’hommes déterminés à apporter un véritable changement. Je côtoie ces deux personnalités de grande valeur. Je peux témoigner qu’avec leur vaste expérience, ils sont animés par la ferme volonté de servir notre patrie et de répondre aux aspirations profondes de la population.